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praxéologique et épistémologique : une situation pédagogique en tension entre lettre et esprit

II. Analyse de la dimension épistémologique de l’ÉDD

1. Les connaissances de référence en ÉDD

1.2. Les thèmes dans les nouveaux programmes : peu de croisements

Nous avons identifié les thèmes liés à l’ÉDD dans les programmes grâce aux mentions « durable », « éducation au développement durable », et aux références aux thèmes de convergence « développement durable », auxquelles nous avons ajouté les thèmes mis en

avant dans l’esprit72 comme relevant de cette éducation car il ne s’agissait pas de déterminer nous-mêmes ce que l’Éducation nationale reconnaît comme connaissances de référence en ÉDD. Le tableau 7 les présente par niveau d’enseignement et par matière.

Niveau de programme et première année de mise en œuvre

Éducation civique Géographie Sciences de la vie Sciences de la Terre

6e

HG-EC : 2009 SVT : 2005

Citoyenneté

Peuplement par les hommes Habiter la Terre : Paysage : Littoral, Ville, Espace rural, Montagne, Île, Dèsert

Alimentation Élevage

Sol Environnement Peuplement par les

êtres vivants Biodiversité Cycle central (5e et 4e) HG-EC : 5e : 2010 SVT : 5e et 4e : 2006 et 2007 Solidarité Risques majeurs Développement durable Démographie Santé, Éducation, Risques, Pauvreté Ressources : Énergie, Air, Ressources halieutiques, Eau, Alimentation Biodiversité Santé (obésité) Risques majeurs Paysage 3e SVT : 2008 Responsabilité en matière de santé et d’environnement : Air, Biodiversité Responsabilité en matière de santé et d’environnement : Énergie 2nde HG : 2010 SVT : 2010 Développement durable Ressources : Alimentation, Eau, Energie Ville Gestion des espaces

terrestres : Mondes arctiques, Littoraux, Risques majeurs Sol Biodiversité Sol Énergie

Tableau 7 : Thèmes en lien avec l’ÉDD dans les programmes d’histoire – géographie (HG), éducation civique (EC) et de SVT retenus pour l’analyse (en HG-EC, nous rappelons que seuls les programmes de 6e et de 5e sont considérés).

Un ensemble de thèmes est tout à fait en cohérence avec les documents nationaux précédents. En effet, les risques reviennent de manière récurrente, la problématique énergétique occupe aussi une part importante tout comme la biodiversité, présente dans tous les programmes de SVT. De même, le territoire (via l’étude des paysages), la répartition des populations humaines, son aménagement et les conséquences de celui-ci sur le peuplement des êtres vivants sont bien représentés. Les ressources telles que l’air, l’eau, le sol, l’alimentation sont abordés deux fois de la 6e

à la 2nde

dans l’une et/ou l’autre des disciplines. Des thématiques à fort ancrage social comme la santé, l’éducation et la pauvreté sont présentées sous l’angle du développement. La citoyenneté et la solidarité sont abordées en éducation civique en 6e

. Par

contre, le changement climatique73 et les déchets74 n’ont pas été retenus en tant que tels dans les programmes.

La refonte des programmes était annoncée dès 2003 dans l’esprit comme un moyen de permettre l’interdisciplinarité (nous soulignons) :

« Confrontés à la question de la généralisation de cet enseignement, il s'agit de nous doter d'appuis solides dans les disciplines et de croiser leurs apports. » (Gérard Bonhoure dans (MEN - DESCO 2005a, p. 61)

« Les convergences pourraient être mieux instituées dans les programmes de collège. Elles sont possibles entre la géographie et l'éducation civique, elles ne le sont pas toujours avec les SVT. » (Jacqueline Jalta, IPR d’histoire géographie dans (MEN - DESCO 2005a, p. 63)

En effet, en observant les programmes en vigueur à cette époque, on pouvait en effet aisément constater que, par exemple, le paysage était traité en 6e

en géographie et en 5e

en géologie, et que l’eau était abordée en seconde en géographie mais pas en SVT. Or le tableau 7 ne montre aucune évolution majeure. Non seulement les incohérences entre la géographie et les SVT déjà constatées ont subsisté mais aussi les croisements interdisciplinaires sont relativement restreints. Ils se limitent aux peuplements par les hommes et par les êtres vivants en 6e

, à la santé et aux risques majeurs en 5e, et à l’énergie en 2nde. Force est donc de constater que la transversalité annoncée par les programmes n’a pas eu lieu, d’autant plus que, depuis 2010, en 5e

et en 2nde

, le développement durable est enseigné comme un objet à part entière (MEN 2008d, 2010a). Ceci signifie que l’ÉDD devient, en géographie, et uniquement dans cette discipline, une éducation au sujet du développement durable (Girault, Fortin-Debart 2006).

1.3. L’objet éducatif « développement durable » : de « l’approche » à l’entrée

disciplinaire

Dans tous les textes de l’esprit avant 2008, il est indiqué que le développement durable ne doit pas être un objet d’étude. L’enseignant doit « vérifier qu’[il] se situe bien dans une perspective de développement durable » (DGESCO - IGEN 2007c) doit « questionner dans une perspective de développement durable » (DGESCO - IGEN 2007b) mais le terme « développement durable » et même l’expression « éducation au développement durable » sont plutôt à éviter : « La logique du DD : une perspective plus qu'un objet d'étude » (Bonhoure, Faucqueur 2004, p. 65). Comme à cette époque, le développement durable n’est

pas présent dans les programmes en tant que tel, il est donc conseillé aux enseignants de se concentrer sur la relation pédagogique, en adoptant un style d’enseignement axé sur le levier pédagogique et non sur le levier didactique, puisque l’élève n’est pas censé avoir de relation d’apprentissage directe avec l’objet « développement durable ». Ce choix institutionnel était une façon de ne pas aborder frontalement la difficulté épistémologique que pose le développement durable :

