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ancrée dans l’histoire de l’éducation formelle

II. La légitimation de l’exposition itinérante comme média éducatif pour l’ÉDD : une problématique transdisciplinaire

2. Ancrages théoriques d’un problème de recherche transversal aux sciences de l’éducation et aux sciences de l’information et de la communication

2.4. La place de l’énonciation éditoriale dans la circulation des idées

Dans cette étude qui interroge la circulation sociale des idées via des supports de communication, nous observerons le rôle de l’énonciation éditoriale. Ce concept a été élaboré par Emmanuel Souchier, dans le cadre de l’analyse du livre. L’énonciation éditoriale est à

l’origine de « l’image du texte » (Souchier 1998) dans un double sens d’objectalité du texte109 et de notoriété du contenu, à l’origine donc d’une potentielle légitimation :

« La fonction du « texte second »110 consiste à donner à lire le « texte premier », sa signification (la

connotation) nous renvoie à l’idéologie littéraire et textuelle d’une époque donnée. Les signifiés de connotation sont les effets de légitimité textuelle liés aux usages qui se sont constitués au fil de l’histoire. Au delà de ses qualités intrinsèques et de la notoriété personnelle de son auteur, par exemple, la « scientificité » ou la « recevabilité » d’un article dépendra du support qui le publiera » (Souchier 1998, p. 144)

Les « marques d’énonciation éditoriale » (Souchier 1998, p. 142) sont les traces laissées par l’éditeur ou plutôt l’editor qui « établit la genèse d’un texte, l’annote et le présente (on songera au sens américain du terme éditeur). » (Souchier 1998, p. 144). Elles signent la prise en charge de la responsabilité du contenu. Parmi les caractéristiques de l’énonciation éditoriale énoncées par Emmanuel Souchier, il y a la dimension « infra-ordinaire » (Perec cité par Souchier 1998, p. 141) c’est-à-dire que ces traces des multiples interventions réalisées sur le texte semblent s’effacer derrière l’auteur. Or, lorsque l’on s’intéresse aux expositions, ce propos est à nuancer.

En muséologie, Joëlle le Marec et Roland Topalian (2003) ont introduit le concept d’énonciation éditoriale 111

en considérant l’exposition comme un « objet textuel polyphonique ». Ils indiquent que, contrairement au livre, « la dimension polyphonique n’est pas occultée, mais au contraire, elle reste manifeste au visiteur : l’objet textuel considéré exprime spectaculairement son élaboration plurielle » (p. 12), ce qui, à notre avis, a pour effet d’ôter en partie la dimension infra-ordinaire, banale de l’énonciation, d’autant plus que l’image du texte est fortement travaillée pour faciliter la prise d’informations par le visiteur112

. À l’échelle de l’exposition, cette élaboration à plusieurs corps de métiers (scénographes, éclairagistes, graphistes, concepteurs multimédias, etc.) est fondue derrière « l’institution qui a le pouvoir de mettre en forme le système de communication et d’assumer l’autorité éditoriale. » (p. 15).

Cette « autorité éditoriale » se fait souvent connaître au sein des expositions par la marque visuelle qui signe son identité : le logotype, qui a pour objectif d’« assure[r] la

109 Aspect sur lequel nous reviendrons au moment de l’analyse des expositions proprement dites. 110 Issu de l’action des différents énonciateurs, nous y reviendrons.

111 Parallèlement à Annie Gentès (2003) qui, à partir de ce concept, a fondé celui d’énonciation « curatoriale » (le curateur est

le conservateur en québécois) qui désigne la mise en espace des objets pour une anticipation de leur lecture.

reconnaissance et la bonne attribution de l’entreprise [ou d’un autre organisme] […] elle exprime la spécificité de celle-ci » (Floch 2010, p. 43). Par exemple, du premier coup d’œil, reconnaît-on une exposition produite par l’ADEME car tous les panneaux contiennent son logotype. Elle affiche ainsi son autorité sur le contenu dont elle assume la responsabilité éditoriale. Dans cette thèse, nous désignons par producteur d’exposition l’acteur social qui

a l’autorité éditoriale lors de la réalisation de l’exposition, que nous préférons au terme de

concepteur, car il rend mieux compte de l’insertion de ces expositions dans une industrie culturelle.

