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Conclusion : quelle généralisation ; quelle révolution pédagogique ?

II. Analyse de la dimension téléologique de l’ÉDD

1. Des objectifs éducatifs peu clarifiés, aux prises avec les objectifs stratégiques

Lorsque la lettre est en cohérence avec l’esprit, deux compétences sont mises en avant de façon récurrente aux niveaux national et international, tant dans la lettre que dans l’esprit : - la réflexion critique : conduire l’élève à aiguiser ses capacités de discernement, de mise à

l’épreuve des assertions, ce qui est en lien avec la volonté d’éduquer au jugement ;

- la réflexion systémique : par la mise en relation des domaines du développement durable, il s’agit de raisonner dans une approche intégrée des problématiques ; dont nous avons déjà montré les limites d’épanouissement dans les conditions de mise en œuvre effective de l’ÉDD.

Former des citoyens autonomes et responsables de leurs choix est un leitmotiv de l’Éducation nationale présent dans la lettre. Les professeurs sont invités à mettre les élèves dans des situations les amenant à développer prise de conscience, autonomie, créativité, responsabilité, coopération et initiative, et ceci au sein des disciplines. Il s’agit de faire naître chez les élèves des capacités d’échange et d’écoute, des capacités à débattre, à argumenter, à problématiser, tout en éveillant chez eux les aptitudes à « reconnaître et à accepter l’incertain, à assumer le doute » (Bonhoure, Faucqueur 2004, p. 66). Ce faisant l’Éducation nationale semble s’éloigner d’une éducation comportementaliste. Or l’étude des textes montre une ambiguïté sur ce point et sur les conditions de possibilité de la réflexion critique.

1.1. L’ambiguïté des textes autour de l’objectif comportementaliste

Que ce soit dans les textes de l’esprit ou dans ceux de la lettre, l’Éducation nationale déclare ne pas s’inscrire dans le comportementalisme tout en n’écartant pas très clairement l’éducation aux gestes. La finalité qui consiste à changer les comportements est inscrite dans la lettre par « la nécessité pour tous d’adopter des comportements propices à la gestion durable de celui-ci ainsi qu’au développement d’une solidarité mondiale. » (MEN 2004) et il est clairement écrit qu’à l’école primaire, « l’éducation au développement durable est fondée sur l’acquisition de connaissances et de comportements » (MEN 2004). Dans la circulaire de 2007, commentant les démarches de développement durable conduites aux échelles de l’établissement, il est bien indiqué que « ces actions si elles impliquent d’apprendre des gestes et des comportements ne doivent pas s’y limiter, et il importe qu’elles s’appuient, dans l’école, sur une véritable démarche éducative globale. » (MEN 2007). En indiquant que l’inculcation de geste n’est pas une éducation, ils ne sont pas rejetés pour autant. Ceci montre que l’ÉDD reste une éducation pour le développement durable80

(Girault, Fortin-Debart 2006 ; Girault 2010) : un changement est attendu.

Dans l’esprit, des contradictions sont marquées, par exemple, dans le rapport Bonhoure et Hagnerelle, entre une mise à distance du comportementalisme, comme en éducation à la sécurité pointée comme « souvent réduit[e] à des objectifs de comportement » (Bonhoure, Hagnerelle 2003, p. 10) et des propos qui prônent la démarche de projet comme un moyen d’acquisition des comportements :

« La démarche de projet constitue un outil adapté à l’acquisition d’une véritable culture de l’environnement, susceptible de déboucher sur l’adoption de comportements lucides, solidaires, responsables aux niveaux individuel et collectif. » (Bonhoure, Hagnerelle 2003, p. 12)

Le rapport de Gérard Bonhoure indique également qu’il vaut mieux « apprendre à agir » que « d’inculquer des comportements » (Bonhoure 2008, p. 6), mais n’exclut pas que les élèves aient à observer « le respect d’un point de règlement intérieur portant sur un geste de développement durable ! » (Bonhoure 2008, p. 20).

