• Aucun résultat trouvé

Les médias vus par l’Éducation nationale pour l’ÉDD : des vecteurs d’une approche biocentrique et alarmiste de l’environnement

ancrée dans l’histoire de l’éducation formelle

I. L’enjeu de l’Éducation nationale : la conformité des médias éducatifs avec les objectifs nationaux de l’ÉDD

1. Les médias vus par l’Éducation nationale pour l’ÉDD : des vecteurs d’une approche biocentrique et alarmiste de l’environnement

Dès le colloque de décembre 2003, un atelier est entièrement consacré au « discours des médias ». Leur rôle indispensable pour informer sur les thématiques environnementales est rappelé mais trois limites du traitement médiatique des questions d’environnement sont énoncées, identifiées comme obstacles à une « éducation au jugement » (MEN - DESCO 2005a, p. 100) :

« - une vision émotionnelle, qui cède au catastrophisme, met l'accent sur la victimisation au détriment de la responsabilité individuelle ;

- une vision amplifiée, qui accuse à la fois la perception des risques et assimile la protection de l'environnement à la notion de préservation, et la prévention au principe de précaution ;

- une vision éclatée au fil de l'actualité, qui obère les analyses systémiques des faits relatés. » (MEN - DESCO 2005a, p. 100)

Au regard des démarches rationnelles et systémiques qui ne vont pas tarder à être promues par la lettre de l’ÉDD, ces propos montrent que les médias, qui ne sont par ailleurs pas définis113, semblent donc constituer en eux-mêmes des freins, à l’exception de quelques émissions exemplaires comme Le dessous des cartes. Cette représentation est largement véhiculée lors du colloque de 2004, dans lequel ils sont jugés inducteurs de sentiments d’impuissance et d’une déresponsabilisation des jeunes :

« Des enquêtes récentes relatives aux motivations des adolescents mettent en évidence, à l’heure actuelle, une très forte préoccupation des adolescents aux problèmes environnementaux qu’ils expriment en termes d’inquiétude, de frustration, et donc de peur et de découragement pour leur avenir. Dans un tel processus d’informations apportées aux jeunes sans possibilité d’échanges, de débats mais surtout d’accompagnement pour comprendre et agir, on crée chez eux un sentiment d’impuissance et à terme de non-responsabilisation dans leurs comportements au quotidien. » (Compte rendu de l'atelier 1, 2004, p. 84)

De plus, dans l’esprit, les médias sont pointés explicitement comme véhiculant une image de l’environnement-nature, non conforme à l’ancrage éthique anthropocentrique souhaité :

« Il existe encore une confusion entre la nature et l’environnement » (MEN - DESCO 2005a, p. 113) « Dans les médias, le terme « environnement » renvoie à une approche très largement naturaliste » (DGESCO - IGEN 2010a, p. 1)

113 L’implicite qui ressort du compte rendu et qui prévalait au cours de l’atelier auquel nous avons eu l’occasion de participer

était l’assimilation « des médias » aux productions télévisuelles. Ceci a été, à notre avis, très clairement induit par le fait que l’atelier était animé par une auteure de l’émission Le dessous des cartes, diffusée à l’époque sur France 5.

« Cette approche naturo-centrée se répand dans les médias ; elle tire une légitimité – du moins affective – dans une certaine représentation de « respect » de la nature. » (Bonhoure 2008, p. 11)

Le rôle de l’École est donc présenté comme nécessaire pour contrebalancer leurs effets anxiogènes (Urgelli 2009, p. 86) et pour apporter de la rationalité, quand la vision naturaliste de l’environnement est assimilée à une approche affective. Cette méfiance s’avère être un penchant français. En effet, dans les textes internationaux, cette opposition entre École et monde médiatique n’est pas du tout constatée. Par exemple, dans la SEDD, il est au contraire recommandé de prendre appui sur les médias :

« Les médias sont un moyen puissant d’orienter le choix des consommateurs et les styles de vie, en particulier chez les enfants et les jeunes. Il faut mobiliser leur savoir-faire et trouver des circuits de distribution pour transmettre une information fiable et des messages clefs sur les questions liées au développement durable. » (UNECE 2005, p. 8)

Le chapitre 36 de l’Agenda 21 préconisait déjà d’utiliser des « moyens efficaces de communication » (CNUED 1992) en éducation, domaine qui était peu distingué de l’information. Dans ces textes se dessine une instrumentalisation de la communication pour encourager le changement. Il s’agit d’établir des « coopérations avec les médias, comme avec les secteurs du spectacle et de la publicité, en engageant des débats destinés à mobiliser leur expérience aux fins de modeler le comportement public et les schémas de consommation, et de faire largement usage de leurs méthodes » (CNUED 1992). Ceci se traduit très clairement dans le plan international de mise en œuvre de la DESD qui, d’une part, affirme que « les médias ont un rôle décisif à jouer dans la mobilisation en faveur de l’ÉDD » (UNESCO 2004, p. 20) et d’autre part, conseille le recours au « marketing social114

afin de promouvoir l’évolution des comportements par des mesures simples » (UNESCO 2004, p. 34). De tels points de vue ne seront jamais repris dans les textes et les discours émis par l’Éducation nationale. Autant l’institution est prolixe pour critiquer les médias, autant cette utilisation pour induire directement des changements de comportements n’est pas abordée dans les documents étudiés. On peut supposer que, dans la lettre, la distance affichée par rapport au comportementalisme conduit à une récusation de ce type d’instrumentalisation.

Pendant dix ans, la réflexion sur les rapports entre ÉDD et médias s’est affinée, y compris au sein de l’Éducation nationale, ce qui a abouti, au FOREDD de 2009, à des propos critiques sur les inquiétudes fréquemment formulées au sein de l’institution. Les personnes présentes à l’atelier « Que faire avec les médias ? » les ont définis comme « une pluralité de supports »

(MEN 2009, p. 6) et ont reconnu bien volontiers que ces derniers sont « souvent mis en accusation » (MEN 2009, p. 7) pour leurs discours non rationnels, alarmistes et simplificateurs. Ils reconnaissent également leur rôle pour « la sensibilisation de l’opinion publique, préalable indispensable à la formation » (Ibid., p. 7). Dans le contexte initial de défiance, la question de la validation des ressources pédagogiques s’est révélée très tôt un élément central pour la mise en œuvre cohérente de la politique de l’ÉDD.

Outline

Documents relatifs