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Introduction de la première partie

III. Questions de recherche et partis pris épistémologiques

3. Appuis théoriques pour l’étude des cadres prescriptifs de l’ÉDD

3.2. Une étude ancrée dans des référents théoriques de l’ÉRE

Nous choisissons d’ancrer notre recherche en ÉDD dans des travaux de l’ÉRE, dans lesquels nous nous reconnaissons, d’une part pour avoir été formée au sein de l’école québécoise d’ÉRE50 et d’autre part, car il nous semble important de contextualiser l’ÉDD française au regard des riches travaux effectués en ÉRE. Cet ancrage est d’autant plus pertinent que nous venons d’établir que l’ÉRE prend en compte les différentes dimensions de l’environnement en incluant l’économique et le social. L’argument selon lequel l’étude de l’ESD serait restreinte par un ancrage dans l’ÉRE ne peut donc pas objectivement être tenu. Cet appui théorique s’est avéré utile sur trois points.

Une analyse de la théorie éducative de l’ÉDD institutionnelle

Nous nous inspirons largement de travaux menés par des membres de l’équipe de recherche en ÉRE de l’UQAM sur les textes fondateurs en ÉRE et en ESD (Orellana, Fauteux 2000 ; Sauvé, Berryman, Brunelle 2003), à partir desquels nous avons tiré les axes à explorer dans les textes et discours français à savoir les éléments idéologiques, éthiques, pédagogiques et stratégiques constituant l’ÉDD en France. De plus, ce sont les seules recherches qui, à notre connaissance, ont procédé à une analyse critique des fondements de l’ESD au niveau international. Nous souhaitons ainsi les compléter du point de vue français en procédant à un zoom détaillé et actualisé. Au sein de cette équipe, des thèses de doctorat ont abouti à des modèles éducationnels en ÉRE51

tous fondés sur les travaux d’Elizabeth Maccia (1965, 1966), repris par Renald Legendre (1993, 2001), qui définit une théorie éducationnelle ou éducative comme un « système validé de concepts, de connaissances et de modèles dont l’objet est d’une part, de contribuer au développement de l’éducation, et d’autre part, d’aider à expliquer, à prédire et à intervenir dans les phénomènes éducationnels ; ensemble structuré de propositions concernant l’éducation » (1993, p.1360).

Nous prenons donc le parti de considérer les documents et discours cadrant l’ÉDD comme un « ensemble structuré de propositions » (Ibid.) correspondant à une théorie éducative de

l’ÉDD conçue par les cadres supérieurs de l’Éducation nationale et dont nous cherchons à

clarifier les différentes dimensions. Mais à la différence des recherches citées, la nôtre ne vise pas à élaborer une théorie éducative, mais à tenter d’identifier les conceptions de l’Éducation

50 Nous avons suivi la formation à distance du programme court en ÉRE de l’UQAM (Université du Québec à Montréal)

durant l’année 2009.

51 Sur différents thèmes : les enjeux de la communauté d’apprentissage (Orellana 2002), le milieu communautaire urbain

nationale en matière d’ÉDD, ce qui nous amènera à y apporter des aménagements. Pour faciliter la lecture, nous présenterons les dimensions de la théorie éducative d’Élisabeth Maccia et Renald Legendre ainsi que les modifications que nous y avons apportées dans la partie suivante.

Une analyse de l’ÉDD en fonction des courants de l’ÉRE, pour un croisement avec les objectifs éducatifs des expositions légitimées en ÉDD

Nous analysons les cadres prescriptifs de l’ÉDD au regard des différentes typologies établies en ÉRE. D’une part, le décentrage permis par ce cadre de référence nous paraît fructueux pour identifier précisément les attributs de l’ÉDD, qu’ils relèvent de la lettre ou de l’esprit. D’autre part, cette caractérisation nous permet de faire le lien avec l’analyse des objectifs éducatifs des expositions itinérantes, définis suite aux travaux de l’équipe du MNHN (Girault et al. 2008 ; Quertier, Girault 2011 ; Zwang, Girault 2011), en référence aux différents courants de l’ÉRE (tableau 28). Ainsi, nous pourrons examiner l’adéquation entre les objectifs éducatifs des expositions légitimées par l’Éducation nationale et les cadres prescriptifs.

