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praxéologique et épistémologique : une situation pédagogique en tension entre lettre et esprit

I. Analyse de la dimension praxéologique de l’ÉDD

2. Les caractéristiques pédagogiques de l’ÉDD ou les invariants entre lettre et

esprit

L’interdisciplinarité ou l’environnement comme système à étudier

L’ÉDD peut être rapproché du courant systémique de l’ÉRE (Sauvé 2003) dans lequel l’environnement est considéré comme un système dont les éléments seraient reliés par les apports disciplinaires. Cependant, l’approche intégrative a ses limites car le système doit s’appuyer sur les contenus et méthodes propres à chacune des disciplines. Ainsi, l’ÉDD ne se situe pas dans un courant holistique (Sauvé 2003), d’autant que l’approche affective est proscrite, comme nous le montrerons. L’idée est plutôt de multiplier les approches et les points de vue rationnels pour faire rentrer l’élève dans une démarche de questionnement, contribuant ainsi à éduquer au choix. Il s’agit en quelque sorte d’une heuristique par l’interdisciplinarité :

« Dans l’école, la démarche analogue [à celle des analyses collégiales organisées par des

« responsables »], homothétique en quelque sorte, consiste à croiser les apports disciplinaires (les

contenus) et leur façon de questionner (leurs méthodes) : on peut ainsi reconstituer une forme de cette « collégialité de l’expertise » qui conduit à savoir exercer son esprit critique, reconnaître et accepter l’incertain, assumer le doute. Ceci doit s'apprendre très tôt.» (Bonhoure, Faucqueur 2004, p. 66).

Au sein des programmes et des accompagnements, on retrouve des incitations explicites à faire des séances interdisciplinaires. Quelques disciplines sont davantage mises en avant comme les SVT et la géographie mais aucune n’est exclue a priori (Vergnolle-Mainar 2009b, 2011), ce qui permet aux enseignants de mener des projets interdisciplinaires.

Une démarche de projet, loin du courant praxique

Bien que présente de façon constante dans les documents étudiés, la démarche de projet revêt un caractère multiforme. Dès le rapport des inspecteurs Bonhoure et Hagnerelle de 2003, cette stratégie pédagogique est présentée comme complémentaire des apports disciplinaires, pour maintenir « un équilibre entre instruction et éducation » (p. 26). C’est ce qui est couramment appelé, dans la sémantique institutionnelle, les « deux jambes » de l’ÉDD (Bonhoure, Hagnerelle 2003 ; Bonhoure, Faucqueur 2004 ; MEN - DESCO 2005a ; DGESCO - IGEN 2007b). Mais tantôt la démarche de projet est présentée comme un « à côté » des enseignements au sein de dispositifs transversaux, tantôt elle doit s’inscrire dans les disciplines :

« La démarche de projet est incluse dans la démarche d’enseignement et celle-ci doit être développée dans les enseignements quotidiens. » (MEN - DESCO 2005a).

En 2003, la prise en compte de l’échelle de l’établissement était émergente, celle-ci devait être le maillon opérationnel pour organiser « les temps forts » recommandés. Les établissements qui se sont lancés ont donc suivi les recommandations internationales, en l’absence de prescriptions nationales. Dans la stratégie européenne de l’ÉDD par exemple, il était recommandé de développer les Agenda 21 scolaires (UNECE 2005, p. 7). Mais face à la multiplication des projets, l’Éducation nationale s’est positionnée en séparant le bon grain de l’ivraie et en instituant les É3D :

« Les établissements éco-responsables s’engagent à réduire leurs déchets, leur consommation d’énergie, d’eau, de papier. Ils ont une action volontariste en matière d’alimentation, de santé, de risques, de transport et d’accès à l’établissement... […]. D’autres établissements appliquent le programme d’actions pour le XXIème siècle, “agenda 21” orienté vers le développement durable qui a été adopté par les membres de l’Organisation des Nations unies à la Conférence de Rio (1992). […] Cependant, ces actions si elles impliquent d’apprendre des gestes et des comportements ne doivent pas s’y limiter, et il importe qu’elles s’appuient, dans l’école, sur une véritable démarche éducative globale. Un “établissement en démarche de développement durable” (É3D) se caractérise par l’articulation et la mise en synergie entre les différents niveaux d’action. » (MEN 2007)

Les É3D, annoncés comme conduisant à mettre en synergie les aspects administratifs, pédagogiques et territoriaux d’un établissement, fonderaient une spécificité française par l’intégration des disciplines dans des problématiques communes à l’échelle de l’établissement et par le rejet du comportementalisme. Cet aspect est à retenir, car certaines expositions ont réalisées spécifiquement pour les É3D dans le cadre de partenariats académiques. Par ailleurs, compte tenu du poids des disciplines, on comprend que les É3D, tels que conçus par l’Éducation nationale, ne relèvent pas du courant praxique de l’ÉRE. En effet, l’ancrage dans le territoire se fait essentiellement par des exemples ou des études de cas (MEN - DGESCO 2011a). Il ne s’agit donc pas de transformer le milieu, ici l’établissement scolaire ou son territoire proche, en mettant en œuvre une démarche alliant réflexion et action67

.

