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Chapitre 3 : Méthodologie

3.1 Le choix de l’entrevue semi-dirigée

Dans ce paragraphe, nous justifierons d’avoir recours à la méthodologie qualitative (3.1.1) avant de présenter les avantages des entrevues semi-dirigées (3.1.2) pour cette recherche.

3.1.1 Le choix de la méthodologie qualitative

L’approche qualitative possède deux caractéristiques particulièrement utiles pour nos travaux.

D’une part, elle pourrait être capable de dépasser la « résistance à la recherche » présentée par Monjardet (2005) dans ses travaux sur la police (pression de la redevabilité auprès des partenaires, aller au-delà de la culture des résultats en se concentrant sur les

représentations ou les expériences, redonner une voix aux policiers de terrain et pas uniquement à la hiérarchie, permettre d’avoir un échantillon de taille réduite…75).

Il convient d’être prudent lorsqu’on souhaite étudier la police parce qu’il règne une certaine méfiance dans les rangs des forces de l’ordre. Justifiée ou non, cette méfiance s’explique par la quantité très importante d’articles scientifiques ou non scientifiques, de revues, d’émissions, de films, de documentaires qui s’intéressent à la police76. Cette attention que le monde porte sur le travail de la police a deux conséquences. La première repose sur l’impression d’être un « gibier de recherche » (Monjardet, 2005) : c'est-à-dire sur la sensation d’être régulièrement étudié ou utilisé comme objet d’étude. La seconde repose sur l’image de la police. La surexposition (médiatique) donne l’illusion que le monde policier est connu, stéréotypé, calqué sur ce qui est donné à voir. Partant de ce constat et de ces deux conséquences, nous avons choisi une méthodologie peu invasive, capable de replacer les répondants (et leur activité) au centre de la recherche. En présentant une approche souple et en offrant des garanties quant à l’utilisation des données, il est possible de limiter le sentiment de méfiance du corps policier.

D’autre part, la méthode qualitative est adaptée à la compréhension de microphénomènes (Blanchet & Gotman, 2005, p. 30) ou de petits groupes (Blanchet, Ghiglione, Massonat, & Trognon, 1998/2005). Avec ses 3212 km², le canton de Vaud est le quatrième canton en terme de superficie par rapport au territoire national77. Si on compare cette superficie avec d’autres pays, le canton de Vaud est 209 fois plus petit que la France et 519 fois plus petit que le Québec. Vu les caractéristiques du canton, il n’était pas pertinent de vouloir à tout prix réaliser un travail quantitatif. Même avec un taux de réponse hypothétiquement élevé, nous n’aurions pas été en mesure de faire des analyses statistiques

75 À la différence de l’approche quantitative où les sondages génèrent environ 30% de réponses et pour

lesquels il est délicat d’avoir des réponses personnalisées ou rédigées.

76 Monjardet (2005, p.19 « les difficultés qu’ont les policiers à différencier opération de recherche

scientifique, curiosité journalistique et procédure de contrôle »

fortes et valides avec SPSS. Faute d’avoir un grand échantillon disponible, nous avons adapté notre méthodologie au terrain de recherche. L’approche qualitative permet de comprendre une problématique en profondeur sans avoir recours à un échantillon de très grande taille : il suffit d’arriver à la saturation des données78.

Après avoir présenté les deux raisons qui justifient le recours à la méthodologie qualitative, nous allons montrer les principaux avantages des entretiens semi-dirigés dans l’optique de notre travail. Nous précisons que les termes entretien et entrevue sont entendus, ici, comme des synonymes.

3.1.2 Les avantages de l’entretien semi-dirigé

Plusieurs auteurs se sont penchés sur l’utilisation de l’entretien semi-dirigé dans les travaux scientifiques. En 2007, (Fenneteau, 2007, p. 43‑47) explique que l’entretien peut valablement être utilisé en tant que méthode principale de recueil de données de terrain.

