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La légitimation éducative : un objet de recherche interrogeant la communication sociale des idées entre extérieur et intérieur de l’École

ancrée dans l’histoire de l’éducation formelle

II. La légitimation de l’exposition itinérante comme média éducatif pour l’ÉDD : une problématique transdisciplinaire

2. Ancrages théoriques d’un problème de recherche transversal aux sciences de l’éducation et aux sciences de l’information et de la communication

2.2. La légitimation éducative : un objet de recherche interrogeant la communication sociale des idées entre extérieur et intérieur de l’École

Selon Jean Davallon, « l’objet de recherche est le phénomène, ou le fait, tel que le chercheur le construit pour pouvoir l’étudier. […] L’objet de recherche se trouve à mi-chemin entre d’un côté les objets concrets qui appartiennent au champ d’observation et, de l’autre côté, les représentations explicatives du réel déjà existantes ou visées (qui révèlent, quant à elles, de l’objet scientifique » (2004, p. 32!33). Considérer que l’apposition d’un logotype de l’Éducation nationale sur une exposition ou sa sélection par les services de diffusion ou de publicisation institutionnels sont des formes d’approbation de l’institution vis-à-vis du média, reconnu ainsi apte à être une ressource pédagogique pour l’ÉDD, est une construction. C’est cet objet de recherche, la légitimation, que nous avons problématisé, comme d’autres l’ont fait avant nous à partir d’objets concrets différents.

Dans son étude de l’élaboration médiatique de la légitimité des « experts » à la télévision, Yves Chevalier définit la légitimité comme « le statut qui autorise un individu, un groupe d’individus (mais aussi une idée ou une action publique), à jouer le rôle qui est le sien aux yeux des autres membres d’une collectivité (le public) » (Chevalier 1999, p. 17). En nous inspirant largement de cette définition, nous pourrions dire que la légitimation dont il est question dans cette thèse est le processus qui consiste à donner un statut éducatif à une

exposition itinérante, en lien avec le développement durable, en lui reconnaissant un rôle pédagogique, vis-à-vis des élèves voire de la communauté éducative (enseignants, personnels techniques et administratifs) dans le champ de l’éducation au développement durable. Il s’agit d’une légitimation éducative.

La question de la légitimation des médias pour l’éducation formelle est au cœur des travaux de Pierre Moeglin (2004, 2010) qui mène une réflexion plus générale sur la manière dont différents moyens de communication tels que les livres, les planches murales, les vidéos, les

ordinateurs ou encore les tableaux numériques acquièrent un statut éducatif pour l’École (nous soulignons) :

« Ce qu’ils ont d’éducatif, ces outils et médias le doivent à l’aptitude qui leur est reconnue de permettre à des élèves d’apprendre et à des maîtres d’enseigner, de s’informer et de communiquer en contexte éducatif. Cela veut dire que, si outils et médias ne sont pas d’emblée éducatifs, quelques-uns

le deviennent lorsque se produit leur intégration dans l’appareil de formation et qu’intervient la reconnaissance sociale de leur légitimité éducative. » (Moeglin 2004, p. 11)

Dans notre étude, si l’exposition itinérante est un média conçu par un musée ou par un service de l’Éducation nationale, compte tenu des missions de ces institutions, l’intention éducative est inhérente à la conception de l’exposition et l’itinérance dans le milieu scolaire n’est qu’une reconnaissance de plus de son rôle éducatif. Mais, dans le cas où l’exposition itinérante n’a pas été conçue avec cet objectif, c’est bien le processus d’attribution d’une qualité éducative qui la fera rentrer dans le monde scolaire. Le cheminement des expositions de la fondation GoodPlanet, des grilles du

jardin du Luxembourg aux murs de l’École, permet bien d’observer comment, moyennant des adaptations, les mêmes photographies se sont trouvées parées d’attributs éducatifs. Une fois ce processus identifié, la question est de savoir : « Que faut-il pour qu’un outil de communication ou un média devienne éducatif et à partir de quand le devient-il ? Quels facteurs scolaires et extrascolaires aident-ils à sa scolarisation, alors qu’il n’est pas conçu pour l’école et que celle-ci n’a pas l’apanage de ses utilisations ? » (Moeglin 2004, p. 10). Dans la lignée de ce questionnement, il s’agit pour nous d’établir comment une exposition

acquiert le statut de ressource pédagogique pour l’ÉDD, c’est-à-dire d’identifier les acteurs, les modalités et les critères de ce processus de légitimation éducative.

D’un point de vue communicationnel, Pierre Moeglin (2004) répond que les outils et médias éducatifs possèdent une propriété objectivante qui leur est commune, dont le rôle a été mis à

Pierre Moeglin a établi une typologie des outils et médias éducatifs (2004, p. 71) en fonction de leur contenu et leur reproductibilité :

• les outils du type I n’ont pas de contenu et ne sont pas reproductibles, c’est par exemple la plume d’oie ;

• les outils du type II sont reproduits massivement et n’ont pas de contenu, ce sont entre autres la plume d’acier, le cahier vierge ou les ordinateurs ;

les self media, type III, qui possèdent du contenu mais qui ne sont pas reproduits selon un mode industriel, soit les diapositives et les films autoproduits ;

les médias sensu stricto, type IV, qui possèdent à la fois un contenu et une reproduction industrielle, qui n’est pas forcément synonyme de marchandisation.

profit quand le milieu scolaire a intégré la communication triangulaire comme moyen éducatif. Du coup, ils ont acquis une double propriété en devenant à la fois éducatifs et communicationnels. Ils sont au cœur d’une relation de médiatisation entre élève et maître, qui permet non seulement de dépasser le simple face à face entre l’élève et le maître, mais aussi de servir d’adjuvants à l’apprentissage, autant de raisons qui ont légitimé au cours du temps leur présence au sein de l’École. Dans ce contexte, les expositions itinérantes, qui appartiennent au type IV de la typologie de l’auteur soit des médias sensu stricto, entrent dans l’École grâce aux propriétés communicationnelles qui leur sont reconnues, mais ceci ne règle pas la question de leur légitimité du point de vue informationnel.

