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Chapitre 1 Les acteurs pénaux suisses : trois niveaux à coordonner

1.3 Principes directeurs et défis à relever par la police de proximité dans le canton de

1.3.2 Entre scandales et défis à relever pour la police de proximité

La police de proximité est un ensemble de principes stratégiques et opérationnels que les responsables de police cherchent à appliquer à l’ensemble du canton de Vaud. Sous son apparente simplicité d’organisation, la police n’a pas été à l’abri des critiques. Deux scandales continuent d’influencer la perception de la police par les Suisses.

L’Affaire des Fiches

Dans l’ « affaire des fiches de la police fédérale55 » en 1989 (Lemieux, 2006, p.

130), il a été reproché aux forces de l’ordre de faire un recueil systématique et très détaillé de renseignements sur la population. Avant le scandale des fiches, c’était la police de protection de l’État qui était chargée de la prévention par le recueil d’information et de la recherche des infractions au Code Pénal. Ce service d’information et de recherche avait comme mandat de « récolter des renseignements susceptibles de contribuer à la sauvegarde de la sûreté intérieur et extérieure du pays » (Kreis, 1993 p.99). Selon l’auteur, ce mandat manquait de précision et a pu conduire à la confusion des objectifs, ainsi qu’au risque de voir recueillir des informations appartenant à la sphère privée.

En 1989, avec la chute du mur de Berlin et les bouleversements politiques qui ont suivi, une Commission d’enquête a été chargée d’examiner les informations recueillies par ce service de la police de protection de l’État. La Commission rapporte l’existence d’un fichier principal et de fichiers annexes qui concernent, par exemple, des régions de la Suisse comme le Jura ou des opinions politiques comme les extrémistes. Le fichier principal contient environ 820 000 fiches (90% sur des personnes physiques, 75% sur des étrangers, 50% sur des résidents à l’étranger). Ces fiches regroupent des informations variées (demandes de visas, relations d’affaires, mariages, opinions religieuses ou politiques). D’après l’analyse faite par la Commission en 1990, environ 20% des fiches n’avaient pas été mises à jour depuis 25 ans ou plus. Le reproche principal fait à ce fichier est la collecte intensive d’informations qui n’a pas été (ou très rarement) suivie d’analyse.

Le scandale des fiches a eu plusieurs conséquences importantes en Suisse. Tout d’abord, au niveau législatif, la Loi fédérale sur la protection des données a été adoptée le 19 juin 1992. Elle prévoit également la mise en place d’un préposé fédéral à la protection des données auprès duquel il est possible de s’adresser pour connaître les informations personnelles qui auraient pu être consignées dans les fiches. Ensuite, au niveau de l’organisation, la police fédérale a définitivement été intégrée à l’Office fédéral de la police en 1999 (en remplacement du système provisoire qui avait été mis en place en 1992 sur le traitement des données relatives à la protection de l’Etat (ISIS) et la réorganisation du Département Fédéral de la Justice et de Police (DFJP) ). Enfin, au niveau méthodologique, le scandale des fiches a permis la création de services dédiés à l’analyse des informations et au traitement des données.

L’affaire Bellasi

Dans l’affaire Bellasi (à la fin des années 90), un comptable de l’armée a été mis en cause dans un détournement de fonds. En outre, la police est parfois difficile à approcher par les non-initiés, ce qui alimente les polémiques autour de son efficacité, de sa définition ou de sa capacité à communiquer avec le public (voir les travaux de (Killias, 1991/2001) sur la perception de la police ou Clerici & Killias, 1999). Il y a la police qu’on voudrait connaître et celle qu’on pense connaître. Malgré les efforts mis en œuvre par la police pour tenir compte de l’évolution des besoins, les nouveaux modèles policiers ont encore de nombreux défis à relever. Pour le canton de Vaud, il s’agit par exemple de mieux comprendre le fonctionnement de la police de proximité, la place de l’information/connaissance dans les activités policières ou encore les différentes contraintes auxquelles elle est confrontée.

Les défis à relever par la police de proximité

L’un des défis de notre projet repose sur la quantité limitée de données concernant la police suisse en général et vaudoise en particulier. Sur les 200 recherches recensées par Sigrist (2009), seuls quelques travaux traitent de la police de proximité et seules trois

références traitent de la police vaudoise56. L’auteure, au travers d’une rétrospective de plus de trente ans, démontre l’intérêt que les chercheurs ont pour l’histoire de la police que ce soit au niveau cantonal ou local, pour témoigner des changements intervenus dans les législations. En écho aux scandales des fiches et à l’affaire Bellasi, plusieurs travaux ont traité du problème de l’éthique, de la morale, de la police d’État ou encore de la sécurité. Les relations de la police avec les jeunes, les victimes ou encore la prévention constituent un autre pan du travail de recherche mené en Suisse. Enfin, en raison des choix fédéralistes faits par la Suisse et des relations avec l’Union Européenne, quelques travaux ont été menés pour s’assurer de conserver les libertés publiques, pour comprendre les interventions du droit dans le travail policier ainsi que les évolutions des tendances de la criminalité.

