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L’action publique saisie au prisme des bonnes pratiques et des modèles

2. LA CULTURE COMME INSTRUMENT DANS LES TERRITOIRES POSTINDUSTRIELS, MODE D’ACTION DÉCONTEXTUALISÉ OU

2.1.1 L’action publique saisie au prisme des bonnes pratiques et des modèles

Dans le contexte d’incertitude, les tenants de l’action publique ont besoin d’être rassurés et se tournent plus volontiers vers des projets ou des réalisations qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs. En 2001, Yves Chalas opère une distinction entre l’urbanisme à pensée faible et l’urbanisme à pensée forte. Pour lui, la pensée forte est symptomatique de la modernité et représente la possibilité de la table rase et du grand geste architectural, la volonté de « changer la société pour la rendre meilleure, pour la sauver d’elle-même », une pensée « pétrie de certitudes et orientée vers des perspectives d’avenir clairement tracées ». La pensée faible,

110 On peut également penser au numéro spécial de la revue Espaces et Sociétés sur les bonnes pratiques (2007/4,

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quant à elle, serait symptomatique de la postmodernité et correspondrait à l’urbanisme de la contingence et du doute, une pensée sans référentiel, qui promeut un urbanisme du « débat, confrontation, négociation, compromis ou consensus ». Dans cet ouvrage, Yves Chalas prédit autant qu’il souhaite l’érosion de la pensée forte au profit de la pensée faible qui lui paraît plus à même de répondre aux besoins des habitants et de les faire entrer véritablement dans le processus de production de la ville. Pourtant, l’utilisation des référentiels urbains et leur circulation à l’international n’ont peut-être jamais été autant développées, nouvelle preuve de la cohabitation des deux idéologies propres à la postmodernité et à l’hypermodernité que nous avons déjà évoquées à plusieurs reprises. En effet, la reproduction de modèles et l’appel à des référentiels ou la volonté de sauver et régénérer l’urbain (modernité, hypermodernité) et la prise en compte des particularités et des besoins des habitants (postmodernité) émergent de manière concomitante. Par ailleurs, il nous semble que ces deux idéologies, ces deux approches, se complètent pour définir l’urbanisme et l’action publique d’aujourd’hui : un urbanisme qui ne se fait plus sans l’appel à des références mais qui se construit dans la réflexivité.

Ces appels à des références sont aujourd’hui facilités par le contexte de la mondialisation qui permet leur circulation à l’international. Cela se traduit très concrètement par les techniques de

benchmarking qui consistent à repérer ce qui se fait de mieux dans différentes régions du monde sur un thème précis, comme le classement de Shanghai pour les universités, ou la constitution de réseaux de villes, comme le réseau Unesco des villes créatives, qui favorisent l’échange entre grandes métropoles, entre autres. Dans ce contexte, il n’est pas rare de retrouver les mêmes modes de faire dans des contextes parfois très différents. Pour autant, la distinction entre modèles et bonnes pratiques n’est pas toujours aisée à opérer. De même, le mot « modèle » peut recouvrir différentes significations ou être compris de manière différente. Nadia Arab distingue par exemple deux définitions de « bonnes pratiques » ; d’abord une acception non controversée qui désigne « les technologies et techniques éprouvées, dont on peut transmettre le mode d’emploi et garantir avec une certaine assurance le niveau de performance escompté » (Arab, 2007), et une deuxième en tant que « réalisations urbaines exemplaires » (ibid., Arab,) qui nous paraît se rapprocher davantage de la définition de modèle en tant que « cadre de références » (Bourdin, Idt, op. cit.), mais qui reste éloigné du modèle en tant qu’« idéal pour l’action »111 (Bourdin, Idt, loc. cit.). Au point qu’il peut être parfois compliqué d’opérer la distinction entre modèle urbain et bonnes pratiques en tant que référentiels pour l’action.

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Analysés sous l’angle du gouvernement des villes (Devisme et al., 2007) ou sur les conditions du transfert (Landel, 2011), les modèles urbains eux-mêmes peuvent recouvrir plusieurs acceptions sous la même appellation. Bien que ces termes désignent essentiellement des opérations servant « de référence à l’imitation ou à la reproduction dans un contexte autre que celui de sa production initiale » (Peyroux, Sanjuan, op. cit.), il nous semble intéressant de clarifier leurs différentes significations grâce au tableau que réalisé ci-dessous, réalisé en grande partie grâce à la lecture de l’introduction du numéro spécial d’EchoGéo (2016, n°36) sur les stratégies de ville et les modèles urbains rédigée par Elisabeth Peyroux et Thierry Sanjuan

Figure 20 : Typologie des significations possibles de modèles urbains et de bonnes pratiques

Différentes acceptions Applications pratiques

Modèle urbain

Projection spatiale et image de la ville

Smart city Ville végétale

Ville décroissante / résiliente

Modèle sectoriels Ville durable

Ville inclusive Concepts transposés à l’action publique Ville globale Ville créative Cité jardin Modèle urbain/

références/bonnes pratiques Tendances de fond

Hygiénisme Retour au fleuve

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Privilégier les modes doux

Organisation spatiale

Cluster Eco-quartier

Waterfronts

Bonnes pratiques Technologies et

techniques

Bus et vélos en site propre Cœurs de ville Concertation habitante Technologie du véhicule automatique léger pour les

métros REALISATION :C.MORTELETTE,2018

Ce tableau explicite les différents sens que peut recouvrir le mot « modèle » de sa définition la plus globale et idéaltypique (première ligne) à sa définition la plus circonscrite et technique (troisième ligne). Nous retrouvons alors les différentes références qui sont employées actuellement, et à différentes échelles, par les tenants de l’action publique ; à la fois en termes de visions stratégiques de développement territorial et en termes d’applications concrètes. Ce tableau doit nous aider par la suite de mieux comprendre s’il est possible d’envisager la reconversion des territoires postindustriels par la culture comme un modèle (Bailoni, op. cit., 2014) ou comme une idéologie (Grelet, Vivant, op. cit.) ou si le musée Bilbao peut effectivement être considéré comme un modèle (Nicolas, 2014). En effet, la plupart des auteurs évoqués choisissant de parler de « modèle » ne justifient pas l’utilisation de ce terme. Dans ce cadre, nous proposons de vérifier comment l’instrumentalisation de la culture est effectivement saisie comme modèle de l’action publique.

2.1.2 Le redéveloppement par la culture, un modèle pertinent de l’action publique ?

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