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En restant sur l’hôpital du Vinatier81, l’histoire de l’art et de la culture formulée dans des actions culturelles menées dans cet établissement sont conséquentes au regard de la valeur octroyée dans cette recherche. Il suffit de retenir comme élément essentiel l’émergence de la psychothérapie intellectuelle ; il est possible de ressortir de ces projets culturels l’application de l’art-thérapie avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a permis de concevoir d’une autre manière la relation institutionnelle entre soignant et soigné.

Au fil du temps, après la Seconde Guerre mondiale, le patient prend plus de valeur et de considération en tant que personne dans cet hôpital. Différentes activités d’art-thérapie sont mises en place au profit du patient, telles que des groupes de théâtres, de lectures, de peintures et d’organisations de productions artistiques.

La place du théâtre ou de sa renaissance dans les systèmes hospitaliers a été renforcée par les actions de la protection des droits de l’Homme, une question qui intéresse jusqu’aujourd’hui le monde entier sous l’angle des débats et des confrontations des cultures qui affectent l’univers. Néanmoins, suite à la mondialisation, aux mutations qu’a connues le monde et à la problématique identitaire qui en découle et son impact sur la culture, ces mouvements sociétaux ont permis une introduction importante des artistes à l’hôpital, au profit des patients et des différents usagers de l’hôpital. Le théâtre représenté par la culture d’une manière générale devient un droit indissociable, inviolable et intangible des patients et/ou de l’homme en général, puisque la culture est un droit fondamental de l’homme reconnu par les instances internationales de la protection des droits de l’Homme.

Le théâtre et la médecine, tout comme la loi, concourent ensemble pour défendre les droits du patient, la préservation de son intégrité physique jusqu’à sa dignité humaine. Ils essaient également par la même idéologie de lier les patients à leurs cultures par la raison de leurs interdépendances et de leur complémentarité. Dans les milieux hospitaliers, la notion de droit culturel reste un centre de préoccupation internationale. C’est pour cette raison que le théâtre se pratique et continue de se pratiquer tous les jours dans les centres hospitaliers.

1) La pénétration de l’art dans la médecine

L’art a su pénétrer dans la science médicale par plusieurs voies comme l’histoire l’a bien souligné. Il s’est introduit par le passage des artistes, par l’appel à des bibliothécaires, par des écrivains, des philosophes et des poètes, par la médecine traditionnelle, par le besoin social, mais aussi par la voie des conventions et des traités.

Ici, ce qui interpelle le plus, c’est cette dernière partie qui constitue une force des textes contraignants ou plutôt juridiques. Prenons l’exemple de l’Organisation des Nations Unies qui a toujours pris d’une part, la culture comme un élément fondamental de l’humanité et, d’autre part, comme une valeur basique à la mise en place de la paix. Ces droits culturels ont été poussés sur la scène internationale par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Deux dispositions doivent être plus précisément prises en compte dans cette Déclaration , il s’agit de l’article 22 qui dispose que : « Toute personne, en tant que

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membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. »82

. L’article suivant accorde

à toute personne l’accès à la vie culturelle, à la jouissance des arts ainsi qu’à la participation au développement scientifique. Cet article développe deux axes :

« (1). Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent.

(2). Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. »83

Le médecin-chef de l’hôpital du Vinatier, Paul Balvet, a mis en place une nouvelle stratégie thérapeutique dans les années cinquante et le pavillon 5F est devenu le lieu le plus fréquenté au sein de l’établissement, puisqu’il présentait une véritable rénovation de l’institution psychiatrique84

grâce à l’art-thérapie dit, singulièrement, occupationnel ou réactionnel. Cela prouve que le recours à l’art et à la culture au sein des établissements psychiatriques est tout simplement attaché historiquement à des inquiétudes ou à des questions d’ordre thérapeutique et occupationnel du patient. Ce qui a permis à Paul Balvet de développer de nombreuses activités culturelles régulièrement attachées à des processus thérapeutiques. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les séances ou les ateliers de dessin dispensés à certains malades avec des projections cinématographiques s’inscrivaient dans un projet thérapeutique85 purement occupationnel.

