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Conclusion : quelle généralisation ; quelle révolution pédagogique ?

II. Analyse de la dimension téléologique de l’ÉDD

3. La dimension téléologique de l’ÉDD en questions

La portée philosophique de la discussion autour des finalités de l’École dans le cadre de l’ÉDD mériterait à elle seule un développement approfondi93

. Nous souhaitons juste, au terme de notre analyse, esquisser le problème que soulèvent les contradictions entre les finalités déclarées et les finalités réelles de l’ÉDD se dessinant ces dernières années. Depuis le 19ème siècle, la finalité éducative de l’Éducation nationale est de former des citoyens autonomes et responsables (Martinez 2008). Les éducations à, dont l’ÉDD, incarnent cet objectif (cf. annexe 5), les inscrivant dans une « citoyenneté à la française » (Tutiaux-Guillon, 2006), comme le montre cet extrait du programme de SVT du collège :

92 Dans la deuxième circulaire, elles sont uniquement citées entre parenthèse, à côté d’autres « acteurs civils » (MEN 2007). 93 Sur les fondements philosophiques des finalités dans le cadre de l’ÉE et de l’EDD, nous renvoyons le lecteur au rapport de

« L'éducation à la santé et celle au développement durable sont l’occasion d’amener l’élève à prendre conscience que les sujets abordés soulèvent des questions d’éthique et à acquérir responsabilité et autonomie. » (MEN 2008b, p. 34)

Bien que fondée sur une vision positiviste de l’éducation (le primat des connaissances et le changement des comportements), l’intention affichée est bien l’autonomie c’est-à-dire littéralement le droit de suivre une loi (nomos) que l’on se fixe à soi-même (auto). Il existe plusieurs acceptions de cette notion, nous l’entendons « comme finalité éducative de l’émergence de la personne, comme soi réflexif, en relation avec les autres, qui a intériorisé les limites du respect de la loi, et qui construit en permanence, par la médiation des pratiques éducatives et symboliques, un processus d’identification qui le rapproche et le distingue de l’autre. » (Martinez 2008, p. 41). Or, la finalité du développement durable, qui impose une éthique environnementale anthropocentrique (Sauvé 2000 ; Maris 2006a ; Bergandi, Blandin 2012) et qui permet une instrumentalisation de l’éducation d’autant plus efficace du fait de sa plasticité, remet en cause ce dessein d’autonomie des individus, revendiqué par l’École républicaine (Girault 2010). En particulier sous sa forme de croissance verte, elle entrave l’épanouissement de formes alternatives qui pourraient émerger (sans certitude) d’une liberté permise par une éducation aux choix d’une éthique environnementale et d’un modèle économique de société. Michel Soëtard et Renaud Hétier affirment que « la finalité [en éducation] ne doit pas cesser d’être pensée sous l’égide de la liberté » (2003, p. 64). Autrement dit en éducation, il s’agit moins de « modeler selon une idée préconçue, que de faire produire à la matière humaine même sa forme en liberté, sa forme qui est liberté. » (Ibid.). La réduction du champ des possibles par la finalité prédéterminée ne place pas malheureusement pas l’ÉDD sous le signe d’une véritable « éducation au choix ». C’est là que réside une de ses spécificités.

En ÉDD, l’introduction du développement durable comme finalité la rend dépendante de ses différentes interprétations. Sans minimiser les instrumentalisations possibles d’autres éducations à, comme, par exemple, l’éducation à la citoyenneté en fonction des droits et des devoirs que l’Éducation nationale souhaite voir enseigner, nous pensons que la spécificité de l’ÉDD tient dans l’extrême labilité de l’objet qui lui a donné naissance. La malléabilité du développement durable permet de servir des projets politiques très différents. Et c’est en cela qu’elle se différencie de l’ÉE car le terme « d’environnement », aussi polysémique qu’il soit, ne comporte pas en soi les éléments qui empêchent de penser la relation à l’environnement autrement que par le prisme du développement. L’ÉDD est elle-même construite sur

l’oxymore de la liberté de choix dans un périmètre restreint, ce que la stratégie de Vilnius résume très bien par (nous soulignons) :