La réflexion de l’auteur s’intéresse moins au contenu des médias éducatifs proprement dit qu’à leur dénominateur commun, au delà de leur ancrage dans des « contextes pédagogiques, culturels et idéologiques propres à leur invention » (Moeglin 2004, p. 43). Il indique qu’actuellement le monde scolaire est marqué par une accumulation d’objets culturels, observable selon des strates. Chacune de ces strates est représentative d’un état de l’École, lequel est défini par des productions matérielles et symboliques (Moeglin 2004, p. 43) :

« Tout système scolaire est un certain mode d’institution d’une certaine trivialité légitime des objets culturels. Il procède de dispositifs matériels, invente des formes de réécriture, légitime certains objets et en déprécie d’autres. Un état de l’école se définit en grande partie par cette économie de la circulation des savoirs, par ces situations, par ces objets : la salle, l’amphithéâtre, le tableau ; ou encore l’ardoise, le transparent ; ou encore l’exercice, la copie, le manuel. » (Jeanneret 1999, p. 15)

Ou encore les expositions itinérantes. En sciences de l’information et de la communication, Yves Jeanneret (2008a) propose deux concepts intimement liés qui permettent de penser la circulation des idées et des valeurs dans la société. Il propose, tout d’abord, le concept « d'être culturel » comme :

Parmi les strates que Pierre Moeglin décrit, nous ne retenons ici que trois. Dans la première, l’auteur place les outils et les médias qui ont pour vocation de faire

« admirer le spectacle du monde » (p. 43) dans lesquels

il range les affiches murales décoratives comme les objets du musée scolaire. La deuxième consiste à

« observer le monde » (p. 47), à en rendre compte dans

son ordonnancement : les affiches murales servant aux leçons de choses, les planches anatomiques ou les objets de collection, en tant qu’ils sont des spécimens permettent de « faire voir pour faire comprendre » (p. 48), peuvent y être associés. La troisième permettant

« d’apprendre les alphabets du monde » (p. 51) est

constitué des documents servant de supports à une activité de lecture ou de décodage des représentations graphiques et iconiques.

« un complexe qui associe des objets matériels, des textes, des représentations et qui aboutit à l’élaboration et au partage d’idées, d’informations, de savoirs, de jugements. Il s’agit de configurations dynamiques qui traduisent l’élaboration historique des ressources et enjeux pour une société : des postures, des savoirs et des valeurs, qui ne se comprennent pas les uns sans les autres et qui reposent sur une panoplie d’objets et de procédures, sans toutefois se résumer à ce seul inventaire technique. » (Jeanneret 2008a, p. 16)

Ce concept ne peut prendre corps qu'en lui adjoignant celui de « trivialité » (étymologiquement, trivium signifie carrefour) : les êtres culturels ne peuvent se transmettre sans se métamorphoser, au sein de leurs parcours social et communicationnel, lesquels sont indissociables. Ils se chargent notamment de valeurs.

Dans cette thèse, qui souhaite s’inscrire dans une contribution à l’étude de la place et du rôle de l’École au sein de la trivialité, nous proposons d’interroger les conditions de possibilité de la mise en circulation (au sens propre et au sens figuré) des savoirs, des représentations et des valeurs contenus dans les expositions au travers du filtre de la légitimation, comme point nodal des « phénomènes d’échange culturel » (Jeanneret 2008a, p. 15) :

« Le jeu de la trivialité est aussi ce qui concerne la légitimité des documents, des messages, des formes de savoir. Les circuits de diffusion des productions culturelles sont des processus par lesquels se constituent des modèles de reconnaissance, de conformité, de légitimité, ou inversement, de disqualification de tel ou tel type de savoir. » (Jeanneret 1999, p. 14)

Il s’agit pour nous d’observer comment la légitimation éducative a lieu, notamment au regard de la lettre et de l’esprit de l’ÉDD, renvoyant in fine à la question du positionnement de l’École par rapport à la culture triviale, entendue comme « toutes les formes de circulation des savoirs au sein de la société » (Jeanneret 1999, p. 10) : la légitimation éducative des

expositions itinérantes structure-t-elle des échanges d’idées en rapport avec les objectifs de l’ÉDD et plus généralement avec les missions de l’École ? Les procédures et les critères de

légitimation des expositions itinérantes garantissent-ils que l’École ne soit pas le « téléport de produits éducatifs de toutes natures et de toutes qualités » (Jeanneret 1999, p. 22) dans le champ du développement durable ? C’est en cela que les sciences de l’éducation s’avèrent indispensables pour rendre pleinement compte de ce processus de légitimation et de ses implications pédagogiques. Commençant à esquisser des éléments de réponse dans cette partie, ce n’est que suite à l’étude du contenu des expositions que nous pourrons conclure.

2.3. La question de la légitimité des savoirs en sciences de l’éducation et son

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