Un partenariat, essentiellement instrumental, mais adapté au contexte local

Une troisième prescription, qui est en lien avec la démarche de projet, concerne le recours au partenariat. Les thèmes des ressources et celui du partenariat sont souvent abordés de façon conjointe par l’Éducation nationale. Ils doivent être au service de l’institution :

67 Nous ne disons pas que dans les établissements, les É3D ne se rapprochent pas du courant praxique mais que ces aspects ne

« Les ressources et partenariats, dans leur diversité, doivent contribuer à servir les objectifs d’une éducation à l’environnement pour un développement durable, tels qu’ils sont fixés par le Ministère de l’Éducation nationale » (MEN 2004)

L’analyse des relations partenariales entre l’Éducation nationale et ses partenaires a conduit Yannick Bruxelle (2007b) puis Caroline Leininger-Frézal (2009) à conclure à son caractère instrumental : il s’agit davantage « d’avoir des partenaires » que « d’être partenaires » (Bruxelle 2004). Des évolutions récentes dans les discours du FOREDD de 2010, consacré au partenariat, auraient cependant tendance à monter une ouverture de l’École au partenariat dans une perspective de « co-construction » de séquence voire de « co-formation » (Valantin 2010a), ce qui a été en partie repris dans la circulaire de 2011, où il est question de l’élaboration d’une « culture commune » :

« La politique académique d'EDD s'appuie sur une collaboration avec les acteurs territoriaux porteurs de politiques de développement durable : services de l'État, collectivités territoriales, associations, établissements publics, centres de recherche, entreprises, etc. Ces partenariats peuvent notamment apporter leur soutien aux formations, aux projets d'école et d'établissement et à la production de ressources pédagogiques. […] La démarche partenariale permet aux différents acteurs d'élaborer une culture commune, essentielle à la mise en place « durable » d'une synergie des compétences, intérêts et projets. » (MEN - DGESCO 2011a)

Dans la partie suivante, nous aurons l’occasion de commenter ce qui est entendu par la « culture commune » en relation avec la coproduction ou la sélection de ressources, qui peut revêtir des sens très différents, entre une conformation aux injonctions de l’Éducation nationale et l’échange pour la connaissance et la reconnaissance mutuelles. Même si, dans tous les cas, des conventions ou chartes signées entre les parties fixent les règles partenariales, les gradients de positionnements observés montrent que l’Éducation nationale se situe entre « le verrouillage et l’ouverture » (Jacques Crinon, 1995 cité par (Bruxelle 2007b) ce qu’avait déjà finement analysé Yannick Bruxelle :

« Ainsi, l’institution se plie aux exigences contemporaines de partenariat, mais fait part de ses inquiétudes et exprime des recommandations pour des partenariats contrôlés, maîtrisés. Toutefois, elle ne prédétermine pas a priori une seule ligne de conduite. Elle prend ainsi le risque (en ayant conscience qu’un accompagnement méthodologique des pratiques partenariales serait nécessaire) d’autoriser une certaine souplesse laissant aux personnes sur le terrain la liberté d’être porteuses soit d’un code éthique inventé par elles et imposé aux partenaires sous couvert des textes cadres de leur institution, soit d’un cadre co-construit avec les partenaires. » (Bruxelle 2007b, p. 164)

C’est cet entre deux qui pourra aussi expliquer les logiques de sélection et de coproductions de ressources pédagogiques à des niveaux locaux, et donc sous-tendre la manière dont les expositions itinérantes sont légitimées en ÉDD.

