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Chapitre 4 La proximité : une réalité plurielle

4.1 Le territoire

Nous avons choisi de commencer par le territoire car il représente le fondement sur lequel la proximité a pu se bâtir. Néanmoins, la police de Lausanne (4.1.1) semble beaucoup plus liée au territoire que la police cantonale (4.1.2)

4.1.1 La police de Lausanne

Socle de la proximité, le territoire permet à la population de voir sa police et aux policiers d’être présents sur le terrain. L’occupation de la ville est perçue par les répondants comme primordiale pour trois raisons. Tout d’abord, elle est le point de départ de la police de proximité qui se veut proche des habitants. Ensuite, elle reflète les particularités topographiques de Lausanne. Enfin, elle permet de tenir compte de l’évolution sociale, démographique et économique des quartiers.

Consciente de l’augmentation de sa population (+ 10% depuis 2000) et des modifications sociodémographiques, Lausanne a réorganisé plusieurs fois les postes de quartier, pour qu’ils soient le plus souvent possible au cœur des « mini centres-villes » (PL- 10-ssoffsup).

« La répartition territoriale se fonde sur les différents quartiers de la ville, tient compte de l’évolution des phénomènes respectivement des délits, tient compte également de la dimension spatio-temporelle, […] et puis ils (les postes de quartier) doivent tenir compte également de la satisfaction des citoyens, du sentiment d’insécurité et des incivilités » (PL-5-off)

L’objectif de cette démarche est double. D’une part, la police reste au cœur de la vie de la population. Elle conserve sa visibilité et montre qu’elle est présente sur le terrain. D’autre part, la police affiche sa capacité d’adaptation aux changements. Elle témoigne de l’importance de l’approche proactive dans son travail.

Deux précisions peuvent être apportées. D’une part, malgré le soin apporté à la compréhension du territoire dans sa dimension géographique mais également dynamique, plusieurs répondants soulignent qu’il y a une différence entre leur secteur administratif et leur secteur d’intervention. Le secteur administratif vient du découpage en sept parties de la ville de Lausanne, tandis que le secteur d’intervention représente la surface que les policiers peuvent effectivement couvrir durant leur patrouille pédestre. Nécessairement plus restreint, le secteur d’intervention est d’autant plus à même de fournir un service de qualité lorsqu’il est situé au cœur de la vie de la population (au cœur des « mini centres-villes » (PL-10-ssoffsup).

D’autre part, « Lausanne est devenue une capitale de la nuit » (PL-10-ssoff) « avec

une vie nocturne qui a une attraction bien à elle en fait, avec un rythme qui commence déjà depuis le jeudi jusqu’au dimanche » (PL-5-off). Il ne s’agit plus uniquement d’être visible

au cœur de la ville, mais de répondre adéquatement aux problématiques liées aux activités festives, dans un intervalle de temps réduit et avec une population qui ne vit pas à Lausanne le reste de la semaine. Ces contraintes sont un défi d’autant plus important qu’en taille

« Lausanne, c’est un village » (PL-10-ssoffsup). En outre, la présence d’un poste de

quartier mobile redistribue la donne. D’une part, il permet de s’affranchir temporairement des considérations géographiques en fonction des besoins immédiats. D’autre part, la surface relativement réduite de la ville (par rapport à d’autres villes européennes qui sont aussi des pôles d’attraction touristique, sportive ou festive) aboutit parfois à la coexistence de deux postes de police à seulement 300 m de distance (PL-10-ssoffsup).

À côté de cette vision dynamique du territoire et de l’enjeu majeur que représente la localisation judicieuse des postes de quartier pour la ville de Lausanne, la police cantonale opte pour une approche plus globale du territoire.

4.1.2 La police cantonale vaudoise

Compétente sur l’ensemble du canton de Vaud, la police cantonale perçoit le territoire comme un élément intimement lié à son statut militaire et aux contraintes qui y sont liées. C’est une base souple qui peut soit faciliter, soit complexifier le travail quotidien.

Jusqu’en 1999, les gendarmes étaient tenus de vivre sur le lieu de travail et beaucoup d’entre eux sont encore des « enfants de la région » capables de mettre à profit leur connaissance du territoire ou des environs dans leurs activités. Depuis 1999, cette obligation a disparu, mais la plupart des policiers vivent non loin de leur lieu d’affectation, parce que cela leur permet de développer des relations privilégiées avec la population.

« Chaque fois qu’il y avait une mutation, il y avait un déménagement, maintenant ce n’est plus le cas, chaque gendarme doit être à l’heure. […]

Par contre, le fait d’être au cœur de sa population, ben ça permet aussi de connaître son monde. » (PC-1-ssoff)

Les répondants se fondent souvent sur l’aspect géographique pour faire deux remarques apparemment incompatibles. D’une part, ils soulignent que la petite taille des communes est un atout pour leur mission de proximité parce qu’elle leur permet de rapidement connaître la population, les lieux, les voies d’accès. D’autre part, les répondants déplorent de ne pas pouvoir toujours tout connaître sur leur portion de territoire, parce qu’ils ne sont pas les seuls à y intervenir83. Il y a parfois un décalage dans le temps entre la saisie des interventions réalisées par les CIR et la possibilité de consulter l’information pour les policiers de proximité, seule exception, les zones autonomes (la Vallée de Joux et les Préalpes) qui fonctionnent sans l’aide des CIR, à cause d’un délai d’intervention qui serait trop long (supérieur à 45 minutes PC-8-ssoffsup).