Convoquer le concept d’énonciation éditoriale, c’est aussi s’interroger sur les rapports de pouvoir à l’œuvre. L’entrée des expositions itinérantes dans le milieu scolaire n’est pas qu’une question de mobilité ou d’occupation du territoire géographique. La légitimation éducative des expositions est liée à des rapports de pouvoirs pour occuper l’espace de l’École, comme espace symbolique de communication (Lamizet 1992) dans lequel le média exposition est en interaction avec les élèves. Les processus de légitimation éducative des expositions donnent à voir comment se structure cet espace, qui, parce qu’il est aussi territorialisé dans l’École, devient peut-être plus que tout autre lieu investi comme objet de savoir capable d’imprimer sa marque dans l’esprit de l’élève :

« La mémoire de l’espace va donner à ceux qui la détiennent une véritable culture : l’espace, objet de savoir, va devenir l’objet d’une culture, assumée en tant que telle par le sujet qui en est porteur. » (Lamizet 1992, p. 31)

Dans les lignes précédentes, nous avons montré que notre problème de recherche, construit autour de la légitimité éducative des expositions itinérantes, à la fois médias et ressources pédagogiques, est transversal aux champs des sciences de la communication et de l’information et des sciences de l’éducation. Nous avons vu comment les tenants et les aboutissants de ce problème résonnent d’un champ à l’autre. Les entrées sont différentes pour chaque discipline (l’une est centrée sur les savoirs, l’autre sur leur circulation) mais l’intérêt de cette transversalité – en prenant les risques de déplaire ou de tomber dans l’amalgame – est qu’elle nous permet d’élaborer plusieurs pistes de recherche : les processus de légitimation

des expositions itinérantes comme ressources pédagogiques pour l’ÉDD reposent-ils sur la sélection de contenus précis au regard des prescriptions de la lettre de l’ÉDD ? Sur une demande sociale ? Sur des processus plus politiques ? Sur d’autres critères ? Comment une exposition acquiert-elle un logotype de l’Éducation nationale ? En quoi ces procédures

nous informent-elles sur la manière dont des savoirs, des représentations et des valeurs sont autorisés symboliquement à pénétrer dans l’École ?

Conclusion

Retraçant les éléments historiques qui ont conduit à l’entrée d’objets et d’expositions dans le milieu scolaire, nous avons établi que l’éducation par les yeux en milieu scolaire s’apparentait à l’art social et avait pour objectif la promotion de valeurs. Les expositions itinérantes qui circulent dans l’École aujourd’hui sont-elles au fond si différentes ? À l’époque il s’agissait par exemple d’honorer le travail et d’inciter à l’hygiène, aujourd’hui ne s’agirait-il pas de promouvoir des comportements éco-citoyens ? À moins qu’au contraire, elles ne s’apparentent plus aux leçons de choses et soient avant tout des véhicules de connaissances scientifiques ? Leur étude autant d’un point de vue informationnel (thèmes et angle avec lequel ils sont abordés, entre autres) que communicationnel (formes matérielles et choix des supports visuels, notamment) nous permettra d’établir quelques ponts, d’autant plus qu’hier comme aujourd’hui, les modèles socio-économiques choisis par les producteurs et les alliances qu’ils cherchent à établir avec l’institution vont largement présider à leur circulation en milieu scolaire. Mais intéressons-nous tout d’abord aux modalités qui sont à l’origine de la sélection, de la publicisation et de la coproduction d’expositions par l’Éducation nationale.

Chapitre 6 – Les médias éducatifs pour l’ÉDD : un enjeu pour

l’Éducation nationale

La mise à disposition de ressources pédagogiques validées pour l’ÉDD représente un enjeu pour l’Éducation nationale. Elle affiche en effet une forte volonté de sélectionner et de faire connaître des ressources pertinentes pour cette éducation. Par ailleurs, les membres des communautés éducatives peuvent faire venir des expositions dans leurs écoles et leurs établissements indépendamment de toute recommandation institutionnelle, selon le principe de la liberté pédagogique. Cependant l’institution les incite fortement à recourir à des ressources repérées par ses services, lesquels veillent aussi à ce qu’elles s’inscrivent dans les missions de service public. La gratuité pour l’élève en fait partie. Quels sont donc les circuits de diffusion et les voies de publicisation des expositions ? Dans quel contexte cette organisation se met-elle en place ? Après avoir présenté notre méthodologie d’enquête de terrain, nous répondrons à ces deux questions dans une présentation de nos premiers résultats.

I. L’enjeu de l’Éducation nationale : la conformité des médias

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