Bolle & Knoepfler (2000) partent d’une définition issue de la littérature pour comprendre la police de proximité. Ils rapportent cinq modèles distincts de police sans pour autant tenter une systématisation des dimensions dont se compose la police de proximité en Suisse. Finalement, ce sont les praticiens qui semblent avoir le plus étudié la police de proximité à travers l’Institut Suisse de Police. Kullman (2006) se fonde sur l’idée que la police de proximité partage les mêmes bases que la police de communauté, tandis que Gattone (2008) met en avant le potentiel de l’utilisation extensive de l’information grâce au répondant de proximité..

Comme nous avons essayé de le démontrer dans ce chapitre, il existe une rupture importante entre le cadre légal/réglementaire et la pratique. Ainsi, le cadre : c'est-à-dire l’ensemble des lois, des règlements, des accords et des concordats est bien documenté, expliqué et détaillé. On y apprend l’organisation des acteurs pénaux autant au niveau fédéral qu’au niveau cantonal et même local. Au-delà des nombreux fondements légaux, la police donne peu d’indices de son fonctionnement quotidien et des motivations qui l’anime.

56 Nous avons mis de côté les recherches portant sur l’histoire de la criminalistique ou l’évolution de cette

science dans le temps (voir les travaux Baker, 2005 (p. 19) (Ribaux & Margot, 1999, 2003; Ribaux et al., 2003)

En outre, le principe d’autonomie des cantons quant à l’organisation de la police rend impossible, dans cette recherche, l’étude approfondie des vingt-six cantons et des vingt-six structures internes de police et de Justice réparties dans tout le pays. C’est pourquoi, nous avons préféré nous concentrer sur un seul canton. En l’occurrence, il s’agit du canton de Vaud, pour lequel nous avons fait une présentation exhaustive de l’organisation judiciaire et policière. Ce canton vit actuellement une réforme profonde de la structure policière, il est l’un des plus grands cantons romands et son contexte socio- économique est plus que favorable.

Cependant, on ne connait finalement que peu de détails sur la police de proximité implantée dans le canton depuis les années 90. La police de proximité peut-elle se rapprocher d’un modèle de policing déjà connu? S’inspire-t-elle d’un seul modèle ou de plusieurs modèles? Deux constats apparaissent déjà.

D’une part, la police de proximité se veut proche de la population mais aussi capable de soutenir les programmes de prévention. Elle favorise le développement de partenariats pour mieux comprendre les besoins et maintenir des relations de qualité avec la population. La police de la ville de Lausanne va même plus loin en donnant la possibilité aux citoyens de former des recours contre les policiers à travers le Comité de Déontologie. La police de proximité est favorable aux approches proactives en mettant en avant la prévention (au niveau de la police cantonale mais aussi de la police de Lausanne).

D’autre part, la police de proximité vaudoise a mis en place des relations privilégiées avec les partenaires, cherche à avoir une connaissance poussée de la ville, utilise l’information (Gattone, 2008), fait circuler les données (Gattone, 2008) dans le but d’assurer des interventions rapides et efficaces (éviter que des auteurs présumés quittent le territoire où la police est compétente). La police de proximité n’exclut pas la possibilité d’avoir un fonctionnement réactif. En outre, le canton de Vaud est témoin de rapides mutations. Les habitudes des résidents changent à cause de la crise du logement. Il y a de plus en plus de population pendulaire c'est-à-dire de personnes qui quittent leur logement le matin et ne rentrent que le soir pour dormir. Ces personnes participent parfois moins à la

vie locale soit parce qu’elles ont leurs activités récréatives près de leur travail, soit parce qu’elles font leurs achats hors des petits magasins de quartier. Ces mutations dans les habitudes et dans les unités géographiques ont peut-être contribué à l’évolution des opportunités criminelles. En effet, le canton de Vaud est également témoin du développement d’une petite criminalité très mobile. La fragmentation et la taille du territoire (entités municipales, locales, cantonales, régionales et entité fédérale) ainsi que le fédéralisme et l’autonomie de chacun des cantons rendent la coopération entre entités incontournable pour la bonne administration de la Justice et le travail policier.

Faute de définition exhaustive, la police de proximité semble reposer sur deux constats contradictoires: un rapprochement volontaire avec la population dans des actions de prévention et la nécessité de faire circuler l’information, au-delà du niveau local, pour contrer la mobilité de la criminalité. Ne pourrions-nous pas partir du postulat que la police de proximité, en tant que construction issue de la pratique, est inspirée de modèles théoriques distincts. Si ce postulat se confirmait, à quels modèles de policing la police de proximité a-t-elle empruntée des notions? Est-ce que les perceptions et les représentations des policiers de proximité pourraient nous fournir des éléments de compréhension par rapport au cadre théorique? Est-ce que les pratiques sont les mêmes entre la police cantonale et la police de la ville de Lausanne?

Pour pouvoir répondre à ces questionnements, nous allons commencer par présenter les modèles théoriques dont la police de proximité vaudoise semble s’inspirer (chapitre 2).

Chapitre 2 : Un cadre théorique initial pour une