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Les langues créoles dans le monde et les langues à La Réunion

Histoire de l’île et situation linguistique de La Réunion

1.1 Les langues créoles dans le monde et les langues à La Réunion

Avant d’aborder la question de l’humour, il est préférable de préciser que les langues créoles sont le produit du phénomène que les linguistes nomment la créolisation et de situer La Réunion dans un enchâssement en entonnoir présentant les langues créoles du monde, les langues créoles à base lexicale française, puis l’environnement linguistique réunionnais.

L’île de La Réunion fait partie, avec Madagascar et Maurice, de l’archipel des Mascareignes dans l’océan Indien. L’île est localisée à 55 degrés 3 de longitude Est et 21 degrés 5 de latitude sud, entre l’île Maurice, à 200 kilomètres, et Madagascar, à 800 km. La superficie de cette île montagneuse est de 2 512 km2 avec Le Piton des Neiges, point central culminant à 3070 mètres, autour duquel se forment trois cirques habités et Le Piton de la Fournaise, son volcan, un des plus actifs au monde, qui occupe la zone septentrionale, en partie inhabitée. Le relief crée une zone au vent et une zone sous le vent. Le climat est tropical, tempéré par les alizés et connaît une saison cyclonique de décembre à avril.

La Réunion a connu différentes phases de peuplement venant de France, de Madagascar, de la côte orientale de l’Afrique, de la côte occidentale de l’Inde. Plusieurs religions y sont représentées : le catholicisme, l’hindouisme, l’islam, le bouddhisme ainsi que des cérémonies malgaches. Les différents noms de l’île retracent les grandes périodes de son histoire. Durant la période de la découverte, elle fut appelée Dina Morgabin par les Arabes, bien avant 1450, et va être redécouverte par un navigateur européen en 1504 qui la baptise Santa Appollonia, Blackwell un pirate anglais y accoste et la nomme pour sa part England’s Forest. Pedro de Mascarenhas donne son nom à l’Archipel des Mascareignes dont les français prennent possession en 1638. En 1642, lors du premier débarquement à Saint-Paul, elle devient Mascarin, puis à partir de 1649 Île Bourbon. La première occupation définitive de l’île par les Français a lieu en 1663 et ouvre la période de la Compagnie des Indes, de 1665 à 1764. Les quatre ou cinq premières décennies de cette période sont celles de la créolisation linguistique. L’économie est marquée par la culture du café et par l’instauration, à partir de 1724, du Code Noir qui institutionnalise l’esclavage. Le territoire ne change pas de nom pendant la période royale (1764-1788). Durant la période révolutionnaire et impériale (1789-1815), elle prend d’abord le

25 nom de La Réunion en 1793 en souvenir de l’assaut du Palais des Tuileries, puis Île Bonaparte en 1806, avant de reprendre le nom de Isle of Bourbon en 1810 sous l’occupation anglaise, qui se maintient à la fin de l’occupation en 1815. L’abolition de l’esclavage n’intervient qu’en 1848, c’est alors qu’elle prend le nom d’Île de La Réunion. Elle garde un statut de colonie et d’île à sucre jusqu’en 1946 où elle est intégrée dans l’état Français.

Aujourd’hui Département et Région d’Outre-Mer français (DROM), Région Ultrapériphérique de l’Union Européenne (RUP), son découpage administratif compte une seule Région, un seul Département, 24 communes, 5 Etablissements Publics de Coopération Intercommunautaire (EPCI). La Préfecture est dans le chef-lieu à Saint-Denis dans le nord, deux Sous-Préfecture sont situées dans l’ouest à Saint-Paul et dans l’est à Saint-Benoît. L’île compte en 2016 850 296 habitants et devrait dépasser le million d’ici 2030. Près du tiers de sa population, soit 240 000 personnes est composée d’élèves ou d’étudiants. La population active est estimée autour de 345 000 personnes et rassemble 40 000 entreprises. On y dénombre 330 000 logements, dont la moitié est en location. Le coût de la vie est élevé surtout pour 343 000 personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté monétaire. Cette année, le taux de chômage est estimé à 22,4% et concerne 78 000 personnes.

