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Depuis la création de l'Organisation des Nations Unies, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est la première norme de portée universelle concernant directement et exclusivement les minorités.

L’article 27 du Pacte stipule que : « Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue »529.

La Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques a été proclamée par l'Assemblée Générale des Nations unies, dans sa résolution 47/135, de 1992. Le but de la Déclaration, tel qu'il est énoncé dans cette résolution est notamment de promouvoir une application plus efficace des droits de l'homme à l'égard des personnes appartenant à des minorités tout en s’inspirant de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Bien qu'elle soit dénuée de force juridique contraignante, la Déclaration est considérée comme reprenant et complétant les droits contenus dans la Charte internationale des droits de l'homme et d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme. Elle renforce et précise les droits qui permettent aux personnes appartenant à des minorités d’assurer et de promouvoir leur identité en tant que groupes.

528 Assemblée générale des Nations unies, « Migrations internationales et développement », Rapport du

Secrétaire général, A/68/190, coll. Mondialisation et interdépendance, Nations unies, 2013.

529 Assemblée générale des Nations unies, « Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques »,art. 27,

Les bénéficiaires des droits énoncés à l'article 27 du Pacte, dont s'inspire la Déclaration, sont les personnes appartenant à des « minorités ethniques, religieuses ou linguistiques », auxquelles la Déclaration sur les minorités ajoute les « minorités nationales ».

En 1949, dans un mémorandum du Secrétaire général des Nations unies intitulé « Définition et classification des minorités », le terme minorité désignait « des collectivités présentant certaines caractéristiques (ethniques, linguistiques, culturelles, religieuses…) et, presque toujours, des collectivités ayant un caractère national »530.

Nous reprenons ici la notion de minorité telle qu’elle apparait dans ce texte de 1949 pour mieux tracer son élargissement à travers l’étude des textes internationaux qui lui succèdent.

Selon Asbjørn Eide (Président du Groupe de travail sur les minorités de la Sous- Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme), il n'existe quasiment pas de minorité nationale, quelle que soit la définition qui en est donnée, qui ne soit pas aussi une minorité ethnique, religieuse ou linguistique.

Pour lui, les personnes appartenant à la catégorie de minorité nationale auraient ainsi des droits plus importants destinés à préserver leur culture et à maintenir le développement de leur identité nationale. C’est donc dans le but d’élargir le plus possible la portée des droits des minorités queles instruments européens régionaux sur les droits des minorités tels que la Convention-Cadre pour la protection des minorités nationales, adoptée en 1994, l'Acte final d'Helsinki de 1975 et le Document de la Réunion de Copenhague de 1990 emploient seulement le terme de « minorités nationales », sans obligatoirement mentionner les « minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ». Conformément à l'article 2(1) du Pacte, les États parties s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte. Notamment à l'article 27, ces droits sont garantis même si les personnes membres de minorités sont considérées individuellement ou en tant que groupe, ressortissants du pays ou pas531.

530 Nations unies, « Definition and Classification of Minorities », Mémorandum du Secrétaire général, New

York, 27 Décembre 1949, (E/CN.4/Sub.2/85).

531 Commission des droits de l'homme, Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de

l'homme, Cinquante-troisième session, Groupe de travail sur les minorités, Septième session, 14-18 Mai 2001, « Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités

C’est ainsi que le Comité des Droits de l'Homme, dans son observation générale n° 23 concernant le droit des minorités, interprète l'article 27 du Pacte : « The terms used in article 27 indicate that the persons designed to be protected are those who belong to a group and who share in common a culture, a religion and/or a language. Those terms also indicate that the individuals designed to be protected need not be

citizens of the State party. In this regard, the obligations deriving from article 2.1

are also relevant, since a State party is required under that article to ensure that the rights protected under the Covenant are available to all individuals within its territory and subject to its jurisdiction, except rights which are expressly made to apply to citizens, for example, political rights under article 25. A State party may

not, therefore, restrict the rights under article 27 to its citizens alone »532.