Un entretien est une rencontre entre un répondant consentant et un chercheur dans un cadre libre, dirigé ou semi-dirigé. Cette souplesse de conduite des entretiens se prête particulièrement à la compréhension des pratiques policières (activités quotidiennes, relations interpersonnelles et ressentis).

Plus spécifiquement, nous avons choisi d’administrer des entretiens semi-dirigés, c'est-à-dire des rencontres guidées par une grille d’entretien divisée en thématiques. L’entretien semi-dirigé permet un contact direct et un « véritable échange » entre le répondant et le chercheur. Moins directif qu’un questionnaire, ce type de méthode est souple, facile à mettre en œuvre et surtout il permet d’obtenir des données d’une certaine profondeur allant de faits passés (objectifs) aux ressentis (subjectifs) (Blanchet et al., 2005; Campenhoudt & Quivy, 2011; Fenneteau, 2007). La faible directivité est un levier important dans notre démarche. Elle permet d’aborder des thèmes touchant au quotidien en utilisant comme point de départ des situations concrètes (ex : les dernières interventions),

78 Nous développerons cette notion de saturation lorsque nous présenterons le corpus des données disponibles

des souvenirs (ex : l’arrivée dans la police, le début à ce poste) ou des expériences vécues (ex : relations avec les Juges, le maire, la hiérarchie). L’entretien semi-dirigé et par extension l’approche qualitative nous permettent d’obtenir à la fois des images instantanées des pratiques policières mais également des images en mouvement à travers les expériences de chacun, l’ancienneté ou les responsabilités acquises avec le temps. Prises ensemble, ces images donnent une représentation globale et cohérente de ce qu’est la pratique de la police de proximité vaudoise. Ces caractéristiques sont également des atouts essentiels pour notre recherche car elles nous donnent la possibilité d’interroger des institutionnels sans aller à l’encontre de leurs valeurs.

Les policiers sont habitués, dans leur travail, à poser des questions et il pouvait paraître difficile de renverser les rôles. L’entretien semi-dirigé permet au policier de conserver, au moins en partie, le déroulement de l’entrevue. Une fois le thème amené, le répondant est libre de structurer sa réponse comme il l’entend, quitte à devoir le guider ensuite pour approfondir. Toutefois, nous étions conscients que cette habileté policière à poser des questions pourrait entraver notre recueil de données. Notre intérêt se portait plus sur les expériences, les impressions et les perceptions des répondants plutôt que sur le discours officiel disponible dans la littérature. Pour limiter cet aspect, nous avons procédé en deux temps. D’une part, notre recueil de données se fondait sur une série d’entretiens semi-dirigés qui permettent de canaliser le discours des répondants, à la différence d’un entretien libre où seule la consigne de départ est fournie. D’autre part, notre grille d’entretien ne comportait que des thèmes assez généraux que nous complétions au fur et à mesure des réponses données. Ainsi, tous les entretiens ont abordé trois thématiques : le récit de vie, la communauté (le quotidien, les patrouilles, les relations) et la connaissance (le recueil, le traitement, l’utilisation, les perceptions). Cependant, les relances étaient personnalisées : c'est-à-dire qu’elles dépendaient des réponses déjà fournies par le répondant aux questions précédentes ou aux aspects déjà envisagés dans d’autres entretiens pour confirmer, infirmer ou encore avoir une idée de l’importance d’un sous-thème (les pratiques quotidiennes, l’organisation de l’unité de police, les compétences, les procédures pénales, la rédaction de rapport, les relations avec le juge, avec la hiérarchie, le rapport

avec les commerçants,…). Même si les répondants se sont contactés entre eux ou s’ils ont parlé de leur entretien avec leurs collègues, aucun n’était en mesure de pouvoir anticiper l’ensemble des aspects que nous abordions.

Le choix de la méthodologie qualitative et de l’entretien semi-dirigé comme mode de recueil des données n’a pas qu’une fonction théorique. La méthodologie qualitative est aussi l’un des éléments que nous avons dû détailler avec beaucoup d’attention aux responsables de la police vaudoise pour obtenir l’accès au terrain de recherche.