1.1.1 Synoptique de répartition des créoles en zones géographiques

Les langues créoles sont nées dans le contexte historique de la colonisation à partir du dix-septième siècle, elles sont les produits de la créolisation linguistique :

« Pour les situations de contact exogènes, on peut imaginer, dans le cas des « créoles français », le scénario suivant, suggéré indépendamment par Chaudenson (1979) et Baker (1984). Dans un premier temps, au cœur des habitations coloniales, la population « blanche », locuteurs de variétés de français, et la population servile partagent les mêmes conditions de vie. La population de « grands commençants », d'esclaves, est « exposée » aux dialectes français des colons. Il existe certainement une forte variation dialectale au sein des sites coloniaux, entre les parlers des maîtres, dans leur diversité, et les « français approchés » de la population asservie, groupes sans doute multilingues, qui n'ont pas encore perdu l'usage des langues connues antérieurement. Selon tous les témoignages, les esclaves des habitations parviennent assez rapidement à maîtriser la langue du maître. Le développement d'une économie de plantation provoque l'arrivée massive de nouveaux esclaves, les bossales, qui, du fait de leur nombre, ne sont plus en contact avec des locuteurs « natifs ». Cela engendre des approximations des variétés linguistiques dominantes, une

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distorsion du continuum des échanges linguistiques, et une autonomisation des variétés linguistiques (cf. Manessy 1994, Miller 1994, Valdman 1994, Baker 1995) »1

Ainsi sont distingués des créoles à base lexicale française, anglaise, hollandaise, portugaise et espagnole, réparties sur l’ensemble de la planète, principalement dans les îles ou les espaces littoraux comme le montre ce tableau synthétique de Nazaire, R., Derrien, E., Prudent L-F.

(CRDP, 2008).

1 Véronique, D., « Créolisation et créoles » dans Simonin J., Wharton S., Sociolinguistique du contact.

Dictionnaire des termes et concepts, ENS Editions, pp. 143-178, 2013

27 1.1.2 Carte 1 Les créoles français

. Les créoles à base lexicale française concernent plus de onze millions de locuteurs et se concentrent dans deux zones : Cette carte extraite de la Grammaire du créole réunionnais (2004) permet de localiser les créoles français (FR) de l’océan Indien. Les tableaux que nous y joignons donne le recensement des deux zones géographiques où l’on retrouve des créoles à base lexicale française.

1.1.3 Tableaux du recensement par zone créolophone

Zone océan Indien Recensement officiel

La Réunion (2016) 850 296

Ile Maurice (2012) Rodrigues (2011) Agaléga (2011)

1 291 456 40 400 300

Seychelles (2013) 89 173

Total 2 241 239

Zone océan Atlantique Recensement officiel Saint-Pierre et Miquelon (2011) 6080

La Guadeloupe (2013) 402 119

La Guyane (2013) 244 118

La Martinique (2013) 385 551

Saint-Barhélémy (2013) 9 279

Saint-Martin (2013) 35 594

Sous total 1 076 661

Haïti (2016) 11 078 033

Locuteurs louisianais Autres antillais

30 000 200 000

Total 12 384 694

28 Au sein des territoires ultra-marins français, seuls Mayotte, La Polynésie et Saint-Pierre et Miquelon n’ont pas développé de langue créole.

1.1.4 L’environnement linguistique de La Réunion actuelle

Les Etats généraux du multilinguisme dans les outre-mer, rassemblement organisé en décembre 2011 à Cayenne par la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France du Ministère de la Culture, a proposé une fiche concernant l’environnement linguistique de chacun des territoires ultra-marins français et de leurs voisins.

Pour La Réunion, les langues présentes sur le territoire sont : le français et le créole réunionnais. Plus rarement, on peut aussi rencontrer le tamoul, l’hindi, le gudjrati, l’ourdou, le dialecte hakka cantonnais, l’arabe coranique, le mahorais ou shimaoré, le comorien, le malgache et autres langues de Madagascar, le créole mauricien, le créole seychellois, le créole rodriguais.

Les chercheurs1 insistent également sur le sentiment linguistique des locuteurs, ils soulignent que le français non marqué, dit standard, est peu maîtrisée au sein de la population qui ne repère pas le caractère régionaliste du français dont ils font usage. Aussi le créoliste trouvera dans ces dictionnaires francophones l’intégralité des termes créoles puisqu’ils sont inclus dans le lexique du français régional de La Réunion. C’est pourquoi nous incorporons cet inventaire à notre appareil lexical (cf. 0.8).

La situation linguistique réunionnaise oscille entre des variétés de français et de créole. La variation entend qu’aucune langue n’est figée et monolithique à part les langues mortes. Tant que la langue est vivante, elle est soumise nécessairement à des variations phonologiques, syntaxiques, lexicales et prosodiques. La variation n’induit pas qu’il y ait plusieurs langues puisqu’il y a bien intercompréhension. Le Saintois est une variante du créole guadeloupéen. Il existe plusieurs types de variations dont notre corpus témoigne. La variation diachronique puisque la langue évolue dans le temps et se transforme, on différenciera le créole ancien

11 Beniamino, M., Le Français de La Réunion, inventaire des particularités lexicales, EDICEF, UPRES-A 1041 du CNRS, Université de La Réunion, 1996.

1 Baggioni. D & Robillard, D. de, 1990 : Île Maurice une francophonie paradoxale, Paris, L’Harmattan, collection Espaces francophones : 187 p.