Il ne semble pas y avoir de subdivisions dans les communes dont la police cantonale vaudoise a la charge. Alors que les communes sont parfois pensées comme un territoire unique et entier, les gendarmes y voient davantage des points clés, des lieux qui demandent un peu plus d’attention ou des particularités topographiques (ce sont souvent certains axes routiers, des écoles ou des gares…).

(en parlant des patrouilles) « On fait généralement les grands axes, on fait les endroits qui sont fréquentés par le public ou bien par les jeunes […] puis autrement, on tourne d’une façon aléatoire, on étale la patrouille sur toute la commune. Quand on a des zones-villas, à la tombée de la nuit, les gens sont pas forcément de retour, on peut faire de la prévention pour les cambriolages…quand la nuit est tombée aussi dans les endroits où c’est peut- être mal éclairé ou qui pourraient avoir des infractions » (PC-1-ssoff) « Et puis ici à X, c’est vraiment physiquement partagé par la voie de chemin de fer. […] Il y a une population, je ne dirais pas âgée mais établie là depuis longtemps… qui est proche des autorités, le village vaudois. Et puis, on a

83 Les Centres d’Intervention Régionaux (CIR) sont cinq unités mobiles qui assurent l’intervention 24h/24

toute cette petite banlieue qui s’est développée au-delà du chemin de fer avec la zone commerciale » (PC-9-ssoffsup)84

Sans remettre en cause leur compétence de principe sur l’ensemble du canton de Vaud, plusieurs répondants soulignent également qu’un territoire trop vaste serait un obstacle à l’approche de police de proximité. La taille du secteur d’intervention se présente comme un marqueur susceptible de favoriser ou de nuire à la proximité.

« Moi, j’ai l’impression que la région va évoluer en population et il va grandir même si c’est lent. A un moment donné, on va basculer du côté urbain et là, on va perdre ce contact. Comme je disais avant, plus on est grand, plus il est difficile de garder le contact » (PC-8-ssoffsup)

Parallèlement à leur vision du territoire de travail, les policiers cantonaux soulignent la fragmentation du territoire suisse comme un obstacle à une vision dynamique de l’évolution de la criminalité et, donc, des besoins de la population.

La Suisse est petite mais autant la fragmentation au niveau local est un atout, autant la fragmentation au niveau global est un obstacle (PC-5-

ssoffsup85)

« Certains collaborateurs ont un peu de peine à saisir qu’on doit penser plus large, qu’on doit penser région et pas seulement poste… comme on doit penser canton, on doit penser police en général » (PC-8-ssoffsup)

Ils rappellent également que leur territoire présente des particularités « de petit

poste » ou de « village » (PC-4-ssoffsup) avec lesquelles leurs collègues lausannois n’ont

pas à composer.

« Ça se perd un petit peu dans les grandes villes, j’ai le sentiment par contre que dans les villages, on a un contact différent. » (PC-3-ssoff, parlant des relations policier-population)

Ainsi, ce serait la dynamique du « village » ou de la « région traditionnelle » (PC- 8-ssoffsup) qui favoriserait le contact avec les gendarmes parce que « vous êtes leur police,

84 Nous avons choisi de couper certains passages trop précis qui pourraient nuire à l’anonymat du répondant. 85 L’entretien avec PC-5-ssoffsup n’a pas été enregistré, nous ne pouvons faire une citation mot à mot.

vous êtes leur gendarme » (PC-4-ssoffsup). Le policier cantonal pourrait alors être en

mesure de représenter l’institution, parce que le territoire sur lequel il intervient lui permet d’être reconnu comme un représentant. Nous reviendrons sur ce point dans le dernier chapitre et nous le mettrons en perspective avec la dimension rurale du travail policier.

La police cantonale envisage le territoire comme un support sur lequel elle cherche avant tout, à tisser des liens durables et solides avec la population. Le territoire est un incontournable managérial, mais ce n’est pas lui qui crée la proximité, ni qui détermine les relations avec la population :

« La situation géographique FAIT quelque chose, ça c’est sûr! Mais pas tout ou alors indirectement. Je dirais plutôt que c’est la population habitant la région qui fait que… » (PC-8-ssoffsup)

En résumé, dans ce paragraphe, même si les deux corps de police n’accordent pas la même valeur à ce socle de la proximité qu’est le territoire, chacun d’entre eux est conscient de l’aspect évolutif des problématiques. C’est pourquoi, la superposition des acteurs pénaux et le besoin de collaboration avec des structures très diverses (écoles, ambulances, pompiers, services psychiatriques…) sont des éléments centraux qui reposent sur la confiance que la police a réussi à installer au sein du territoire :

« La police doit s’adapter […] à la population qui se déplace, bouge, fonctionne différemment, plus la topographie de la ville, plus finalement le secteur économique » (PL-10-ssoffsup)