• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : La singularité de la trajectoire de reconversion du Bassin minier

1.2 UN PAYSAGE POLYSÉMIQUE ET UN TRAITEMENT AMBIVALENT DES TRACES DE L’HÉRITAGE MINIER

1.2.2 Terrils et chevalements : supports du paysage minier

Les terrils sont, à l’origine, des déchets de l’extraction, des amas de mauvais charbon, rejetés après triage et ils étaient du temps de l'exploitation considérés comme inutiles : « A l’époque, les terrils sont des espaces gâchés, inutiles et inesthétiques, dont on n’a que faire et dont on ne

42 D’est en ouest : la cité des électriciens à Bruay-la-Buissière (62), la base 11/19 à Loos-en-Gohelle (62), le 9/9

42

sait que faire » (Bourdon, in. Poussou, Lottin, op. cit., p.143). On en recensait 339 dans le Bassin minier avant les années 1970, il en reste aujourd’hui environ 200, et ils présentent des formes très variées. Les plus connus sont de forme conique, d’autres sont plats et certains complètement arasés ; leur forme étant révélatrice du sort qui leur a été réservé. En effet, à partir de la récession minière, beaucoup d'entre eux ont été utilisés comme matériaux pour la construction de routes et d'autoroutes, tandis que ceux qui étaient le plus riches en charbon pouvaient être réemployés pour alimenter les centrales thermiques. Ces réutilisations expliquent la forme rase, voire plane, de certains terrils évoquée précédemment. Ces petites montagnes noires sont pour certaines restées relativement intactes et ont connu un verdissement progressif que l’on pourrait croire consécutif de l'abandon de ces espaces et de l’œuvre du temps mais qui est en réalité intentionnel43. Néanmoins, cette prise de pouvoir du végétal a contribué à une évolution dans la manière de considérer ces lieux, à un changement de regard, pour les habitants comme pour les personnes extérieures au Bassin minier, notamment parce qu’ils constituent aujourd’hui des écosystèmes et des réserves de biodiversité tout à fait spécifiques dans la région. De fait, certains terrils ont été aménagés pour favoriser la promenade, comme ceux de Loos-en-Gohelle ou de Raismes, par des routes en colimaçon a minima ou l'adjonction d'équipements à visée pédagogique comme la maison de la forêt à Raismes. La richesse des espèces faunistiques et floristiques présentes font de ces terrils des lieux protégés et valorisés ; un Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE) a d’ailleurs été créé en 1989 pour assurer la gestion de certains d’entre eux.

43

Figure 8 : Les terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle (62)

Source : C. Mortelette, 2015

Aujourd’hui 51 de ces terrils font partie des biens inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco en cohérence avec d’autres éléments de l’héritage minier depuis 2012, tandis que les terrils constituant la chaîne des terrils (ceux dont le CPIE a la charge) sont classés comme étant Paysage d’intérêt au titre de la loi 1930. En outre, ils font l’objet de ce que l’on pourrait appeler un verdissement surveillé. En effet, à l’inverse des terrils belges entièrement recouverts par la végétation, et aujourd’hui moins identifiables, le souhait est ici de conserver en partie l’aspect minéral des terrils afin que l’on puisse toujours les identifier comme révélateurs de l’épopée minière. Les terrils cristallisent donc un certain rapport à la mémoire et au passé à la fois pour les habitants et pour l’action publique.

Les chevalements ont également été pour la plupart démantelés au moment de la fermeture des carreaux de mine. Ces structures métalliques en forme de tourelles, que certains désignent par l'expression « clochers des mines »44, sont aujourd'hui au nombre de 21 alors qu’ils étaient 150 dans les années 1930.

44

Figure 9 : Principaux marqueurs paysagers du Bassin minier

Réalisation : T. Guy ; Conception : C. Mortelette, 2019

L’intérêt de la carte ci-dessus est double : d’abord, elle localise les différents marqueurs paysagers que nous venons d’évoquer alors que de telles cartes n’ont pas été produites par l’action publique. Soit, l’information est plus parcellaire, soit elle fait figurer tous les biens inscrits à l’Unesco et devient alors vite illisible. Ensuite, elle permet de rendre compte des éléments les plus visibles du paysage minier, soit en raison de leur hauteur (pour les terrils coniques et les chevalements), soit en raison de leur emprise au sol (pour les carreaux de mine et les terrils plats les plus imposants). La carte ci-dessus permet alors de mieux comprendre le maillage territorial opéré par les sites miniers les plus emblématiques du territoire et le paysage particulier du Bassin minier, notamment à cause de la légère verticalité des terrils. A l'instar de ces derniers, le sort des chevalements peut également être très divers. En effet, certains restent les seuls témoins de l'ancienne présence d'un carreau de mine aujourd'hui disparu et figurent seuls dans un paysage de champs ou de plaine. Dans d'autres cas, ils continuent d'accompagner des carreaux de mine toujours debout, soit en friche comme la fosse 5 de Billy-Berclau (62), soit reconvertis comme à Wallers-Aremberg ou à Lewarde. D'autres ont bénéficié d'une réelle monumentalisation. En effet, ils ont non seulement été restaurés, mais également mis en valeur

45

par une délimitation affirmée entre le chevalement et l'espace public (voir la figure 10) ou par un éclairage nocturne comme dans le quartier Dutemple de Valenciennes.

