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Chapitre 5 : L’utilisation de l’information dans la police de proximité

5.2 L’analyse criminelle dans la pratique vaudoise

5.2.5 Le feedback : une réalité dans la police de proximité vaudoise

La question du feedback se retrouve régulièrement dans les entrevues. Le feedback touche plutôt les pratiques liées aux affaires judiciaires dans la police cantonale ou les relations avec la population dans la police de Lausanne.

En matière de retour d’information, il est utile de différencier d’une part, les affaires de proximité qui vont être traitées directement par le poste et d’autre part, les affaires d’une plus grande ampleur dont l’investigation revient à des groupes plus spécialisés.

Pour les affaires qui relèvent de la compétence des postes de proximité94, les policiers connaissent toujours l’issue puisqu’ils sont responsables de la résolution des problèmes soumis par la population. Le policier de proximité (qu’il appartienne à la police de Lausanne ou à la police cantonale vaudoise) peut connaître les tenants et les aboutissants de son travail, puisque la problématique qui lui est soumise demande une solution locale :

« Le retour on l’a… on n’a pas la même chose, en étant en proximité on traite les affaires, c’est vrai on a pratiquement… on a toujours le résultat au bout. » (PC-3-ssoffsup) (voir pour la même idée (PC-2-ssoffsup) ou (PL-8- nongd) ou (PL-7-ssoff))

Pour les enquêtes d’une plus grande ampleur, certains policiers cantonaux déplorent d’avoir peu de feed-back (PL-3-ssoffsup):

« Mais, vous avez pas forcément le retour. Savoir si la personne est libérée, si la personne est condamnée. Ça on n’a pas le retour d’une affaire judiciaire ou bien même administrative. […] Des fois, on a le retour oui parce que on recroise ces personnes et on leur pose la question […] Voilà, mais c’est vrai que des fois, ça pourrait un petit peu nous blaser en disant « ben voilà, on fait du boulot, mais on n’a pas de retour de notre travail. » » (PC-1-ssoff)

« Des fois, on aimerait bien connaître… est-ce que c’est bien ou pas? Je ne sais pas, des fois on serait peut-être déçu, mais moi je trouve ça intéressant ouais de connaître l’aboutissement et ça, aucun retour. Par contre, c’est

94 Les répondants parlent du « petit judiciaire » pour qualifier les affaires qu’ils traitent en opposition aux

vrai, la seule chose qu’on a, si des fois vous allez en procès, parce que vous le suivez, c’est la seule fois où on connait le résultat. » (PC-3-ssoffsup)

Les bonnes relations que les policiers entretiennent avec les juges servent parfois de palliatif au manque de feed-back :

« En travaillant avec un juge, on a un petit feed-back derrière, parce que en fait c’est lui qui mène l’enquête… Donc, souvent on connait l’aboutissement […] il y a ces discussions, en disant, on sait un petit peu ce que pense le juge, où il va aller. » (PC-3-ssoffsup)

Au contraire, d’autres policiers estiment que c’est une contrainte qui appartient à leur métier et qu’ils doivent faire avec.

« Moi, je trouve qu’elle (l’organisation policière concernant l’information) va très bien comme ça, je ne ressens pas le besoin de connaître plus… »

(PC-7-nongd)

« Maintenant plus, ce n’est pas une chose qui me dérange le plus. J’entends, je fais mon boulot, je transmets plus loin, après voilà, il (le dossier) ne m’appartient plus, je passe. » (PC-1-ssoff)

« Personnellement, avec l’expérience et le recul, je dirais non. Non, dans le sens que des fois, on voudrait savoir […] J’entends, ça on ne va pas nous le dire à nous. Nous, notre mission c’est d’identifier la personne ou de le confondre. Retour au niveau de l’info, ben des fois, ça doit être intéressant de savoir qu’est-ce qu’il a eu comme condamnation. […] Chaque collègue réagit peut-être différemment. » (PC-2-ssoffsup) en parlant de l’envie de recevoir du feed-back.

Il est intéressant de souligner que ce sont principalement les policiers cantonaux qui ont soulevé ce problème de retour d’information concernant les affaires judiciaires dans leurs entrevues. Seul un répondant de la police de Lausanne évoque le feedback. Il le fait dans un contexte bien différent de celui de la résolution des cas judiciaires, puisqu’il s’intéresse au feedback dans les rapports avec la population. Selon lui, c’est un outil qui permet aux policiers de proximité de percevoir la population comme une source d’information et pas comme un obstacle à son travail :

« La Justice a un rôle à jouer, les écoles ont un rôle à jouer etc… Mais il (le policier) doit pouvoir bénéficier de ce qu’il produit autrement, on peut

arriver, à une police qui, quelque part ne voit la population que comme un adversaire. » (PL-6-off)

En résumé, la police de proximité réalise au niveau local les différentes étapes du cycle du renseignement. Bien que l’essentiel des informations recueillies servent à alimenter le service de statistiques, de nombreux répondants utilisent les informations au niveau local pour résoudre leurs affaires ou répondre aux besoins de la population :

« Parce que le directeur d’école va gérer ses problèmes, donc c’est son travail aussi en tant que directeur d’école, un gérant de camping, il va essayer aussi de gérer ses problèmes mais il aime bien savoir qu’on est derrière, pour nous donner l’information. » (PC-3-ssoffsup)

Au niveau local, deux points semblent particulièrement intéressants à retenir. D’une part, nous avons observé un glissement sémantique relativement important entre praticiens (répondants) et théoriciens. Ces variations ne portent pas uniquement sur le vocabulaire utilisé mais aussi sur le sens donné. La composition du concept varie entre les praticiens et les auteurs de la théorie vraisemblablement parce que les praticiens n’ont pas connaissance des variations de la théorie, qu’ils n’ont pas été formés à ces évolutions ou bien parce qu’ils n’accordent pas d’importance à cette distinction sémantique. La divergence entre théorie et pratique n’ayant pas été abordée durant les entretiens, nous ne pouvons faire que des conjectures sur les explications possibles. D’autre part, ce glissement peut avoir des répercutions importantes sur plusieurs étapes de l’analyse criminelle : telles que le recueil, la dissémination et le feedback. En effet, l’analyse criminelle se décompose en 5 étapes : recueil, traitement, analyse, dissémination et feedback. Chacune de ces étapes est liée au passage de l’information vers le savoir (cf. p. 80). En ayant une perception pratique de l’information qui diffère de celle présentée par les théoriciens, il est possible que les étapes subséquentes soient, elles aussi, éloignées du cadre présenté dans le chapitre 2. En modifiant les sous concepts ou la représentation de l’information, il est possible que les pratiques de terrain ne coïncident pas avec la théorie. Compte tenu des logiques managériales, les policiers de proximité ont l’impression de donner sans recevoir à mesure. Les trois circuits de l’information que nous avons mis en évidence dans cette recherche

témoignent également de l’organisation pragmatique des policiers vaudois, dans le but d’assurer leur mission de proximité. Malgré leur hyperspécialisation au niveau local, les policiers de proximité ne peuvent pas être totalement considérés comme des knowledge workers au sens d’Ericson et Haggerty (1997). Nous aurons l’occasion de revenir plus en détails sur ces idées dans le chapitre 7.

Dans le chapitre suivant, nous allons développer plus spécifiquement les liens que la police de proximité a créés pour assurer la sécurité de la population.

Chapitre 6 : Les partenaires de la police de proximité