Il en résulte que, selon le droit international, conformément à la définition énoncée par la CPJI dans son avis consultatif du 31 Juillet 1930 cité plus haut, et contrairement aux définitions formulées par le Conseil de l’Europe dans sa recommandation 1201 et par le rapporteur spécial de la Sous-commission des Nations unies, Francesco CAPOTORTI, la nationalité en tant que telle ne peut

constituer un critère de distinction selon lequel certaines minorités pourraient être exclues de leurs droits. Les immigrés, qui ne sont pas encore ressortissants du

pays dans lequel ils résident, peuvent, selon le droit international, faire partie d'une minorité dans ce pays. Les termes employés dans la Convention-Cadre pour la protection des minorités nationales vont dans le même sens, « Les Parties s'engagent à garantir à toute personne appartenant à une minorité nationale… »533.

Cette observation s’inscrit dans la continuité de l’Avis du 15 Septembre 1923 de la CPJI sur les conditions d'acquisition de la nationalité polonaise. Dans cet avis, la Cour s'est efforcée de clarifier la notion de minorité. Suivant la thèse polonaise, pour faire partie d'une minorité au sens du traité polonais des minorités, il faut être ressortissant polonais. La Cour déclare que le terme de minorité au sens du traité, vise « les habitants qui diffèrent de la population majoritaire par la race, la langue

nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques ». (E/CN.4/Sub.2/AC.5/2001/2) ; J. Woehrling, « Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé », op. cit. ; E. Andreevska, « Protection of Minorities and the Prohibition of Discrimination : The Ohrid Framework Agreement », American International Journal of Contemporary Research, Vol. 3, No. 5, May 2013.

532 Comité des droits de l'homme, Observation générale 23, « Article 27 : Protection des minorités, Compilation

des commentaires generaux et Recommendations generales adoptees par les organes des traites », art. 38, 1994, (HRI\GEN\1\Rev.1).

533 Council de l'Europe, « Convention cadre pour la protection des minorités nationales », Strasbourg, 1er

ou la religion, c'est-à-dire, entre autres, les habitants d'origine non-polonaise de ces territoires, qu'ils soient ou non ressortissants polonais »534.

Le même développement juridique concernant les minorités polonaises du territoire de la ville libre de Dantzigest maintenu dans l'Avis du 4 Février 1932 de la CPJI535.

Le Conseil de l’Europe dans sa recommandation 1201 a défini le terme de minorité comme des groupes qui : « résident sur le territoire de cet État, en sont citoyens, et entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet État »536.

Le Conseil de l’Europe persiste dans sa position traditionnelle consistant à conditionner le statut de minorité à la possession de la nationalité du pays de résidence. De même, dans de nombreux pays, la règle est de n’accorder les droits reconnus aux minorités qu’aux personnes possédant la nationalité de l’État considéré537.

C’est ainsi que de nombreux États reconnaissant avoir des minorités sur leur territoire ont affirmé que l’un des critères de reconnaissance des minorités en tant que telles était l’ancienneté de leur lien avec l’État et de leur présence sur leur territoire538.

Or l’article 27 du Pacte, « Dans les États où il existe des minorités… », ne mentionne pas de critère d’ancienneté pour des groupes prétendant au statut de minorité. Cependant, même en considérant l’ancienneté du lien avec l’État comme étant une condition préalable à l’obtention du statut de minorité, selon leConseil de l’Europe dans sa recommandation 1201, les groupes d’immigrés ne peuvent être exclus définitivement de cette protection.

En effet, dès qu’ils auront satisfait à cette exigence de durée, ils devraient pouvoir être considérés comme constituant une minorité au sens de l’article 27 du Pacte et de la définition formulée dans la recommandation 1201.