De manière générale, dans l’esprit, on trouve des incitations très claires au comportementalisme, surtout dans les textes extérieurs à l’Éducation nationale. Dès le

80 Ce qui n’est pas sans rappeler les courants d’éducation pour l’environnement qui se sont développés dans les années 1990,

dont un des témoignages est le changement de dénomination des CPIE : de Centre Permanents d’Initiation à l’Environnement, ils ont été renommés Centre Permanents d’Initiatives pour l’Environnement (Girault, Fortin-Debart 2006, p. 19).

chapitre 36 de l’Agenda 21, il est question de développer « des attitudes, des compétences et un comportement compatibles avec le développement durable » ce que le rapport Coppens reprend en indiquant que la Charte portera sur « l’obligation d’orienter et de modifier ses comportements individuels ou collectifs » (2003, p. 20). De même, une page du site Éduscol rédigée par Hervé Kéradec81

et Michel Popoff82

donne à lire que « les femmes, les hommes et surtout les enfants doivent apprendre ces gestes quotidiens salutaires à long terme. » (DGESCO - IGEN 2009a). Enfin, une circulaire spécifique fait la promotion de la cinquième édition de la semaine du développement durable (MEN - DGESCO 2007a), ce qui incite clairement à s’inscrire dans ce cadre. Or les thèmes des années 2010 et 2011 étaient clairement : « Changeons nos comportements ! ». Le comportementalisme étant très inscrit dans l’esprit, nous pensons que les ambiguïtés, qui ne conduisent pas à ce que soit clairement écrit dans la lettre : « l’éducation aux gestes est à proscrire », reposent sur le présupposé que les changements de comportements viendront de l’acquisition des connaissances.

1.2. Le présupposé de la lettre, inscrit dans l’esprit : connaître pour agir

L’acquisition de connaissances est dès le départ un enjeu important en ÉDD – que ce soit dans l’éducation formelle ou non formelle – qui a été articulé dans les documents de l’esprit avec l’acquisition de comportements responsables, indicateur du penchant positiviste de l’ÉDD (Girault, Sauvé 2008) (nous soulignons) :

« Chacun a besoin, pour adopter un comportement qui ne porte pas atteinte à l'environnement, voire y soit favorable, de connaître les conséquences de ses gestes et choix. L’homme bien informé peut

prendre des mesures pour modifier ses comportements, ses modes de consommation et de production

de manière à assurer la sauvegarde et l’amélioration de la qualité de son cadre de vie et de celui des générations futures. » (Coppens 2003, p. 22).

Le lien entre connaissance et comportement est également réalisé dans la lettre quand il est écrit que les objectifs éducatifs de l’ÉDD sont de « permettre [aux élèves] d’acquérir des connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et [d]’y agir de manière responsable » (MEN 2004). Les connaissances doivent permettre aux élèves de mesurer « les conséquences de leurs actes sur l’environnement » (MEN 2007). L’ancrage de l’ÉDD dans les connaissances va se renforcer au cours du temps.

Le premier jalon se situe dans la lettre à partir de la circulaire 2007, quand un lien s’établit entre les connaissances relatives au développement durable et les « savoirs fondamentaux » (MEN 2007) par l’inscription de l’ÉDD dans le socle commun de connaissances et de compétences, dont les compétences citées en référence sont la « responsabilité face à l’environnement, au monde vivant, à la santé »83

et « comprendre l’unité et la complexité du monde »84

(MEN - DGESCO 2008, p. 14). Par l’identification de champs évaluables en ÉDD, il fournit aux enseignants un outil formel à spectre disciplinaire mais aussi interdisciplinaire, ce que Gérard Bonhoure met en avant dans son rapport avec les compétences 6 et 7 c’est-à- dire « les compétences sociales et civiques » et « l’autonomie et l’initiative » qui seront reprises dans la troisième circulaire (MEN - DGESCO 2011a). Ces compétences très générales comme « manifester curiosité, créativité, motivation, à travers des activités conduites ou reconnues par l’établissement » ou « assumer des rôles, prendre des initiatives et des décisions » (MENJVA - DGESCO 2011b) ne se réfèrent cependant pas dans la lettre du socle, ni explicitement ni exclusivement à l’ÉDD.

Les transformations de la compétence 3 au cours des versions successives du socle commun de connaissances et de compétences conduisent à une réduction de la rationalité aux seules connaissances, ce que montre le remplacement de l’item « l’appréhension rationnelle des choses développe les attitudes [de] responsabilité face à l’environnement » (MEN - DGESCO 2008, p. 14) par « l’élève doit […] justifier, grâce aux connaissances qu’il a acquises, les attitudes responsables à avoir en matière d’environnement et de développement durable » (MENJVA - DGESCO 2011b, p. 17), inscrit dans un champ spécifique « environnement et développement durable ». De plus, ce dernier, loin d’être transversal est confiné à la compétence 3, relative aux mathématiques, aux sciences et aux techniques. L’ancrage positiviste de l’ÉDD est également marqué dans la compétence 5, « la culture humaniste », qui précise que les élèves doivent avoir « des connaissances et des repères », « relevant de la culture civique » dont un des thèmes est le développement durable (nous soulignons) :

« L’élève connaît les principales références qui fondent les questions politiques, sociales, éthiques, économiques, environnementales et culturelles qui animent le débat public :

Il sait définir et mobilise à bon escient le vocabulaire utile. Il est capable de se référer à certaines

notions complexes (Etat, démocratie, mondialisation, développement durable, etc.) soit en repérant

leur expression, explicite ou suggérée, dans des documents, soit en les citant spontanément à l'appui d'un propos. » (MENJVA - DGESCO 2011b, p. 23)

83 Item de la compétence 3 i.e. « les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique ». 84 Item de la compétence 5 i.e. « la culture humaniste ».

