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Interroger les pratiques culturelles et les territorialités par l’entretien qualitatif L’objectif du travail de thèse a été d’aller à la rencontre des riverains des différents équipements

Chapitre 3 : Présentation du terrain et méthodologie

2. ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES

2.2 MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE DE TERRAIN

2.2.3 Interroger les pratiques culturelles et les territorialités par l’entretien qualitatif L’objectif du travail de thèse a été d’aller à la rencontre des riverains des différents équipements

culturels sélectionnés. Ce choix a plusieurs raisons. Les deux premières ont déjà été présentées : le fait que les habitants de ces quartiers soient représentatifs des catégories défavorisées de la population du Bassin minier d’une part et que les discours légitimant les équipements culturels en fassent un des publics cibles desdits équipements d’autre part. Enfin, ces habitants résidant systématiquement dans des cités minières155 (puisque les équipements culturels sont implantés sur d’anciens carreaux de mine qui sont toujours associés à des cités), cette approche a permis d’interroger la place de l’héritage minier dans leurs imaginaires territoriaux ainsi que les potentielles répercussions de l’inscription du Bassin minier au patrimoine mondial de l’Unesco

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– notamment quand leur maison était concernée par cette inscription156. Les quartiers sélectionnés l’ont donc été pour des raisons de proximité avec les équipements culturels, de mise en patrimoine de l’habitat et de représentativité de la précarité dans le Bassin minier. La cité 9 à proximité du Louvre, la cité des Provinces à côté de Culture Commune sont d’ailleurs des quartiers relevant de la politique de la ville, ce qui donne une indication non négligeable en termes de diagnostics et d’enjeux économiques et sociaux des zones concernées157.

La cité des Provinces de Lens, la cité 9 et la cité Jeanne d’Arc de Lens, ainsi que la cité Saint-Albert de Liévin sont inscrites au patrimoine mondial. La cité des Provinces est une cité jardin composée essentiellement de maisons mitoyennes qui fonctionnent par blocs de deux, parfois trois. Elle a été construite à partir de 1894 et reconstruite et agrandie dans les années 1920. Cette cité est située sur la commune de Lens mais nous l’avons fait résonner avec le site du 11/19 de Loos-en-Gohelle car elle en est l’immédiate riveraine. En outre, la Scène Nationale de Culture Commune a pour objet de rayonner sur tous les quartiers voisins sans tenir compte des limites communales et a mis en place un événementiel ayant ciblé comme destinataires les habitants cette cité en particulier.

156 Nous le développerons plus loin mais toutes les cités minières du Bassin minier ne font pas forcément partie

des biens inscrits en 2012.

157 Pour un confort de lecture et éviter le chevauchement de figurés, les cités minières inscrites comme bien au

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170 SOURCE :C.MORTELETTE,2016

Pour le Louvre Lens, les entretiens ont été réalisés dans deux ilots différents. Le premier appartient à la cité 9 (mais ne le recouvre pas entièrement), il fait face au musée et constitue un barreau de corons typique. Il fait office de cité-vitrine pour les visiteurs du musée extérieurs à la région et a été réhabilité en ce sens. Le deuxième ilot, derrière le musée, appartient à la cité 9bis, à cheval sur les communes de Lens et de Liévin. Il s’apparente davantage à une cité moderne avec des maisons individuelles et standardisées, construit dans les années 1960, il est constitué de camus bas158 et n’est pas ou peu visible pour les visiteurs.

158 Procédé de production de préfabriqués mis au point par Albert Camus. Un camus bas désigne une maison de

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172 SOURCE :C.MORTELETTE,2016 ET 2018

La troisième carte présente notre terrain à Oignies sur le site du 9/9 bis. Ici, même à une autre échelle, il n’y avait pas de quartier prioritaire à proximité de l’équipement culturel du Métaphone. Nous avons donc resserré celle-ci et choisi un autre indicateur de précarité : le taux de ménage à bas revenus. Ici, la cité Declercq est inscrite au patrimoine mondial (zone délimitée en vert la plus à l’est sur la carte).

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174 SOURCE :C.MORTELETTE,2016

La cité Declercq est également une cité jardin composée de maisons mitoyennes fonctionnant par bloc de deux ou de maisons individuelles. Elle a été construite à partir des années 1930 et porte le nom d’Henriette Declercq, notable de la ville, qui est à l’origine de la découverte de charbon dans la ville en 1841 et a été copropriétaire de la compagnie de Dourges. Henriette Declercq est aujourd’hui un personnage historique local investi lors d’événements patrimoniaux.