C’est ainsi que le Comité des droits de l'homme, dans son observation générale n° 23 concernant le droit des minorités, interprète l'article 27 du Pacte : « Article 27

534 CPJI, « Acquisition de la nationalité polonais », avis consultatif du 15 Septembre 1923, Recueil des avis

consultatifs, Série B – n° 7, Leyde société d’édition A. W. Sijthoff 1923.

535 CPJI, « Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d'origine ou de langue polonaise du

territoire de Dantzig », avis consultatif du 4 Février 1932, Recueil des avis consultatifs, Série A/B, Leyde société d’édition A. W. Sijthoff 1932.

536 Assemblée parlementaire du Council de l'Europe, Recommandation 1201 relative à un protocole additionnel

à la Convention européenne des droits de l'homme sur les droits des minorités nationales, 1993.

537 J. Woehrling, « Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé », op.

cit.

confers rights on persons belonging to minorities which "exist" in a State party. Given the nature and scope of the rights envisaged under that article, it is not relevant to determine the degree of permanence that the term "exist" connotes. Those rights simply are that individuals belonging to those minorities should not be denied the right, in community with members of their group, to enjoy their own culture, to practise their religion and speak their language. Just as they need not be nationals or citizens, they need not be permanent residents. Thus, migrant workers or even

visitors in a State party constituting such minorities are entitled not to be denied the

exercise of those rights. As any other individual in the territory of the State party, they would, also for this purpose, have the general rights, for example, to freedom of association, of assembly, and of expression. The existence of an ethnic, religious or linguistic minority in a given State party does not depend upon a decision by that State party but requires to be established by objective criteria »539.

Selon Sébastien Ramu, le processus d’immigration étant souvent continu, la question se pose de savoir : premièrement, comment considérer les immigrants s’établissant dans un pays où se trouve déjà une minorité dotée des mêmes caractéristiques, mais possédant de surcroît l’élément d’ancienneté ; et deuxièmement, comment déterminer s’il faut séparer les deux groupes du point de vue de leur statut juridique et de leurs droits540 ?

Pour Asbjørn Eide, il faudrait éviter de faire une distinction stricte entre les « nouvelles »minorités et les « anciennes », en excluant les premières et en incluant les secondes, carcette distinction paraît relativement artificielle. Pour lui, il faudrait cependant reconnaître que, dans l'application du droit international, les « anciennes » minorités qui sont établies depuis longtemps sur le territoire puissent avoir des droits plus solides que celles qui sont arrivées récemment541.

Selon cette approche et celle du Comité des Droits de l'homme qui va même plus loin dans son observation générale N° 23, « Thus, migrant workers or even visitors in a State party constituting such minorities », dans certaines situations, le statut de

539Comité des droits de l'homme, Observation générale 23, « Article 27 : Protection des minorités, Compilation

des commentaires generaux et Recommendations generales adoptees par les organes des traites », 1994, (HRI\GEN\1\Rev.1).

540S. Ramu, « Le statut des minorités au regard du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques »,

op. cit.

541 Commission des droits de l'homme, Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de

l'homme, Cinquante-troisième session, Groupe de travail sur les minorités, Septième session, 14-18 Mai 2001, « Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques ». (E/CN.4/Sub.2/AC.5/2001/2).

minorité pourrait être au moins partiellement octroyé aux nouveaux immigrants récemment installés sur le territoire d’un pays d’accueil.

En effet, de nombreuses études, rapports et déclarations internationales récentes en matière juridique et démographique, en faisant usage du terme « nouvelles minorités », ne marquent pas de distinction entre les immigrés et les minorités concernant leurs droits et leur statut542.

Les institutions nationales et internationales ont tendance à élargir la notion de minorité en y incluant d’autres types de populations telles que les immigrants. Cependant, le droit européen maintient le critère de nationalité comme paramètre fondamental de la notion de minorité, ce qui le différencie du droit international pour lequel cette notion n’est pas centrale. Nous verrons comment se concrétise cette tendance dans les États européens et dans les instances internationales et européennes.

SECTION II. Étude de cas spécifiques concernant la situation en

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