« L’éducation en vue du développement durable peut contribuer à la réalisation de notre dessein [le développement durable]. Elle développe et renforce la capacité des individus, des groupes de personnes, des collectivités, des organisations et des pays à former des jugements et à faire des choix

qui vont dans le sens du développement durable. » (UNECE 2005, p. 1)

La comparaison entre ÉE et ÉDD (cf. annexe 5) montre, premièrement, que le développement d’une politique partenariale, la formation des personnels voire même les métiers de l’environnement étaient déjà présents en ÉE. Cependant, en ÉDD, la dimension métier s’est redéployée sous la croissance verte, ce qui est une spécificité. De plus, la généralisation effective de l’ÉDD a été identique à celle de l’ÉE : l’entrée du développement durable dans les programmes au même titre que l’environnement y était déjà entré sous l’ÉE et des projets (dont les E3D), qui n’ont rien d’obligatoire, ne changeant pas fondamentalement le fait que les élèves, sous l’ÉE devaient bénéficier d’un projet au minimum une fois dans leur scolarité. En ÉE, les objectifs éducatifs se situent dans la compréhension, la résolution de problèmes et les objectifs de connaissances au sujet de l’environnement ; en ÉDD, les objectifs éducatifs sont essentiellement des objectifs de connaissances et d’éduquer au choix. Les compétences et attitudes à développer sont transversales aux éducations à comme par exemple les compétences sociales et civiques et celles relatives à l’autonomie et à l’initiative. En comparant avec l’ÉE, les points communs sont aussi nombreux : le développement de l’esprit critique, la prise de conscience et la responsabilité.

Cependant, dans les termes, la posture de responsabilité est différente entre ÉE et ÉDD. En ÉE, la responsabilité « à l’égard de l’environnement » (MEN, 1977) se traduit essentiellement par des mots qui ne renvoient pas à une attitude agissante : l’élève « regarde(ra) sans rien perturber », « évite de détruire », « limite(r) [s]es prélèvements », consacre « des temps d’observation » et apprend à « s’abstenir de toute destruction ou perturbation inutiles » et à « éviter le gaspillage ». En ÉDD, la responsabilité « face à l’environnement » (MEN, 2007) se traduit par contre par de l’action : il faut « y agir de manière responsable », « adopter des comportements propices à la gestion durable », « engendrer des comportements responsables », « privilégi[er] des situations concrètes qui développeront chez les élèves la sensibilité, l’initiative, la créativité, le sens des responsabilités et de l’action » (MEN, 2004). La relation induite entre l’élève et son environnement est différente : d’un côté, l’environnement est le facteur agissant sur les sens de l’élève, de l’autre c’est l’élève qui agit

sur l’environnement. Dans la circulaire de 1977, les actions ne sont pas éludées mais l’approche est différente. L’orientation vers l’action et les comportements, alliée à la minimisation de la dimension sensible, est la marque d’un sentiment de maîtrise sur l’environnement. C’est précisément ce que l’on cherche à développer chez les élèves.

Conclusion

Les spécificités de l’ÉDD se situent dans ses dimensions axiologiques et téléologiques, dont nous avons discuté des conséquences et des contradictions au regard de l’éducation au choix, revendiquée par l’Éducation nationale. Ces contradictions amènent des questionnements quant à la prise en compte des évolutions constatées dans les procédures de légitimation des expositions itinérantes : quels ancrages éthiques, quels objectifs et quelles finalités sont effectivement privilégiés ? Des expositions exclusivement anthropocentriques, conformément aux recommandations de l’esprit ou des expositions présentant une diversité d’ancrages éthiques pour ouvrir les perspectives ? Des expositions comportementalistes ou au contraire des expositions qui ouvrent au débat, conformément aux prescriptions de la lettre ? Des expositions présentant le rôle des citoyens en matière de gouvernance ou des expositions axées sur la promotion des métiers verts ?

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