Figure 10 : Chevalement de la fosse 3, Liévin (62)

Source : C. Mortelette, 2015

Sur la photographie ci-dessus, l'adjonction d'une plaque mentionnant la participation financière de l'Union Européenne via les Fonds Européens de Développement Régional (FEDER) à sa restauration contribue à la mise en symbole de l'équipement.

Enfin, certains ont été rattrapés par l'urbanisme ordinaire des périphéries de ville. La photographie suivante, prise à Liévin illustre bien cet exemple d'un chevalement pourtant mis en valeur grâce à la couleur bleu mais dont la monumentalisation est comme parasitée par les équipements commerciaux alentours ou les espaces publicitaires à la taille parfois démesurée.

46

Figure 11 : Chevalement de la fosse 1, Liévin (62)

Source : C. Mortelette, 2015

Ce dernier exemple nous paraît particulièrement révélateur de l'interférence aujourd'hui assez forte, mais aussi pour souligner le décalage, entre ces équipements-témoins d’une époque révolue au caractère monumental évident et un urbanisme contemporain de la vie de tous les jours, sans qualité esthétique particulière, qui répond aux besoins actuels de la population. Cet urbanisme du quotidien comble les espaces vides dans un bassin qui s’appelle toujours Bassin minier mais qui a poursuivi sa trajectoire après la rupture que constitue l'arrêt de l'exploitation du charbon. Entre 1962 et 2010, les chevalements – seuls ou avec le carreau de mine qu’ils accompagnent – ont été classés Monuments Historiques par la DRAC. Ils sont aujourd’hui également inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco dans leur totalité.

En revanche, certains marqueurs spatiaux liés au monde de la mine ont plus facilement bénéficié de l’attention des pouvoirs publics dès la fin de l’exploitation. Ces marqueurs sont ceux qui correspondent davantage aux conceptions classiques de ce qui constitue un patrimoine à sauvegarder au même titre que les châteaux ou les cathédrales, c’est-à-dire considéré comme possédant des qualités architecturales et esthétiques. De fait, beaucoup d’entre eux sont des maisons de maître qui appartenaient aux patrons des compagnies minières, dont certains sont

47

appelés châteaux (voir figure 12), il s’agit également d’hôtels de ville ou de bureaux des compagnies minières. Ces bâtiments étaient, nous l’avons dit, l’expression du pouvoir des compagnies minières et se devaient d’imposer leur marque (pour reprendre la grille marque/trace) sur l’espace par leur monumentalité. Ils n’ont pas pour autant fait l’objet d’un classement aux Monuments Historiques prioritaire par rapport aux autres marqueurs spatiaux. En revanche, ils ont, pour certains, fait l’objet de réhabilitations de la part des pouvoirs publics qui, d’une certaine manière, renforcent leur valeur et l’affirmation d’un pouvoir à travers le nouvel usage proposé. Les anciens bureaux de la compagnie minière de Lens sont par exemple aujourd’hui occupés par la faculté Jean Perrin de l’Université d’Artois. Le château Mercier ci-dessous est aujourd’hui l’hôtel de ville de Mazingarbe.

Figure 12 : Château Mercier, Hôtel de ville de Mazingarbe (62)

Source : C. Mortelette, 2015

A travers les différents exemples énoncés, nous voyons que – dans un premier temps – la valeur patrimoniale de l’héritage minier n’allait pas de soi pour tous les marqueurs spatiaux liés au monde de la mine et qu’il y a eu une certaine ambivalence dans leur traitement du fait de cette hiérarchisation. Pour autant, ces marqueurs spatiaux continuent de dessiner un territoire singulier que l’on remarque aisément en le traversant. D’autres marqueurs, peut-être moins perceptibles, contribuent à faire du Bassin minier un territoire particulier et alimentent les

48

représentations que nous en avons. Ce sont ces marqueurs, ou plutôt indicateurs, dans le sens où ils nous renseignent sur l’état actuel du Bassin minier plus qu’ils ne le définissent, que nous souhaitons aborder à présent. Ils donnent à voir une population en difficulté et un territoire qui semble concentrer un grand nombre de handicaps.

Outline

Documents relatifs