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Tableau synoptique des champs lexicaux et sémantiques

9.1 Du rire à la moquerie : « ri(r) »

Le premier champ permettant de définir l’acte humoristique et son produit part de l’unité verbo-nominale rir, du verbe ri et du synthème verbal fé ri (la boush/la gèl). C’est un item souvent utilisé dans les titres :

Titre 1 : J’ai pas ri à Paris (Alain Hubert, 1991) Titre 2 : Kosa i fé rir azot (Téat la Kour, 2000)

Titre 3 ; Après l’an 2000 nou ri encor’ (Thierry Jardinot, 2000).

Titre 4 : Le Théâtre du Rire, compagnie de Bruno Cadet (2011) Titre 5 : Si fé ri, lé pris. (Thierry Jardinot, 2012)

Titre 6 : Festival Férir (Jean-Laurent Faubourg, 2012)

Dans les performances de notre corpus nous avons relevé 24 exemples de leur emploi répartis sur différentes formes.

146 9.1.1 « Rire », « rire de », « éclater de rire »

Dans nos exemples, deux formes sont utilisées i rir et i ri Le monème lexical « rir » peut aussi bien accepter les modalités du nombre (lo rir, in rir, in gro rir, son bann rir…), auquel cas il sera considéré comme un nom, que les marqueurs de temps ou d’aspect (i rir, té rir, la pou rir…) faisant de lui un verbe, par ailleurs bivalent.

1 Ohlala, sa sé in rir sa. Ou na in rir lé bon pou anbar kapusin ou. (J5)

(Ohlala, ça c’est un rire ça. Tu as un rire qui est bon pour bloquer les poissons capucins toi.) 2 Sak i mank in dan i rir for la (S1)

(Celle à qui il manque une dent et qui rit fort.) 3 Zot i pé rir. (J6)

(Vous pouvez rire.)

4 Kom madam la hin, voila, té i ri komsa. (J14) (Comme cette dame oui, voilà, elle riait comme ça.) 5 Nana domoun i ri vomië ou rant pa di tou. (S2)

En tant que nom (ex.1) le terme rir est transparent et signifie exactement la même chose que le substantif français : rire. Par la définitude, le rir recouvre le sens concret et le sens abstrait, le syntagme n’admet pas de forme en la rir*.

Le verbe1 se partage morphologiquement entre une forme courte, ri (Ex. 3 à 9), et une forme figée appartenant à la variété du créole des Hauts, rir (ex. 2). Bivalent, il désigne l’action de

« rire » lorsqu’il est intransitif (ex. 2 à 9) et l’action de « se moquer » lorsqu’il est transitif :

I fo pa ri in linvalid. (Il ne faut pas se moquer d’un handicapé.) (Hd, 2002).

1 Une forme ancienne du verbe en « rié » existerait, elle est attribuée par Daniel Honoré aux anciens engagés malbars : Rié ama, rié ma liki / Moquez-vous de moi, moquez-vous de mon cul.

147 Ces deux sens sont confirmés par Daniel Baggioni (1990) : « Rir : 1 rire , 2 se moquer de (cf. moukaté, kas lé kui, fé ri la boush.) » Le premier connaît des extensions sous formes de synthèmes verbaux monovalents :

« Rir bon kèr : rire de bon cœur », « rir paréy maldinn : rire comme un dindon », lé pa pou rir « c’est pas pour rire » (Bd, 1990) « Li ri san kari : il rit jaune » (Hd, 2002)

La dernière expression effectue un jeu de mot où le verbe renvoie par homophonie au « riz ».

Pour « éclater de rire » l’Atlas linguistique et ethnographique de La Réunion (1989) relève une douzaine d’expressions équivalentes, certaines sont construites sur le nom : lu pét inn ékla d’rir, lu fé le kla d’rir, lu klat de rir, lu éklat de rir, lu fou inn ékla d’rir, li klat o mourir, li flank inn ékla d’rir, d’autres sur le verbe : lu lé atèr pou rir, li ri o zékla (rare), lu fé rir sa boush, li ri for » Bc-Cm-Rc (1989). Alain Armand (1983), Daniel Baggioni et Daniel Honoré (2002) y ajoutent « pét à rir » (éclater de rire) que nous retrouvons dans notre corpus :

11 E pï li, an plïs ké sa, li, kakakaka li pét à rir. (V1) (Et puis lui, avec ça, ahahahah, il éclate de rire.)

12 Ali kakaka li pét a rir. (J2) (Lui, ahahahah, il éclate de rire.) 13 Alor lé dé pét a rir. (J14)

(Alors les deux sont pétés de rire.)