« Face à la difficulté d’identifier une définition simple et acceptable par tous du développement durable, un concept encore en construction, force est de privilégier le questionnement pour éviter de s’embourber dans des discussions idéologiques sur le sens du mot « développement », et de se contenter d’une approche qualitative simple. (DGESCO - IGEN 2007c)

L’analyse des conceptions fondatrices montre en effet que l’intégration du développement durable même pour désigner l’éducation qui en relève n’a pas toujours été une évidence (au delà des évolutions entre ÉEDD et ÉDD). Ceci est notamment montré par l’emploi du syntagme « environnement durable », que ce soit dans la circulaire de 2004 ou dans les notes de service de l’éducation au développement et à la solidarité internationale (2004, 2007 et 2008). De même, l’expression d’« éducation à l’environnement » est encore présente dans les programmes de SVT de 2008, aux côtés de l’éducation à la santé. Dans tous les textes postérieurs à 2008, il n’y a plus aucune confusion et la dénomination ÉDD est stable, ce qui marque une évolution majeure dans l’acception du développement durable en tant que notion scolaire.

En effet, en 2008, les programmes de géographie inscrivent le développement durable comme objet éducatif, se situant donc en rupture avec les recommandations de l’esprit. C’est entre autres pour cette raison que Caroline Leininger-Frézal (2009) considère que l’ÉDD a été absorbée par « la forme scolaire ». En 5e

, il s’agit de construire une « approche de la notion de développement durable » et en 2nde

d’étudier « les modes durables de développement ». Ces programmes demandent que cet objet soit obligatoirement traité en premier, par la stratégie pédagogique de l’étude de cas, c’est-à-dire dans un cadre normé de relation enseignant élève : documents à étudier et synthèse à faire par l’élève que le professeur valide ou non. Dès lors, il est prescrit aux enseignants de fonder la relation pédagogique sur le levier didactique c’est-à-dire sur le contenu des cas ; l’élève entrant en relation d’apprentissage avec l’objet « développement durable » et devant définir et mettre en relation « les enjeux économiques, sociaux et environnementaux » (MEN 2008d, p. 21). Abordé au début de la géographie, l’élève se voit doté d’un crible d’analyse pour les études suivantes :

« Au terme de l’année de 5e les élèves sont capables, confrontés à l’étude d’un territoire, de mobiliser

les trois dimensions du développement durable. Ils ont construit une connaissance claire des grandes oppositions du monde et des enjeux auxquels est confrontée l’humanité. » (MEN, 2008d, p. 21)

Il s’agit donc de faire intégrer aux élèves une vision du monde où trois enjeux, parfois contradictoires, doivent peser à part égale. La naturalisation des dimensions comme constitutives du savoir scolaire qu’est ainsi devenu le développement durable, a été réalisée dans les documents d’accompagnement des programmes de géographie :

« L’expression « Sustainable development » est apparue à la fin des années 1980, popularisée par le rapport de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement : « Le développement

durable doit répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs et correspond aux devoirs des générations actuelles de transmettre un monde vivable, viable et reproductible » [note de bas de page : « Notre avenir à tous », Rapport de la

Commission présidée par G. H. Brundtland en 1987, ministre norvégienne en charge de préparer le sommet de Rio ou « sommet de la Terre » en 1992. » (DGESCO - IGEN, 2010a, p. 5)

Bien que la référence donnée de cette citation soit celle du rapport Brundtland, des recherches dans le corps de ce texte, nous amènent à constater que cette définition n’y est pas textuellement, en particulier les notions de vivable et viable. On peut par contre la trouver dans un livre sur la mondialisation rédigé par des géographes (Carroué, Collet, Ruiz 2009), dont une édition antérieure était parue dans la collection du CAPES et de l’agrégation (Carroué, Collet, Ruiz 2006). C’est donc une source très reconnue par l’Éducation nationale qui donne la définition de référence, qui permet d’introduire très facilement le diagramme de Venn alors qu’il est absent du rapport et que son origine n’est pas, à notre connaissance, déterminée avec précision. Ceci illustre parfaitement comment la définition et le diagramme circulent, voire sont transformés, point sur lequel nous reviendrons au moment de l’étude des expositions. Il n’empêche qu’une fois intégré dans les documents d’accompagnement des programmes de 2nde

de géographie (DGESCO - IGEN 2010a), le diagramme prend la valeur d’un savoir de référence transmissible au sein de l’École (figure 5). Or ce n’est pas un concept scientifique.

Figure 5 : Le diagramme de Venn comme référence épistémique de l’objet éducatif « développement durable » (DGESCO - IGEN 2010a, p. 2).

Même si des précautions sont prises dans les documents d’accompagnement, qui précisent qu’il s’agit de s’intéresser « aux modes de développement durable dans leur diversité » et que « le développement durable n’est pas une morale impositive [mais] une façon d’appréhender le monde et sa complexité de façon systématique en soulignant les contraintes et les équilibres possibles » (DGESCO - IGEN 2010a, p. 3), la manière dont l’objet « développement durable » entre dans le programme de géographie conduit à ce qu’il ne soit pas débattu. Or ceci pose question. Si les enseignants respectent la lettre en suivant l’ordre du programme et en appliquant l’absence de débats relatifs à cet objet, les élèves n’ont aucune raison de penser que le développement durable puisse être controversé. Les questions de fond sur les autres modèles de société possibles ne sont pas abordées explicitement avec les élèves. Or un des objectifs pédagogiques de l’ÉDD est l’éveil de l’esprit critique chez les élèves.

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