Le Pacte international relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels renforce ces droits liés à l’être humain dans son article 15 qui impose aux États signataires de reconnaître à tout individu le droit :

« a) De participer à la vie culturelle ;

b) de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications ;

c) de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur… »86

Cet article comporte encore d’autres points qui imposent aux États signataires de veiller à la survie de ce texte, mais aussi aux droits de chacun à la participation à la culture.

Un approfondissement des recherches montre que l’art trouve de plus en plus sa place dans la médecine avec des appuis juridiques sur la scène planétaire. « Le Pacte international

82

Louise ARBOUR, « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », in Revue québécoise de droit international, 1998, vol. 11, p. 3.

83

Ibid.

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L’hôpital était sous les normes de la loi du 30 juin 1838, dite « Loi des aliénés », Recueil Duvergier page 490, légifrance.

85 Le projet mis en place par Paul Balvet comporte deux axes importants, un objectif d’amélioration de l’institution d’une part et d’autre part,

il ouvre largement les portes à tout le monde, particulièrement aux patients, à l’exemple d’une exposition à l’automne 1956 dans une galerie lyonnaise d’une sélection d’œuvres réalisées par des patients de l’hôpital de Vinatier. Un intérêt majeur de ce projet est que certains groupes de patients puissent sortir de l’hôpital pour participer à des activités culturelles et artistiques. C’est ainsi qu’au mois de mars 1951, deux groupes de patients ont participé à une sortie à caractère culturel pour visiter l’exposition Van Gogh présentée au Palais de Saint-Pierre. Une vision symbolique avancée par Paul Balvet est la création d’un journal interne qui permet aux patients de s’exprimer pour dire et faire savoir leurs souffrances, leurs douleurs et même leurs peines afin de trouver un moyen de les dépasser. Le promoteur de ce projet essaie, à tra vers sa profession, d’inciter les patients des hôpitaux psychiatriques à prendre part au processus de développement de leur statut ainsi qu’à leurs conditions de vie dans une société où la folie était ou est jusqu’à présent stigmatisée. Ce projet a renforcé la notoriété de cet hôpital et lui a permis de devenir un centre de référence pour la « Culture à l’Hôpital », et il incarne la politique de la Fondation pour l’Étude et la Recherche sur les mémoires et l’Expression (FERME). Ce projet culturel n’est plus seulement un projet thérapeutique comme à l’époque de Paul Balvet, mais il devient de nos jours un véritable projet artistique à part entière.

86 « Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels », adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16

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des droits civils et politiques »87, en son article 27, reconduit les articles précédents en obligeant les États membres à prendre en compte les droits des personnes qui sont minoritaires sur un territoire déterminé. Elles ont droit à leur culture, leur religion, leur langue, etc. Cet article dispose fermement que : « Dans les États où il existe des minorités

ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue. »88

La question de l’art dans les établissements de santé publics et privés a connu une ampleur européenne et a suscité une première rencontre européenne de la « Culture à

l’Hôpital » à Strasbourg en février 2001. Le secrétaire d’État à la Santé et aux Personnes

handicapées, Dominique Gillot, a prononcé une allocution lors de cette rencontre dont voici un extrait : « Accompagner le malade hospitalisé, l’aider à retrouver l’environnement de la

vie quotidienne, les comportements sociaux, culturels qui donnent à l’existence une dimension essentielle est une des vocations nouvelles de l’hôpital. La culture, loin d’être un supplément d’âme facultatif, donne à la vie toute sa qualité. En ce sens, le combat pour la vie mené dans les hôpitaux rencontre naturellement l’intention, le geste culturel, le partage des émotions, à travers la diversité des arts. »89 Au-delà de cette rencontre, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a été à plusieurs reprises l’initiatrice d’instruments juridiques90

relatifs aux droits culturels. La Déclaration de Fribourg sur les droits culturels, adoptée le 7 mai 2007, représente le travail considérable de vingt ans fait par un groupe international d’experts, communément connu sous le nom de « Groupe de

