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RESÉMANTISATION DES TERRITOIRES POSTINDUSTRIELS ET RENOUVELLEMENT DES TERRITORIALITÉS

2. LA CULTURE COMME INSTRUMENT DANS LES TERRITOIRES POSTINDUSTRIELS, MODE D’ACTION DÉCONTEXTUALISÉ OU

2.2 RESÉMANTISATION DES TERRITOIRES POSTINDUSTRIELS ET RENOUVELLEMENT DES TERRITORIALITÉS

A l’image des territoires nationaux (Raffestin, 1981), les villes peuvent être décrites comme des ensembles de signes, des systèmes sémiques (Reitel, 2010), où les perceptions par les sens et les représentations par la réflexivité donnent une signification personnelle de ces systèmes à l’échelle de l’individu (Bailly, 1977 ; Reitel, op. cit). Dans ce cadre, les villes industrielles sont un système sémique à part car leurs formes spécifiques induisent des images et une identité qui leur sont propres. Dans leur trajectoire territoriale, ces villes industrielles, devenues désindustrialisées ou postindustrielles, ont vu leur système sémique modifié par l’altération plus ou moins brutale de leurs formes. Nous souhaitons interroger ici la reconversion des anciens sites miniers en lieux culturels comme une proposition de resémantisation de l’espace faite par les pouvoirs publics à l’aune d’un renouvellement des territorialités pour les usagers de ces lieux et des habitants du Bassin minier. Nous reviendrons d’abord sur les catégories qui permettent d’analyser les villes comme des systèmes de sens qu’il est possible de renouveler et les impacts que ces systèmes ont sur les relations au territoire des habitants.

2.2.1 Système sémique, territorialité et identité

Pour analyser la ville comme système sémique, l’analyse de la forme est une première étape essentielle. En effet, l’urbanisme, qui est avant tout une idéologie spatiale (Lefebvre, op. cit.), cherche à résoudre des problèmes économiques ou sociaux par la forme, par le spatial. Plus simplement, toute forme spatiale (plan, production architecturale, projet urbain) porte en elle l’expression d’un discours traduisant cette idéologie. L’urbanisme est donc à la fois un producteur de forme et un producteur de sens. En outre, dans la recherche d’une certaine monumentalité ou dans l’adjonction d’accessoires (des grilles, des plots, des espaces verts), les concepteurs de la ville, ou de bâtiments en particulier, cherchent à exprimer une intention ou à induire des comportements en particulier par la forme urbaine (Gumuchian, op. cit.). Les grilles qui entouraient les sites d’extraction minière ou celles qui entourent aujourd’hui les gated communities sont des messages assez clairement reçus par qui y est confronté. La forme seule n’est rien sans les valeurs et la symbolique qu’on lui confère comme les deux exemples précédents le montrent bien. La ville est donc un signifiant et un signifié (Ledrut, 1973). Au temps de l’exploitation minière, certaines formes du bâti ou de l’organisation spatiale ont une symbolique dont la lecture est assez aisée car elles convoquent des images relativement communes et utilisées dans d’autres lieux, dans d’autres contextes. La monumentalité des bureaux des compagnies minières montrait leur opulence et la mainmise qu’ils avaient sur le

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Bassin minier. Dans certaines cités minières, des détails dans les matériaux employés (comme l’utilisation de la pierre meulière plutôt que de la brique) ou dans les formes choisies (les colombages par exemple) sont là pour distinguer certains équipements par rapport à d’autres : ainsi les équipements de service (écoles, structures sanitaires) ou la différence de statut social (entre les maisons des contremaîtres ou du directeur d’école et celles des simples mineurs). De même, les grilles qui fermaient les sites d’exploitation et les cités minières rappellent que ces quartiers fonctionnaient comme des enclaves et, de nouveau, l’exercice d’un contrôle social de la part des compagnies minières. L’organisation spatiale de ces cités avec les maisons de contremaître aux extrémités des rues renforçait cette impression de hiérarchie et de contrôle social.

Avec l’arrêt de cette activité, certains lieux ont perdu leur forme, leur fonction et parfois les deux simultanément. Cette perte de forme et/ou de fonction amène-elle de manière systématique à un changement de leur sens, de leur symbolique ? Prenons l’exemple des terrils. A l’arrêt de l’exploitation, ils s’apparentent toujours à des amas de charbon maigre qu’il n’est pas possible de commercialiser comme tels mais, en étant perçus comme une opportunité, une réserve de schiste pour construire des autoroutes, ils ont désormais pour certains une utilité nouvelle. Aujourd’hui, à l’aune de leur patrimonialisation, ils constituent désormais des géosymboles du Bassin minier et sont désignés comme des emblèmes territoriaux. Cependant, nous avons désormais deux sortes de terrils : des terrils exploités et des terrils plus préservés dont la forme actuelle rappelle celle du temps de l’exploitation. Les terrils arasés, ceux qui ont constitué une réserve de schiste, sont-ils par leur forme plate et donc moins visible, moins iconiques, moins emblématiques du territoire minier que ceux qui se détachent plus nettement dans le paysage ? Sont-ils investis de la même manière par les pouvoirs publics en tant qu’emblèmes ? Sont-ils les supports de la mémoire du Bassin minier avec autant de force pour la population ? Il est possible de formuler l’hypothèse que ces terrils plats peuvent être l’objet de significations multiples et même contradictoires. Ils peuvent symboliser un territoire qui tourne la page sur l’histoire minière et se projette vers l’avenir ou au contraire un territoire qui se coupe de ses racines et sa mémoire, selon la grille de lecture choisie. Les systèmes sémiques des lieux, ces fragments de territoire, et des villes, lorsqu’ils sont pris dans le temps long, dans une trajectoire, ne sont pas des systèmes univoques et dépendent beaucoup du faisceau des représentations individuelles. Il conviendra donc de manipuler cette notion avec beaucoup de précaution sans projeter nos représentations personnelles et nos systèmes de valeurs.

