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Termes génériques en usage pour désigner le spectacle d’humour

Expression de l’humour à La Réunion

8.4 Termes génériques en usage pour désigner le spectacle d’humour

Comment les humoristes présentent-ils la nature de leur production ? Quels mots emploient-ils pour désigner leur performance orale et scénique ? Plusieurs termes apparaissent : zistoir, ti kont, spéktak, skétsh…

8.4.1 En tradition orale : « in zistoir »

Du côté de la tradition orale le premier terme consacré semble être celui de « z’histoires », Daniel Vabois en 1979, intitule son disque et son spectacle : « Z’histoires Créoles ». Ce disque est le premier document sonore à présenter des enregistrements de performances humoristiques.

1 Kout mon zistoir. Ou wa di apré si la pa vré. (V4)

(Ecoutez mon histoire. Vous me direz après si ce n’est pas vrai.)

2 Avann antan i pé pa kroir, mé astèr k’zot i koné le zistoir, kosa k’zot i di d’sa ? mh ? mh ? (V4) (Il faut l’entendre pour le croire, mais maintenant que vous connaissez l’histoire, qu’en dites-vous ?) 3 Fricassé z’histoires créoles (titre d’enregistrement de spectacle, Daniel Vabois)

4 In kou, ékout mon zistoir, ou va voir, ou va di amoin aprè si la pa vré. (V21) (Une fois, écoute mon histoire, tu vas voir, tu me diras après si c’est faux.) 5 M’a rakont azot in nafér (J6),

(Je vais vous raconter quelque chose.)

6 Parlfét m’a di aou inn ti kont, lé pa pou malparlé hin (V7), (Au fait, je vais te dire une histoire, ce n’est pas pour dire du mal.) 7 M’a di aou inn ti kont (V17)

(Je vais te dire un petit conte.)

En reprenant le terme de « zistoir » (Ex.1,2,3,4), Daniel Vabois se positionne clairement dans la lignée traditionnelle des raconteurs-d-z’histoires dont un premier corpus scientifique a été réuni dans le volume Kriké Kraké1, avec description et analyse des techniques corporelles

1 Barat, C.; Carayol, M., Vogel, C., Kriké Kraké : recueil de contes créoles réunionnais, Institut d’Antrhopologie Sociale de l’océan Indien, Centre Universitaire de La Réunion, Saint-Denis, 1977.

140 de contage. Pour monter sur scène il se munit d’ailleurs d’un chapeau et des habits d’un planteur, pour construire cette figure du raconteur dont il reprendra les codes (cf. 13.11). Cette référence est encore plus explicite par l’usage du terme spécifique « ti kont » servant à désigner une forme brève de l’oraliture, une toute petite histoire.

Il n’y a cependant que Daniel Vabois qui revendique ce lien, les autres performeurs vont utiliser des termes plus généraux. La référence au récit traditionnel s’estompe comme le montre l’exemple 5 où seule subsiste l’action et l’intention de « raconter quelque chose ».

8.4.2 En tradition scénique : « in skétsh »

1 Son bann zotër, Thierry Jardinot ék Jean Laurent Fauboug, banna lé sékéstré tank zot i trouv pa le skétsh ke va mét aél an valèr. (S1)

(Ses auteurs, Thierry Jardinot et Jean-Laurent Faubourg, ils sont séquestrés tant qu’ils ne trouvent pas le sketch qui va la mettre en valeur.)

2 Moin la fine voir tout ton skétsh, Alice i déménaj, tousa. (S6) (J’ai déjà vu tous tes sketchs, Alice déménage, et tout. (Je regarde tes sketchs depuis longtemps.)

6 Na domoun, bin ki komann skétsh, na dmoun i komann DVD ék moin (S7)

(Il y a des gens, oui, qui me commande des sketchs et il y a ceux qui comande des DVD avec moi.

8.4.3 Pour le public : « in spéktak »

Le terme le plus courant, cité 14 fois dans notre corpus, est celui de “spectacle” :

1 Zot lé trankilman zot kaz trinn gard télé é zot la anvoy zot kloun spéktak. (M2)

(Vous êtes tranquillement chez vous à regarder la télé et vous avez envoyé votre clôune au spectacle.) 2 La sé le moman du spéktak le plu difisil pou moin. (M3)

(Là c’est le moment du spectacle le plus dificile pour moi.) 3 É aprésa nou repran le spéktak normalman (M3)

(Et après cela on reprend le spectacle normalement.)

4 M’i remèrsi… m’a prézant azot in boug… Bruno Cadet ke la ékri é mi an sène se spéktak. (M5) (Je remercie… je vous présente quelqu’un… Bruno Cadet qui a écrit et mis en scène ce spectacle.) 5 Sa sé pa in léklérazh spéktak sa non (S1)

(Ce n’est pas un éclairage de spectacle.)