Parmi les 15 courants décrits par Lucie Sauvé (Sauvé 1997, 2003), dont le courant de la durabilité, nous faisons le choix d’en retenir 10. En effet, d’après des travaux antérieurs sur l’ÉDD (Girault, Fortin-Debart 2006 ; Leininger-Frézal 2009 ; Urgelli 2009) nous pouvons d’emblée affirmer que les courants féministe, ethnographique, de l’éco-éducation, bio- régionaliste – que nous ne développerons pas ici, renvoyant le lecteur à la publication citée – ne font pas partie des références par rapport auxquelles se positionne l’Éducation nationale. Nous prenons aussi le parti de ne pas prendre le courant de la durabilité tel que décrit d’emblée par Lucie Sauvé puisque c’est notre objectif de le caractériser. De manière à poser des jalons clairs pour l’analyse des expositions légitimées en ÉDD, nous relions les éléments de cette typologie aux travaux de Ian Robottom et Paul Hart (1993) ainsi qu’à ceux de A.M. Lucas (1980), en ayant toutefois conscience que nous simplifions la manière dont tous ces courants ont été identifiés. Brossons le panorama de ces courants.

Les courants systémique et scientifique sont marqués par une approche essentiellement rationnelle, cognitive : analyse de systèmes environnementaux, étude de phénomènes naturels, mise en œuvre d’expériences à travers une démarche hypothético-déductive. Les conceptions de l’environnement qui y sont associées sont l’environnement comme système, c’est-à-dire, d’une part, comme un ensemble dont les éléments sont reliés et étudiables et d’autre part, comme objet d’étude accessible par l’expérience. Dans les deux cas, il s’agit avant tout

d’acquérir des connaissances au sujet de l’environnement, selon la typologie de Lucas (1980). Selon la typologie de Ian Robottom et Paul Hart (1993), il s’agit d’une approche positiviste. Le courant naturaliste est représentatif de l’approche sensible et affective. La conception de l’environnement qui y est associée est un environnement-nature ayant une valeur intrinsèque, renvoyant à une éthique biocentrique de l’environnement (Larrère 1997) et avec lequel il faut recréer un contact. Il consiste, entre autres, à mettre les individus en immersion dans la nature, pour engager un processus de reconstruction des liens avec elle. C’est une éducation par l’environnement (Lucas 1980). Cette approche est également qualifiée d’interprétative (Robottom, Hart 1993). À l’opposé, les courants ressourciste et résolutique, s’attachent, respectivement, à adopter des comportements de bonne gestion de l’environnement, et à développer des habilités de résolution de problèmes environnementaux. L’environnement y est perçu, dans le premier cas, comme une ressource dans laquelle les humains peuvent puiser et dans le deuxième cas, comme un problème à résoudre, deux conceptions ancrées dans une éthique anthropocentrique de l’environnement (Larrère 1997). En complément d’une approche cognitive, l’approche pragmatique liée à la résolution de problèmes marque une volonté d’éduquer aussi pour l’environnement (Lucas 1980), pour l’améliorer.

D’autres courants développent des approches intégrant toutes les dimensions de la personne, à la fois cognitive et affective. Le courant holistique est basé sur une conception de l’environnement global c’est-à-dire comme « réseau de relations qui relie les êtres entre eux dans des ensembles où ils prennent sens » (Sauvé 2003, p. 8), reposant sur une éthique écocentrique de l’environnement (Larrère 1997). Étant donné que ce courant est basé sur une éducation par et dans l’environnement, nous l’accolons à l’approche interprétative. C’est aussi à ces catégories que nous prendrons la liberté de relier le courant humaniste car, bien que son éthique soit anthropocentrique, il est basé sur une étude du milieu dans lequel les personnes sont immergées pour en comprendre les constituants naturels et culturels (par l’étude du paysage notamment) dans l’objectif de développer un sentiment d’appartenance au milieu. Le courant éthique, lui, met au centre de l’éducation, l’analyse et la clarification des valeurs, modalités également utilisées dans le courant de la critique sociale (Robottom, Hart 1993). Ce dernier, très politique, est basé sur une conception de l’environnement comme lieu d’émancipation, et a pour objectif de transformer les réalités en analysant les dynamiques aux fondements des problèmes environnementaux et sociaux. C’est donc une éducation pour l’environnement (Lucas 1980). Enfin, le courant praxique qui allie action et réflexion a pour objectif également de transformer le milieu dans lequel les personnes développent un projet.