Dans cette compétence, la précédente formulation « comprendre l’unité et la complexité du monde par une première approche [...] du développement durable » (MEN - DGESCO 2008) a fait place à une acquisition de connaissances qui servent davantage à repérer qu’à expliquer. Le deuxième jalon se situe dans l’esprit, par la mise en cohérence en 2010 de la totalité des objectifs de la SEDD85 (Conseil de l’Union Européenne 2006) avec la deuxième SNDD en particulier. Jusqu’à présent, la SNDD (CIDD 2003, 2006) avait sa propre architecture (cf. annexe 5). En 2003, les liens entre développement durable et École se limitaient à la mise en place de l’ÉEDD dans l’unique perspective de la formation des « citoyens de demain » (CIDD 2003, p. 1). En 2006, des évolutions avaient conduit à l’ajout d’une dimension d’éducation fondamentale dans la SNDD - l’« accès de l’éducation pour tous » - et la dimension « développement durable » de l’École s’affirmait également par le développement des réseaux ambition réussite et l’accueil des élèves handicapés. En 2010, c’est dans la « société de la connaissance », appellation issue de la SEDD, que les orientations stratégiques en matière d’éducation et de formation relatives au développement durable sont exposées, plaçant ainsi l’ÉDD sous la coupe des savoirs à acquérir.

On peut donc faire l’hypothèse que les logiques de légitimation des expositions en ÉDD seront marquées par la recherche de contenus comportant des connaissances aptes à alimenter les changements de comportements qui sont finalement attendus.

1.3. L’émergence des « compétences développement durable » ou l’imbrication

des objectifs éducatifs avec les objectifs stratégiques

En 2008, les « compétences développement durable » (Bregeon, Faucheux, Rochet 2008, p. 8) font leur apparition, en cohérence avec les « compétences en matière de développement durable » (UNECE 2005, p. 2) introduites dans la stratégie européenne d’ÉDD. Dans sa partie relative à la « société de la connaissance », la SEDD insiste sur le développement par l’éducation de « compétences essentielles [...] nécessaires pour parvenir au développement durable » (Conseil de l’Union Européenne 2006, p. 22), qu’elle traduit ensuite par :

« Une éducation propre à doter les femmes et les hommes de compétences qui accroissent leur employabilité et débouchent sur des emplois d’une qualité élevée est également essentielle pour renforcer la compétitivité de l’U.E » (Conseil de l’Union Européenne 2006, p. 22).

La DEDD avait déjà fixé comme but « l’acquisition de compétences intellectuelles plus élevées » et vise la capacité de « flexibilité de la population active », au même titre que l’acquisition de compétences de dialogue, de tolérance, et de « gestion de l’environnement » (UNESCO 2005b, p. 36). Présentées sur le même plan que d’autres objectifs éducatifs, les notions d’employabilité, de compétitivité et de flexibilité relèvent davantage d’objectifs stratégiques de développement de compétences attendues par le marché du travail que de pédagogie. Le rapport Bregeon précise d’ailleurs :

« Les entreprises sont en demande de jeunes formés au développement durable ou plus précisément de jeunes issus de formations les conduisant à des métiers concourant au développement durable. » (Bregeon, Faucheux, Rochet 2008, p. 10)

Ces proposition sont nées de l’amalgame entre objectifs éducatifs et objectifs stratégiques. Il s’agit de faire réussir l’ÉDD, identifiée comme un axe de la stratégie nationale (les mots en gras sont ainsi marqués dans le texte) :

« Il n’y a pas de stratégies sans hommes pour les conduire ; l’éducation au développement durable, c’est en quelque sorte le volet « compétences » et « ressources humaines » de la politique de

développement durable. Il faut souligner ici que l’éducation au développement durable nécessitera de

produire un effort considérable de formation à l’échelle du pays, et que la réussite de l’éducation au

développement durable est la clef de l’efficacité de la politique nationale de développement durable. »

(Bregeon, Faucheux, Rochet 2008, p. 4)

Ce rapport préfigure des changements stratégiques observés au sein de l’esprit, qui conduisent l’ÉDD à passer d’une éducation du futur citoyen à celle du futur acteur économique.

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