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Néanmoins, il est possible d’affirmer qu’en perdant leur fonction, certains marqueurs spatiaux propres à l’exploitation minière ont subi une altération de leur forme (abandon, démolition, requalification), et donc de leur signification, pour les anciens mineurs mais aussi pour l’ensemble de la population du Bassin minier puisque le bâti implique des pratiques et des symboliques (Pellegrino, 2000). En effet, les anciens sites d’exploitation minière en perdant leurs grilles ont également perdu leur caractère sacré ou de lieux d’expression du pouvoir117 et ne sont alors plus le réceptacle des mêmes pratiques et des mêmes représentations pour la population en tant que collectif social.

A plus petite échelle, cette évolution du système sémique concerne dans le même temps les villes minières et le Bassin minier dans sa globalité, impactant non seulement la relation des habitants à leur territoire, mais aussi l’identité de ces villes. En effet, l’identité des villes provient des systèmes de valeurs que les sociétés urbaines projettent sur leur espace de vie. Aussi les villes ouvrières ont-elles une identité sociale ouvrière (Halbawchs, op. cit. ; Luxembourg, op. cit. 2013 ; Debarbieux, 2015). Qu’advient-il alors de cette identité et de cette territorialité spécifique dans les villes qui, plus ou moins brutalement, ne sont plus minières du fait de la cessation de l’activité ?

Les pratiques sont réduites à l’état de mémoire des techniques et les imaginaires, quant à eux, sont fortement ébranlés. Il est possible d’aller plus loin en parlant de « perte de l’imaginaire collectif » et de « défiance vis-à-vis du territoire attaché à cet imaginaire » (Luxembourg, loc. cit., p.99), avec dans le même temps une perte de sens de l’identité des lieux et du territoire pour les habitants.

Système sémique, territorialité et identité sont donc fortement liés. A partir de ce constat, nous voulons à présent interroger les projets de reconversion culturelle comme des propositions de resémantisation des anciens sites miniers et du territoire.

2.2.2 Resémantisation des territoires miniers par le projet culturel. La culture pour réenchanter les lieux ?

En faisant des anciens sites miniers des lieux culturels à l’aide d’équipements vitrine, l’objectif premier des pouvoirs publics n’est peut-être pas l’accès à la culture des habitants ou l’amélioration de leur cadre de vie si l’on en croit les bases établies par notre cadre théorique. Cet objectif semble secondaire par rapport aux espoirs de renouveau territorial et de relance de l’économie locale. Néanmoins, en accueillant un équipement culturel dont les principes

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s’apparentent à celui du musée Guggenheim, dans des sites miniers, les pouvoirs publics renouvellent les manières de percevoir le Bassin minier d’une part, mais aussi des rapports plus pratiques au territoire, en termes d’organisation spatiale par exemple, d’autre part. En effet, les sites miniers, anciennes centralités coupées du centre de la ville, regagnent en quelque sorte une nouvelle fonction centrale. Les riverains de ces équipements sentent-ils ce retournement du rapport centre-périphérie dans leur quotidien ? De même, les discontinuités sont fortes dans les communes du fait de l’organisation spatiale minière qui a survécu à la fin de l’activité. Ces nouvelles centralités engagent-elles les pouvoirs publics à recoudre le tissu urbain ? A plus grande échelle, il est également possible de se demander si ces équipements sont simplement posés sur le quartier, sans lien avec ce qui les entoure (Fagnoni, 2013), s’ils sont porteurs eux-mêmes d’une discontinuité, ou s’ils s’intègrent à leur environnement. Une autre question essentielle sous-tendue par notre approche comparative peut être posée : tous les équipements culturels localisés sur les anciens sites miniers relèvent-ils de ce modèle exogène ? N’y aurait-il pas d’autres logiques qui s’expriment dans le Bassin minier ?

De même, le réinvestissement par la culture de ces anciens sites ne se traduit pas uniquement par leur réhabilitation en lieux culturels, c’est aussi leur patrimonialisation qu’il faut prendre en compte. Cette reconnaissance de la valeur patrimoniale de l’héritage minier par les institutions est-il perçu comme une reconnaissance pour la population locale également ? Leur passage d’un héritage collectif communautaire à un paysage reconnu comme universel et exceptionnel a-t-il également pour effet de renforcer ce sentiment de reconnaissance ?

Enfin, et c’est la question qui sous-tend tout ce travail, les projets culturels dans le territoire sont-ils porteurs d’émancipation à la fois en termes d’accès égalitaire aux pratiques culturelles, mais aussi, et peut-être surtout, les pratiques culturelles proposées aux habitants leur permettent-elles de réenchanter leur espace vécu, sont-ils les moteurs d’une véritable réappropriation urbaine ou ne sont-ils là que pour contribuer à la mise en récit du territoire, pour participer à la mise en scène des différents projets urbains ?

Après avoir interrogé le rôle de la culture dans les territoires post-industriels et analysé son instrumentalisation comme un possible modèle urbain, nous voulions donc proposer une seconde grille de lecture pour apprécier ce que proposent ces projets de reconversion par la culture dans le Bassin minier. Sans être suffisante, il nous semble que cette grille d’analyse et ces questionnements nous permettent de mieux mettre les habitants au cœur de nos réflexions. C’est à partir de ces questionnements que nous souhaitons détailler l’approche scientifique qui

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a été la nôtre pendant notre terrain de thèse, ce qui fera le lien avec le troisième chapitre dédié à la présentation de ce dernier et à l’explicitation de notre protocole de recherche.

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