Des stratégies éducatives hybrides entre constructivisme et positivisme

Un ensemble de prescriptions est en lien avec l’émergence du sens critique chez les élèves et l’éducation au choix. Ces objectifs reviennent de manière récurrente dans les documents étudiés. Il s’agit tout d’abord de mettre les élèves en situation de débats argumentés, tout en respectant les principes de neutralité et d’impartialité de l’école (Urgelli 2009). Pour cela, les débats doivent être fondés sur des arguments scientifiques. Par ailleurs, ils peuvent s’articuler autour de situations réelles dans des projets, des jeux de rôles, des études de cas68

, dans lesquels il s’agit de prendre en compte différentes échelles de temps et d’espace. La démarche prospective est d’ailleurs présentée comme étant la conséquence naturelle du développement durable (Hagnerelle, 2009), qui permet à l’éducation au choix de prendre son sens :

« L’EDD doit former à une démarche scientifique et prospective, permettant à chaque citoyen d’opérer ses choix et ses engagements en les appuyant sur une réflexion lucide et éclairée » (MEN 2007)

Le lien fort avec la démarche scientifique nous semble être un lien implicite entre les progrès scientifiques et techniques et la résolution de problèmes, plaçant ainsi l’ÉDD plutôt dans un cadre positiviste (Girault, Sauvé 2008). Or, dans le même temps, l’élève est invité à affirmer ses propres choix par sa propre réflexion, ce qui est plutôt constructiviste. Autrement dit, cette éducation au choix qu’est l’ÉDD est en tension entre deux modèles pédagogiques : un « hybride, entre un modèle positiviste et républicain (fondé sur la neutralité et l’objectivité scientifique) et le modèle constructiviste et critique (mobilisant les débats argumentés) » (Urgelli 2009, p. 88). Cette situation non clarifiée interroge : quelle approche, positiviste ou critique, va être privilégiée au moment de la sélection des expositions ?

Les approches minoritaires : où l’ÉDD est une éducation peu expérientielle

Présente dans le rapport de Messieurs Bonhoure et Hagnerelle, dans la SNDD de 2003 et dans la première circulaire, l’approche expérientielle par la découverte du milieu, notamment par les sorties scolaires, disparaît des circulaires de 2007 et 2011, éloignant progressivement l’ÉDD du courant humaniste, qui est caractéristique d’un courant géographique de l’ÉRE

68 Une étude de cas est un outil particulièrement recommandé aux professeurs d’histoire géographie et qui consiste à extraire,

à partir de l’étude de documents variés (carte, photographie, croquis, textes, etc.) relatifs à une situation précise et réelle, via une situation problème, des données de portée générale (Granier 2001).

(Sauvé 2003) alors que, paradoxalement, l’ancrage dans les programmes de géographie s’accentue dès 2008. La démarche de résolution de problèmes est aussi minoritaire : présente dans la circulaire de 2004, elle disparaît ensuite des textes français de la lettre et de l’esprit.

Les approches absentes : où l’ÉDD française ne s’inscrit ni dans le courant naturaliste, ni dans le courant éthique

Enfin, des approches sont recommandées en France mais pas dans l’Éducation nationale. Il s’agit de l’approche sensible et de l’approche ludique décrites dans le rapport Ricard (2004) et le rapport Bregeon (2008) mais absentes dans les textes de l’institution69

, qu’ils proviennent de la lettre ou de l’esprit. Ceux-ci mettent davantage l’accent sur la rationalité et la rigueur scientifique ; montrant ainsi un parti pris de l’Éducation nationale, qui se situe en opposition avec le courant naturaliste, qui est la référence pour caractériser l’ÉE. C’est donc un moyen pour s’en individualiser. En outre, par comparaison avec les textes internationaux (DESD et stratégie de Vilnius), des stratégies pédagogiques sont absentes dans les textes et discours français. À côté de pratiques anecdotiques comme l’utilisation spécifique des Technologies de l’Information et de la Communication en ESD70

, l’explicitation des valeurs fait défaut. Gérard Bonhoure et Christine Faucqueur parlent d’« approche amenant à développer des comportements fondés sur des valeurs » (2004, p. 66). Mais, ce sont les objectifs éducatifs qui sont associés à la notion de valeur et non pas les pratiques pédagogiques elles-mêmes. Au sein des classes, les études de cas et les débats permettent certainement aux élèves de s’interroger sur leurs valeurs mais dans les textes, nous n’avons pas vu d’association explicite entre ces méthodes pédagogiques et une démarche réflexive autour des valeurs.

Par rapport à ces absences, les expositions itinérantes peuvent être appréhendées de deux façons différentes : soit elles sont convoquées pour compléter ce qui est absent des textes, soit au contraire elles sont rejetées car elles ne correspondent pas à la manière dont l’ÉDD a été défini ce qui pose la question générale de l’adéquation des procédures de légitimation en fonction des cadres prescriptifs de l’ÉDD. Mais pour en revenir aux aspects pédagogiques de l’ÉDD, au total, l’institution conseille aux enseignants d’avoir recours à une palette variée d’approches. Est-ce que, pour autant, elles constituent des innovations pédagogiques qui permettent de fonder une spécificité de l’ÉDD ?

69 Dans la circulaire de 2004, il est indiqué que des actions concrètes permettront de développer la sensibilité chez les élèves

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