6 É là, sèt-ané la pa trouv mië ke d’intitïl son spéktak, Alis i arbis. (S1)

(Et là, cette année elle n’a pas trouver mieux que d’intituler son spectacle, Alice rebisse.)

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7 Na tro lontan li fé spéktak., (S1)

(Il y a trop longtemps qu’elle fait des spectacles.) 8 Na lontan moin té vé rant komsa dann in spéktak. (S2)

(Ça fait longtemps que je voulais entrer comme ça dans un spectacle.) 9 M’i débat pou moin rant dan in spéktak an dansan (S2)

(Je me bats pour entrer dans un spectacle en dansant.)

10 Parske spéktak moin la rant de diférant fason. Na spéktak moin la rantré an marshan, na spéktak moin la rantré a rekulon, na spéktak moin la rant dann fénoir, na spéktak moin la rant an diaré, é na spéktak moin la pa rantré di tou. (S2)

(Question spectacle, je suis entrée de différentes façons. Il y a les spectacles où je suis entrée en marchant, les spectacles où je suis entré à reculons, les spectacles où je suis entré dans l’obscurité, les spectacles où je suis entrée avec la diarhée, et les spectacles où je ne suis pas entré du tout sur scène.)

11 Hin, ka fé, na poin dë biyé pou lé ga. Dë biyé spéktak. (S7)

(Hé, autrement, tu n’aurais pas deux billets pour les gars. Deux billets de spectacle.) 12 Li ginÿ nir oir spéktak gratuit. (S7)

(Il peut venir voir les spectacles gratuitement.)

13 Nout tout nou retrouv anou dann in zholi sal spéktak komsa (S7)

(Nous tous nous nous retrouvons dans une jolie salle de spectacle telle que celle là.) 14 Solman spéktak lé fini. (S7)

(Mais le spectacle est terminé.)

La lecture de ces deux séries d’exemples met à jour une réalité professionnelle, en évoquant la prestation elle-même, mais aussi le lieu de la scène, de la salle, du public, il évoque également l’univers économique, l’équipe de production, l’équipe technique, révèle le nom des auteurs et souligne ainsi l’existence d’un moment antérieur voué à l’écriture, à la conception, à d’éventuelles commandes ou attentes du public.

Chacun de ces termes appuie un aspect particulier du travail de l’humoriste. « Zistoir » renvoie au conte, au contage, aux histoires contées en public dans « le rond » des auditeurs.

« Skétsh » insiste davantage sur l’écriture théâtrale mettant en scène des personnages à jouer, écriture donnée comme préexistante, mise en scène, répétée, orchestrée. « Spéktak » confère à la production une dimension scénique, liée à une scène et incorporant un travail de lumière et de son.

Finalement la dimension du « jeu » a subtilisé le primat du « récit ». Il est important de concevoir dès le départ ce qu’est le concept du « zhouar » en terrain réunionnais qui recouvre aussi bien le théâtre (Ex. 1,2,3,5,6,7,8) que musicale (Ex.4).

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1 Bruno vien in instan siteplé. Sé mon deuzième tét, voila. Na inn i zhoué. Na inn I pans. (M5) (Bruno vient un instant s’il te plaît. C’est ma deuxième tête, voila. Il y en a un qui joue. Il y en a

un qui pense.)

2 Sété Thierry té done anou le top pou zhoué. (S2) C’était Thierry qui nous donnait le top pour jouer.

3 Zhoué la mérde la té. (S2) Joue-nous ta merde.

4 Mé non ou sa pa zhoué amoin in séga Claude François (S5) Mais non tu ne vas pas nous jouer un séga de Claude François.

5 Moin la lans amoin dann téat, moin la parti zhoué avec Les Improductibles (S5) Je me suis lancé dans le théâtre, je suis parti jouer avec Les Improductibles.

6 Inn ti pé kom téat dramatik kan i zhoué la. (S5) Un peu comme au théâtre dramatique quand ils jouent là.

7 Navé in marmay té zhoué sanm nou. (S5) Il y avait un jeune qui jouait avec nous.

8 Mé sa, sé téat komsa la, sé téat La Réunion mé i rod fé kom téat de Frans. Mais la cerise sur le gateau c’est quand les troupes de métropole i sa zhoué zot téat La Réunion. (S6)

Mais ça, ce genre de théâtre là, c’est du théâtre de La Réunion mais qui cherche à faire comme le théâtre en France. Mais la cerise sur le gateau c’est quand les troupes de métropole viennent jouer leur théâtre à La Réunion.

Autre phénomène intéressant révélé par ces appellations génériques : nous sommes au croisement de l’oral (oraliture), de l’écrit (littérature), de la scène (spectacle vivant) et de la production audiovisuelle.

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Chapitre 9

Analyse de deux cents unités lexicales créoles de l’humour