Fribourg » mis en place lors d’un colloque en 1991 portant sur les droits culturels. La

question des droits culturels figure bien dans la protection du droit de l’Homme, mais la réponse à cette interrogation reste un peu floue puisque la plupart du temps, les juges qui ont le devoir de contrôler l’effectivité91

de l’application du droit culturel font appel aux droits civils pour répondre et protéger ces droits, au lieu de faire appel aux droits culturels eux- mêmes, visés dans les instruments juridiques.

L’élément à retenir ici est que l’effectivité des droits culturels reste opposable aux États signataires dans tous les actes de la jurisprudence, mais aussi de la doctrine universitaire. Il faut aussi sortir de l’ombre de l’Europe qui est connue comme étant le promoteur en matière de droit procédural des droits de l’Homme, et qui n’a jusqu’à présent fait aucun effort pour introduire ces droits culturels dans ses différentes instances juridiques contraignantes pour bien renforcer leur judiciarisation et leur opposabilité dans le système du

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« Pacte International des droits civils et politiques » conclu à New York le 16 décembre 1966, approuvé par l’Assemblée fédérale le 13 décembre 1991, instrument d’adhésion déposé par la Suisse le 18 juin 1992, entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992.

88 Ibid.

89 Dominique GILLOT, secrétaire d’État à la Santé et aux Handicapés, extrait de « l’allocution lors des Premières Rencontres Européennes

de la Culture à l’Hôpital » à Strasbourg, en février 2001.

90 L’UNESCO reste jusqu’à aujourd’hui l’initiateur de plusieurs instruments concernant les droit s culturels. Tels que la Déclaration

universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2001), la Déclaration de l’UNESCO concernant la destruction intentionnel le du patrimoine culturel (2003), la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003), la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005), etc. Il est clair que les droits culturels donnent accès à certains domaines bien cadrés tels que celui de l’identité et du patrimoine ou de la participation à la vie culturelle comme aux politiques culturelles ou à l’éducation ou à la formation et à l’information.

91 Les questions de l’effectivité de l’application du droit culturel et la place des droits culturels dans la protection des droits de l’homme sont

développés dans les articles suivants : Pierre LASCOUMES et Évelyne SERVERIN, « Théories et pratiques de l’effectivité du droit », in Droit et société, 1986, vol. 2, no 1, pp. 101-124. Et celui de Kinvi D.A. LOGOSSAH, « Capital humain et croissance économique : une

31 droit de recours. Certains pays sous-développés évoquent la pauvreté et les moyens financiers, comme prétextes pour ne pas mettre en place les droits culturels. Ce genre d’arguments est condamnable puisque les États membres sont dans l’obligation de transposer les textes et de prendre des mesures appropriées permettant l’effectivité de ces droits culturels. C’est pour cette raison qu’une Convention a été signée le 4 mai 1999 entre le ministère de la Culture et de la Communication et le secrétariat d’État à la Santé et à l’Action sociale qui permet de placer un jalon d’une grande politique charpentée et énergique dans la politique nationale de santé. Le « Programme Culture à l’Hôpital »92 est un mécanisme qui lie ces deux domaines pour qu’ils travaillent ensemble dans les hôpitaux et en dehors de ces établissements dans l’intérêt des malades et des professionnels de santé.

2) L’alliance de ces deux arts

Le rapprochement de ces deux arts se noue au fil du temps et le théâtre, la lecture, la peinture et d’autres structures d’arts franchissent les murs des établissements de soins psychiatriques depuis le XIXe siècle. Il y avait, au sein de cette alliance des ateliers artistiques, des malades mentaux dont les œuvres sont considérées non seulement comme artistiques mais aussi comme des expressions pathologiques étrangères.