La quatrième carte présente le quartier riverain de la fosse d’Arenberg. Ici, presque toute la carte est inscrite à l’Unesco et tous les habitants interrogés habitaient une maison concernée par cette inscription. Il s’agit ici d’une cité de corons construite à partir de 1900 qui a pour particularité d’avoir été mise en valeur lors du tournage du film Germinal de Claude Berri. La rue Taffin et la rue de Croy font toutes deux partie du périmètre inscrit au patrimoine mondial. Ce sont essentiellement des maisons jumelles situées en front de rue.

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176 SOURCE :C.MORTELETTE,2016

Nous avons donc été à la rencontre des habitants entre juillet 2016 et octobre 2017, en nous rendant directement chez eux. L’objectif était de pouvoir aller directement à la rencontre des habitants échappant aux structures régulièrement sollicitées par les équipements culturels comme les écoles, les associations, les hôpitaux ou les centres sociaux. Cette méthode du porte à porte s’est parfois révélée assez éprouvante moralement à cause d’un nombre relativement élevé de refus de me répondre, voire de m’ouvrir la porte. Même si ce que j’ai interprété comme de la méfiance a souvent été contrebalancée par beaucoup de sympathie, cette technique d’approche m’a fait relativiser les représentations erronées, et probablement entretenues par la culture populaire, que j’avais malgré moi des habitants du Bassin minier. De même, cette méfiance s’est également manifestée par peu d’invitations à passer la porte d’entrée de la maison. En effet, beaucoup d’entretiens ont été réalisés dans la rue ou dans les jardins ce qui n’a pas toujours été confortable pour installer un dialogue approfondi. A l’inverse, les invitations à entrer, bien que plus rares, ont souvent été des moments privilégiés avec ces personnes : des cafés ont été partagés, de l’eau et du thé glacé pendant les plus fortes chaleurs, de la sympathie, des encouragements « C’est osé pour une jeune femme de faire ça ! » mais aussi des confidences parfois compliquées à entendre. Passer la porte de certaines maisons et pénétrer dans l’intimité d’un foyer m’ont parfois fait réaliser de manière plus ou moins violente la détresse et la situation de précarité de plusieurs familles ou individus. Même en connaissant les indicateurs socio-économiques, que nous avons détaillés dans le premier chapitre, des habitants des cités minières, et sans généraliser quelques cas sur plus de 40 personnes

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rencontrées, cette confrontation directe avec leur quotidien a parfois été assez dure à accepter et à endurer.

Les entretiens duraient entre 20 et 30 minutes selon les cas. Une dizaine d’entretiens ont été menés dans chacun des sites selon un guide ouvert et souple que nous avons conçu pour être adaptable aux différentes interactions avec les habitants. Néanmoins, j’ai parfois eu le sentiment de ne pas toujours réussir à me faire comprendre ; certaines réponses « à côté » ont pu me décontenancer ; certaines réponses manifestant un désintérêt total pour les équipements culturels ont également pu me décourager. Maryse Bresson (op. cit.) évoque des difficultés propres à la catégorie de population dite précaire. Il faut tout de même noter qu’elle comprend dans cette catégorie des situations relativement diverses de marginalité et d’exclusion159 qui ne concernent pas nos enquêtés a priori. Pour autant, elle prévient des différentes difficultés qui peuvent émerger lors de la phase d’enquête à cause de ce qu’elle appelle la distance sociale et culturelle avec l’enquêté. « C’est un obstacle pour l’observer ou le faire parler, qui prend de multiples formes : une difficulté d’accès aux populations, des maladresses au moment de l’interaction, des incompréhensions réciproques au moment de la passation des entretiens et des erreurs au moment des analyses » (Bresson, loc. cit., p.25)160.

Passer des entretiens qualitatifs avec les tenants de l’action publique pour lesquels je maîtrise les codes, le langage grâce à mes études en urbanisme et aménagement du territoire à des entretiens avec des personnes aux univers culturels, économiques et sociaux finalement assez éloignés du mien, il faut bien le reconnaître, a été assez déstabilisant. J’ai donc tenté de me prémunir de ces obstacles en adoptant progressivement un vocabulaire et un rythme d’entretien plus adapté. Je crois qu’au début, je pouvais par moments adopter un niveau de langage qui n’était pas assez courant. De même, je n’ai peut-être pas toujours su prendre le temps d’installer une relation particulière avec chacun au début de mon terrain. J’ai d’ailleurs été bien plus satisfaite de mes entretiens à Lens, Loos-en-Gohelle et Oignies pour lesquels j’ai réussi à travailler davantage mes interactions avec mes interlocuteurs en parlant de moi ou en expliquant le contexte de ma recherhce, par exemple, pour instaurer une relation de confiance. Le fait est que ce moment du terrain a été très particulier pour moi, il a d’une certaine manière concrétisé mon rapport ambivalent au territoire en me faisant rencontrer des personnes pour lesquelles j’ai

159 SDF, monde la drogue…

160 Je suis pourtant issue de la classe moyenne et ait grandi dans un univers rural plus ou moins isolé, j’ai encadré

pendant de nombreuses année des séjours de vacances avec des adolescents des milieux populaires ou placés ; je ne me suis donc jamais considérée comme une personne « déconnectée » ; mais les incompréhensions réciproques ont, à mon sens, été assez nombreuses au début de mon terrain.

