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Terminologie

Dans le document Hétérogénéité stylistique (Page 57-60)

1. Objet d’étude et méthode

1.2 Terminologie

Nous aurions pu qualifier ce phénomène de « pluralisme stylistique » mais le terme de « pluralisme », outre qu’il décrit le plus souvent des objets qui dépassent l’échelle individuelle — phénomènes de culture, systèmes politiques —, renvoie explicitement aux philosophies dites « pluralistes » (Démocrite, Épicure, Leibniz, Whitehead) et indiquerait par là une inflexion herméneutique trop franche. Dans les études culturelles, le terme de « pluralisme » a beaucoup été utilisé pour décrire un ensemble de relations visuelles très larges au sein de la société post-moderne (Foster 1985)8. En outre, il ne met pas assez l’accent sur le fait que, dans le phénomène singularisé que nous décrivons, des entités peuvent s’affronter, être réellement antinomiques les unes aux autres : le terme d’« hétérogénéité » indique qu’il n’y a non seulement absence possible de « synthèse », mais suggère encore que la coexistence des constituantes se révèle pour le moins problématique.

Évidemment, le terme d’« éclectisme » a été écarté à cause de son usage habituel en histoire de l’art (Rosenblum 1967). De fait, nous établirons une distinction très nette entre « hétérogénéité stylistique » et « éclectisme historiciste ». La ressemblance entre les deux phénomènes est évidente, dans la tendance à décliner simultanément une multiplicité de styles. Mais l’éclectisme qui décrit l’état du style dans une culture n’est pas le même que celui qui caractérise la production d’un artiste particulier. Par ailleurs, les « styles » qui composent l’éclectisme historiciste ne sont habituellement pas perçus comme « inédits », alors qu’ils peuvent l’être dans le cas de l’hétérogénéité stylistique. De fait, l’identification de l’hétérogénéité stylistique à l’éclectisme historiciste est un exemple relativement typique d’une propension problématique à ravaler la production d’artistes individuels au rang d’épiphénomène de phénomènes de culture, sur la base de ressemblances structurelles de surface.

8 Chez Foster, le pluralisme esthétique qui caractérise la société de marché contemporaine fait miroiter

le leurre de la diversité et de la liberté de modulation et d’accès au langage, alors que son véritable mouvement est décrit comme un processus d’homogénéisation idéologique violente.

Le terme d’« hétéroclite » aurait pu être utilisé pour qualifier les productions étudiées. Mais son acception première, qui semble bien définir notre problématique — « œuvre faite de parties appartenant à des styles ou à des genres différents » (Rey 2006 : 1712) — décrit habituellement une entité ou une œuvre individuelle et non pas un ensemble disséminé, saisi conceptuellement à un moment ou une période temporelle donnée — dans ce cas : le corpus monographique. Mentionnons au passage, car nous reviendrons sur cette correspondance importante, que cette définition du terme d’« hétéroclite » est essentiellement la même que celle du terme de « pastiche » pris dans son sens étymologique. Surtout, le terme « hétéroclite » a une inflexion connotative surdéterminée par la négative : il exprime une apparence bizarre, voire fortuite, souvent dénuée d’intentionnalité. En outre, comme le terme de « pluralisme », il ne donne pas nécessairement l’idée d’un antagonisme fort entre les constituantes.

L’omission de cette connotation d’opposition des termes constitutifs est également le défaut que l’on pourrait trouver à un autre terme, qui décrit sinon assez bien le phénomène qui nous occupe : celui de « polyvalence ». Mais outre ce défaut, le terme de « polyvalent » — « Qui a plusieurs fonctions, plusieurs activités différentes » (Robert) — se rapporte plutôt aux artistes qu’à leur production — et relève donc davantage de la compétence que de la performance —, en mettant notamment l’accent sur une potentialité intrinsèque, alors que c’est une configuration-résultat, un état de fait, qui constitue justement l’essentiel du sujet. Une lacune semblable s’attache au terme de « versatile ».

Nous avons donc retenu le terme d’ « hétérogénéité ». Le Robert historique (Rey 2006 : 1712-1713) nous donne plusieurs informations intéressantes sur l’origine de ce terme :

HÉTÉROGÈNE adj. d’abord écrit eterogenée au féminin (v. 1370), forme

en usage jusqu’au XVIe s., puis hétérogène (1657-1658), est un mot

emprunté au latin scolastique heterogeneus, lui-même au grec heterogenês « d’un autre genre, d’une autre espèce », employé par exemple chez Aristote,

à propos des noms qui changent de genre au pluriel, composé de heteros (→ hétéro) et de -genês, de genos « genre » (→ -gène).

♦ Hétérogène est d’abord attesté, au XIVe s., avec le sens aujourd’hui

archaïque de « qui est de nature différente » ; il s’oppose à homogène. Au XVIIe s., le mot se dit au propre de ce qui est composé d’éléments de nature

différente, dissemblables (1690 ; corps hétérogène), puis au figuré à la fin du XVIIIe s. (1798) par ex. dans nation hétérogène, y compris en parlant d’une

seule entité (notion, concept hétérogène). Il s’est aussi employé en grammaire au sens étymologique (1866, substantif hétérogène).

► HÉTÉROGÉNÉITÉ n.f., emprunté (1586) au latin scolastique

heterogeneitas, a été formé d’après homogénéité (suffixe -ité).

Le Petit Robert ajoute, par ailleurs que les synonymes d’« hétérogénéité » sont : disparité, dissemblance, diversité. En grec, le préfixe heteros et le nom heteron signifient « autre ». Ses antonymes sont : homos (« semblable, le même »), isos (« égal »), autos (« soi-même, lui-même ») et tauton (« le même »). Le dictionnaire précise en outre que le grec -genês, de genos signifie également : « naissance, origine ». Le terme d’hétérogénéité évoque donc, par son étymologie, les notions symétriquement inversées mais complémentaires de « naissance à partir de l’autre », « à partir de la différence » et de « naissance de la différence » ou « naissance de l’altérité ». On notera d’ailleurs au passage ce détail intéressant qu’en didactique moderne, hétérogénie, « n.f. (1837) […] désigne une origine multiple ».

Quant à l’étymologie des termes de « style » (et de « stylistique »), nous l’aborderons dans la section suivante. Soulignons cependant au passage l’effet de sens accommodant que produit le terme de « stylistique », car l’adjectif fait résonner sa forme substantive, qui renvoie, surtout avant le 20e siècle, à une didactique, définissant une « connaissance pratique des particularités de styles (figures, idiotismes) » puis à une étude scientifique de la langue.

En fait, les termes exacts pour décrire les pratiques qui nous intéressent seraient : « hétérogénéité stylistique monomédiatique synchrone s’exprimant d’une œuvre à l’autre ». Une telle formule n’allégerait pas le texte. Nous la réduisons conséquemment à l’expression « hétérogénéité stylistique », qui par convention renverra au fil du texte au sujet décrit.

Dans le document Hétérogénéité stylistique (Page 57-60)