Sur le continent européen, l’intérêt suscité par les productions artistiques des malades mentaux date du XIXe siècle. Le médecin criminologue italien Cesare Lombroso93 (1835- 1909) est le premier à hausser la voix et il met en place un Cabinet de curiosités qui rassemble des objets et des œuvres destinées à servir de preuves à sa théorie d’une prédisposition naturelle à commettre des crimes. Ces objets sont piochés dans différents hôpitaux psychiatriques, dans des collections scientifiques et même dans certaines prisons et auprès d’anthropologues et de personnes privées. C’était une époque où la psychiatrie était surtout punitive. L’idée de mettre en question ce genre d’œuvres se développe et plusieurs psychiatres s’y intéressent comme en Angleterre en 1900 au Bethlem Royal Hospital94

. Des expositions sont toujours ouvertes au grand public pour susciter des commentaires de la presse et par la suite donner place à l’étonnement et à l’admiration.

Cette alliance de l’art et de la médecine s’est diffusée en France notamment l’hôpital de Villejuif avec une collection de photographies et des publications, mais aussi avec des ateliers d’arts et des représentations de pièces de théâtre. Les années vingt marquent encore une fois en Europe l’intensification de l’alliance de l’art et de la médecine. Le psychiatre allemand Hans Prinzhorn (1886-1933) à l’hôpital universitaire d’Heidelberg, réunit à son tour certaines collections importantes et se lance dans une publication : Expressions de la folie95 .

92 Convention signée le 4 mai 1999, op. cit

93 Cesare Lombroso était Professeur de médecine légale, il est né dans une famille juive le 6 novembre 1835 à Vérone et mort le 19 octobre

1909 à Turin. Il est l’un des fondateurs de l’école italienne de criminologie. Très célèbre pour ses idées, il avance la thèse sur le « Criminel

né » : il essaie de démontrer à partir de ses études de phrénologie et de physionomie que, pour repérer les criminels, il faut tenir compte de

leur apparence physique. La théorie de la dégénérescence, le racialisme et aussi le transformisme marquent en masse la philosophie de ses théories. Il avançait l’idée que les femmes étaient moins portées à la criminalité par le fait de leur moindre intelligence, mais aussi de leur nature moins active dans leur vie. Il mettait des valeurs aux races humaines en prétendant que l’humanité avait évolué des « Noirs » vers les

« Jaunes » puis les « Blancs ». Pour lui, en Italie, les races du Nord étaient supérieures à celles du Sud. 94

Le Bethlem Royal Hospital ou Bedlam est un hôpital psychiatrique connu comme le premier établissement à offrir des soins psychiatriques, il est situé à Beckenham dans le faubourg londonien de Bromley. De nos jours, il offre des services pour le traitement de santé mentale, mais, il y a longtemps, il fut le théâtre de plusieurs pratiques cruelles et inhumaines. « Bedlam » est un mot anglais qui signifie chahut ou confusion, ce mot trouve son origine dans cet établissement. En 2011, une collection d'œuvres de malades mentaux est archivée au Bethlem Royal Hospital museum.

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32 Celle-ci aura une grande influence sur André Breton (1896-1966) et les surréalistes qui vont être amenés, dans des expositions, à associer à leurs œuvres celles d’artistes malades. L’art- thérapie prend la forme, à l’hôpital Villejuif, de représentations de théâtre avec des malades d’Alzheimer et d’autres. C’est une alliance très fine et beaucoup plus éducative, elle est importante pour tous comme l’a souligné Xavier Collal, chargé de mission « Culture à

l’Hôpital »96

au ministère de la Culture et de la Communication : « La relation entre art et

santé s’éprouve à la fois dans une dimension spirituelle, philosophique, sociologique et politique. C’est aussi un marquage, une empreinte, un franchissement, un engagement symbolique. »97 Les ministères concernés par ces disciplines tissent ensemble des relations pour mieux superviser ce « Programme Culture à l’Hôpital ».