9.1.2 « Faire rire »

Le synthème verbal le plus court est fé ri(r) peut s’employer seul, dans une phrase à sujet zéro, avec ou sans Cod. Dans les exemples ci-dessous les sujets sont soulignés ou marqués ø, les Cod sont en italiques.

16 Oui, oté ø i fé rir hin. (J15) (Oui ça fait rire hein.) 17 ø I fé rir oui. (S7) (ça fait rire oui.) 18 Ah ø i fé ri azot. (M2) (Ah ça vous fait rire.)

19 Moin, i fé pa rir amoin zafèr komsa. (J6) et (J9) (Moi, ces choses là ne me font pas rire.)

20 Na d’foi, lé manièr de si-an-o i fé ri in pti pé. (V17) et (V5) (Parfois, les manières d’ici-haut font rire un peu)

21 Ali i fé ri amoin, la pa le Mari-Aliss-là hin. (S1)

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(Elle elle me fait rire, pas la Marie-Alice.)

22 E pou fé rir amoin Jésus i marsh marsh dësï la pisine komsa. (S7) (Et pour me faire rire Jésus marche un peu sur la piscine comme ça.

23 Sida ! Ah, ø i fé ri azot hin. (J6) (Le Sida, ah, ça vous fait rire hein.) 24 Sa i fé ri rienk amoin tousél sa. (M1) (ça ne fait rire que moi ça.)

La construction avec sujet ø permet les tournures impersonnelles traduisibles par « ça fait rire, c’est comique » (ex. 16,17). La transitivité en fait un verbe pronominal (ex.18,19,21,22,23, 24). Lorsque le verbe est employé avec un sujet il convient de distinguer les cas où ce sont des personnes qui font rire (Ex. 21,22) et les cas où les sources du rire sont de l’ordre du thème (Ex.19,20,23,24). Moin i fé pa ri amoin zafér komsa se traduit non par « Moi, je ne ris pas de ces choses-là » mais par « Moi, ces choses-là ne me font pas rire. » De même « Sida i fé ri azot ?» non par « Le sida vous fait rire ? » mais par « vous riez du sida ? ».

Le synthème figé fé ri la boush et sa variante vulgaire fé ri la gèl est monovalent. Employé seul ou avec un sujet, il a le sens de « faire rire » (Aa, 1983 ; Mb, 1996 ; SOf, 1999, Hd, 2002),

« amuser » (Aa, 1983 ; Mb, 1996 ; Ga, 2003), « distraire (pour faire rire) » (SOf, 1999).

14 Hin tantine, pa ou minm tantine i fé ri la gél dann télé la hin ? (S7) (Hé mademoiselle, ce ne serait pas toi la fille qui fait rire à la télévision ?) 15 I fé ri le musk atérla, lé zygolastik, lé dan la gél. (M1)

(Ça fait rire le muscle qui est là, les zygomatiques, c’est dans la bouche.)

Boush et gél peuvent servir de noyau à trois synthèmes nominaux. Le premier est boustagèl, construit avec le verbe boush et le nom gèl, il a le sens de « réplique ou coup qui cloue le bec à quelqu’un » (Cr, 1974) ou « camouflet, affront » (SOf, 1999). Le second peut servir de nom ou d’adjectif, boush-sal employé avec un déterminant désigne « un individu grossier » (Bm, 1996),

« un grossier personnage » (Cr, 1974 ; SOf, 1996 ; Ga 2003). Le terme est également utilisé dans sa valeur adjectivale par les professeurs de créole pour désigner un niveau de langue, le vulgaire. Enfin la boush-kabri ou gél-kabri qualifie l’auteur de paroles de mauvais augures qui portent malheur.

149 9.1.3 Schéma 1 Champ sémantico-lexical de « rir »

NOMS

VERBES

9.1.4 Tableau du champ sémantico-lexical de « rir »

Unités principales Nature Sens fé ri(r) (la boush/la gèl) SV intransitif Faire rire Fé ri(r) + amoin

150 La transitivité est porteuse de l’intention de nuire, marquée par le trait « méchant » Le synthème verbal « fé ri la boush » n’est pas porteur de cette intention et signifie « rire » ou « faire rire », signalant donc le caractère uniquement comique. Le critère intervenant dans cet ensemble est celui de l’atteinte à la personne, rire de quelqu’un, se moquer de lui, relève d’une intention de nuire et fait tomber la parole sous le coup d’une certaine immoralité. Ainsi passe-t-on de rir, pét à rir, fé ri la boush pour le comique innocent à rir in moun pour l’humour coupable au dépend d’autrui.