De plus, la pensée réflexive qu’il permet de développer est une forme d’approche critique, nous le relions donc, en simplifiant, au courant de la critique sociale (Robottom, Hart 1993). Le tableau 1 résume et met en relation les différentes typologies présentées.

Tableau 1 : Courants, conceptions de l’environnement, catégories d’éducation relative à l’environnement (repris et complété de Girault, Sauvé 2008, p. 9).

Courants d’ÉRE selon Sauvé (2003) Conceptions de l’environnement selon Sauvé (2003) Catégories d’ÉRE selon Lucas (1980) Catégories d’ÉRE selon Robottom et Hart (1993) Objectifs

privilégiés Objet central

Systémique Système Éducation au sujet de l’environnement Approche positiviste Acquérir des

connaissances Les savoirs Scientifique Objet d’étude

Ressourciste Ressource Éducation pour l’environnement Adopter des comportements et des attitudes favorables à l’environnement Les comportements Résolutique Problème

Critique d’émancipation Lieu

Approche de la critique sociale Transformer les pratiques sociales à partir d’investigations et de choix collectifs Le changement social Éthique Creuset de valeurs

Praxique Creuset d’action et de réflexion Naturaliste Nature Éducation par et dans l’environnement Approche interprétative Construire un lien d’appartenance entre la personne et l’environnement : favoriser l’empathie envers les autres vivants, développer des valeurs environnementales La personne et son rapport à l’environnement Holistique Un Tout

Une analyse fondée également sur une typologie préexistante en ÉDD

Dans leur état des lieux et des perspectives en matière d’ÉRE à l’échelle nationale, Yves Girault et Cécile Fortin-Debart (2006) avaient proposé en 2006 une typologie de l’ÉDD, à partir de l’étude des actions menées dans les milieux formels et non formels. Au sein de l’École, ils se sont basés sur l’analyse des actions éducatives menées entre 2003 et 2005, pendant la phase d’expérimentation et la première année de généralisation. Largement inspirée de la typologie de Lucas, ils ont distingué :

- une éducation au sujet du développement durable basée sur l’acquisition de savoirs relatifs au développement durable ou à des thématiques du développement durable, ils identifiaient de nouvelles thématiques par rapport à l’ÉRE, comme la responsabilité sociale des entreprises, l’aménagement du territoire, le commerce équitable, les énergies « durables », la gestion des ressources ;

- une éducation à la solidarité fondée sur une ouverture culturelle et des actions solidaires envers des pays en développement ;

- une éducation pour le développement durable dans une approche positiviste c’est-à-dire une éducation aux comportements en fonction de discours d’experts ;

- une éducation pour le développement durable dans une approche critique et sociale impliquant les élèves dans un projet de transformation du milieu ou dans des débats ayant pour thème le développement durable.

Cette typologie permettra d’enrichir notre analyse et de discuter des cadres prescriptifs.

Conclusion

L’origine politique de l’ÉDD nous a conduit à prendre le parti d’une analyse de la théorie éducative de l’institution par ses cadres prescriptifs, que nous avons distingués en deux entités, l’une prescriptive stricte, l’autre en cortège. Considérer la lettre d’un côté et l’esprit de l’autre, c’est poser un cadre de questionnements permettant d’examiner leurs résonnances et leurs dissonances. En leur sein, les propositions de l’Éducation nationale seront analysées par le prisme des cadres théoriques de l’ÉRE, permettant tout à la fois, de dégager des spécificités éventuelles de l’ÉDD, que l’institution place au niveau pédagogique, et de construire les bases sur lesquelles nous pourrons fonder l’étude des expositions itinérantes légitimées pour l’ÉDD. La question étant de savoir dans quelle mesure les orientations éthiques, pédagogiques et stratégiques de l’Éducation nationale sont prises en compte dans les procédures de légitimation des expositions.

Chapitre 2 – Analyse des cadres prescriptifs de l’ÉDD

institutionnelle : la lettre versus l’esprit

Dans ce court chapitre, nous présentons la manière dont nous avons élaboré et organisé le corpus en fonction des deux catégories que sont la lettre et l’esprit ainsi que les dimensions de notre grille d’analyse. Nous discutons aussi des limites de notre analyse, liées entre autres au positionnement axiologique qu’il a fallu trouver tout au long de cette recherche, où nous avons été à la fois enseignante fonctionnaire et apprentie chercheur sous contrat doctoral.

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