1 Chaudenson, R, Des îles, des hommes, des langues. Langues créoles- cultures créoles, Paris, L’Harmattan, 1992, 233p.

29 (XVIII-XIXème siècle), du créole moderne (XXème siècle), du créole contemporain (XXIème siècle).

La variation géographique doit être prise en compte puisque à la Réunion, on distingue une variété géographique appelée « le créole des Hauts » qui se distingue du « créole des Bas ».

Dans l’archipel caribéen « le créole des îles à sucre » et « le créole des îles sans sucre. » Du côté de l’usage du français, on fait une distinction entre le français standard et le français régional qu’est le français de La Réunion. Il est impossible d’aborder l’humour réunionnais sans avoir cette dynamique linguistique en tête, en posant que :

- Le français standard est toujours source de quiproquo, signalant que l’intercompréhension entre les deux langues n’est pas complète. L’utilisation d’un français standard est toujours modifiée par des « créolismes » ou « régionalismes ».

- Le sentiment linguistique créolophone face au français régional fait que sa représentation première est celle d’un français fautif, plutôt que d’une norme régionale. Le locuteur qui les produits sera toujours jugé par rapport au français standard. Les humoristes caricaturent des défauts de compétence que les linguistes ont pu listé comme constituant la variation réunionnaise du français.

- La variété géographique du créole est également présentée comme objet de moquerie.

Face aux énoncés de notre corpus, à partir des caractéristiques linguistiques décrites ci-dessus, nous opérons aisément une distinction entre le créole commun et la variété géographique. En ce qui concerne la langue française, l’usage d’un français standard est difficilement attestable, nous avons préféré signaler les « défauts de compétences » observés et les « créolismes », sans chercher à isoler un type de français régional.

1.1.5 Unité et diversité du créole de La Réunion

Fidèle à l’analyse de Carayol1 (1977) on peut synthétiser que le créole désigné au sein de la population comme « créole des Bas » : « se signale par l’absence de la série vocalique antérieure arrondie et des consonnes chuintantes. ». Le « créole des Hauts », présente, lui, un système phonologique plus riche, il se caractérise par «une articulation plus tendue » et une

« courbe fortement ascendante de l’intonation ». On dit que les gens des Hauts « chantent. »

1 CARAYOL, M., Le Français parlé à La Réunion, phonétique et phonologie, Librairie Honoré Champion, Paris, 1977.

30 Sur le plan morphosyntaxique, il présente des différences au niveau du groupe des pronoms personnels (la seconde personne du singulier : Avou, Vou, Vi), dans une forme particulière de l’imparfait (par désinence et non par marqueur préverbal), et par un emploi plus fréquent de morphèmes fonctionnels. Pour Carayol (1984), ce qu’on appelle « le créole des Hauts » partage avec le français régional des traits distinctifs qui les éloignent tous deux du français standard :

« morphème fonctionnel de présence élevé dans le discours », « non emploi du subjonctif »,

« emploi de périphrase verbal d’aspect », « emploi de l’auxiliaire avoir au lieu de être », « non emploi des verbes pronominaux », maintien de « verbes anciens originaires des parlers régionaux français », « extension et déplacement des aires d’emploi de verbes français ».

1.1.6 Carte 2 : La carte géographique des Hauts et des Bas de La Réunion

.Les Hauts et les Bas sont démarqués par une ligne administrative. Cette ligne ne correspond pas à un critère d’altitude, les services de l’État l’utilisent dans le cadre du Schéma d’Aménagement Régional pour différencier les zones selon leur développement urbain et leur développement rural. C’est pourquoi des communes côtières comme Sainte-Rose sont considérées comme faisant partie des Hauts.

Les représentations linguistiques invitent à localiser les communes de Petite Ile et de Saint-Joseph, figurant ici dans la zone des Bas, comme étant des territoires où se parlerait aussi le créole des Hauts. Seule une vaste enquête de terrain permettrait de valider cette supposition. La carte ci-dessous nécessite donc de préciser que la zone linguistique du créole des Bas ne correspond pas à la démarcation administrative des Hauts et des Bas de La Réunion

31 Cette carte explique l’utilisation des termes les Hauts et les Bas en contexte réunionnais.

Elle indique les principaux foyers de peuplements. La zone géographique des Bas, en orange, connaît un fort développement urbain. La ligne traverse les communes et permet de distinguer les zones davantage rurales qui sont situées à mi-pente et dans les hauteurs de l’île. Le cœur de La Réunion est une zone protégée devenue Parc National et classée par l’Unesco comme patrimoine mondial de l’humanité pour ces cirques, ces pitons et ces remparts.

Le lecteur pourra utilement se référer à cette carte lorsque nous étudierons la relation de l’humour à la géographie et à l’histoire (cf. 13.5)

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