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ressenti une grande empathie, voire parfois de la sympathie, et dans le même temps une espèce d’agacement malgré moi chaque fois qu’ils me disaient ne pas fréquenter l’équipement sur lequel je les interrogeais, voire ne pas le connaître du tout.

Faire la lumière sur mes émotions et mes interrogations sur la manière la plus adaptée d’interagir avec mes enquêtés ne doit pas être assimilé à une forme de mépris social auquel je m’oppose fortement – mon positionnement en géographie sociale et critique en témoigne pour moi je l’espère – en revanche, revenir sur les difficultés qui m’ont construite en tant que chercheuse était un préalable nécessaire à mes yeux. L’exploitation des résultats dans un second temps m’a permis, je crois, de « faire la paix » avec mon terrain et de retrouver une distance avec lui, en me rendant compte notamment que j’avais finalement toutes les réponses aux questions que j’avais posées.

Au regard du nombre de personnes interrogées, c’est davantage l’exemplarité que la représentativité qui était visée ici, notamment en raison de contraintes temporelles. En multipliant les formats d’enquête et concentrant la partie qualitative pendant la période estivale (à un moment où nous pensions peut-être à tort les personnes présentes et disponibles), aller au-delà d’une dizaine d’enquêtes par site s’est avéré compliqué. En outre, l’effet de redondance dans les témoignages, qui fait partie des indicateurs quant à un épuisement des possibilités de réponses, est apparu assez rapidement, ce qui nous a confirmé que l’échantillon, s’il n’était pas exhaustif pouvait être considéré comme suffisant pour indiquer des tendances. Les réponses obtenues ont davantage été traitées comme des récits ou des témoignages personnels que comme des discours représentatifs des habitants du Bassin minier. Nous avons d’abord réalisé un pré-test à Wallers-Arenberg pour évaluer comment nos questions étaient comprises et comment il était possible de les remanier. Suite à ce pré-test, certains aspects de ces entretiens ont évolué, en y insérant notamment des moments d’expression libre face à des images géotypiques161 du Bassin minier par exemple. Les entretiens étaient de type semi-directifs avec des moments plus souples pendant lesquels nous avons volontairement laissé la personne interrogée digresser ou évoquer des souvenirs ou des préoccupations par exemple. Comme le montre le tableau ci-dessous, les objectifs étaient assez ambitieux pour des entretiens ne devant pas excéder la demi-heure, aussi toutes les thématiques n’ont pas été abordées

161 Avec des éléments faisant directement référence à l’héritage minier et d’autres volontairement plus disruptifs

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systématiquement pendant les entretiens. Il était important de rester attentif aux signes de fatigue ou de désintérêt des interlocuteurs en cas d’entretien un peu trop long ou laborieux.

Figure 32 : Le guide d’entretien

Thématiques Quantitatif Qualitatif

Nouveaux projets culturels Les nommer, les situer, les dater, donner leur nature

Avis sur l’architecture,

l’utilité, l’accessibilité, la fréquence des événements – cela change leur perception de leur espace de vie ? du bassin minier ?

Unesco

Délimiter un périmètre,

savoir si sa maison est dans

ce périmètre, savoir

chronologie

Savoir ce que l’inscription change pour eux (et pour le bassin minier selon eux),

quelle utilité, quelle

pertinence ? – change leur perception de leur espace de vie ? du bassin minier ?

Pratiques culturelles (et de loisirs)

Quel type, combien, où, quand, comment, avec qui ?

Ce que ça leur apporte, pourquoi vont-ils dans des lieux culturels (ou pas). Leurs pratiques ont-elles évolué avec l’arrivée des

nouveaux équipements

Unesco

Identité territoriale

Quels sont les équipements les plus emblématiques de leur espace de vie/du bassin

minier, quels sont les

éléments matériels qui leur évoquent le plus le territoire, éléments immatériels ?

Expression libre : Qualifier le territoire, qualifier les habitants du bassin minier

Evolution du territoire

Dire quels sont les lieux qui leur plaisent le plus dans leur espace de vie/le bassin minier

Leur opinion a-t-elle évolué

avec nouveaux projets

culturels ? avec Unesco ? Vision prospective d’ici 15 ans

J’ai également mis en place d’autres dispositifs, des démarches complémentaires plus originales afin de mieux comprendre mon terrain et ses dynamiques, et de m’approcher différemment des habitants. Même si toutes n’ont pas pu donner lieu à une exploitation scientifique, des résultats ont été obtenus au même titre que les trois démarches précédemment évoquées.

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