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Les raisons d'être des droits spéciaux selon les déclarations et les chartes des organisations internationales

§ 2 La doctrine multiculturelle

A. Les raisons d'être des droits spéciaux selon les déclarations et les chartes des organisations internationales

Le droit international connaît deux raisons d'être des « droits spéciaux » qui ont comme but la protection des minorités, les menaces pesant sur celles-ci étant d'une double nature.

D’une part, confrontées à une menace physique, les minorités sont souvent les premières victimes des tensions internes qui dégénèrent en conflits armés comme les sanglants affrontements entre les ethnies Hutus et Tutsis qui aboutirent au quasi génocide de ces derniers au Rwanda en 1994. Plus récemment, au Nigeria, la secte

376 A. Stantcheva, « Les minorités nationales en Europe Centrale et Orientale », Fondation Robert Schuman,

Boko Haram procède régulièrement à des massacres de population civile chrétienne sur fond de conflit larvé entre chrétiens et musulmans.

En 2004, Kofi Annan déclarait :

« Nous devons protéger tout particulièrement les droits des minorités qui sont les plus fréquemment visées par les génocides »377.

Cette inquiétude des institutions internationales depuis leur création, devant le danger génocidaire visant les minorités se trouve très largement justifiée par la prolifération de ce phénomène pendant et après la deuxième guerre mondiale.

D'autre part, ces minorités sont confrontées à une menace d'ordre identitaire et culturel, qui prend la forme d'assimilation forcée avec comme conséquence le risque de disparition de cultures, de religions et de langues faisant partie intégrante du « patrimoine mondial » (voir cette notion dans la définition qu’en donne aujourd’hui l’UNESCO).

Il convient donc de faire la distinction entre la protection des minorités contre les menaces physiques, et la protection et la valorisation des aspects culturels et linguistiques spécifiques des minorités378.

1. La menace physique

Afin de préserver l'existence physique des membres de groupes vulnérables, notamment les minorités, un système de protection a été progressivement mis en place sous forme de charteset de conventions multilatérales qui proscrivent l'atteinte à l'intégrité physique des membres de ces groupes ou à tout droit fondamental relatif aux droits de l'Homme.

On remarquera que ces conventions n’ont pas comme objet direct et spécifique la protection des minorités mais visent à garantir les droits de l’homme de façon plus générale.

Les minorités éprouvent le besoin d’une protection en tant que groupes voulant garder leur autonomie et leur identité collective. Or, à l’issue de la deuxième guerre

377 Nations Unies, Communiqué de presse, 11 Février 2004, (SG/SM/9126/Rev.1).

378 Commission des droits de l'Homme, Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de

l'Homme, Cinquante-troisième session, Groupe de travail sur les minorités, Septième session, 14-18 Mai 2001, « Texte final du Commentaire sur la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques ». (E/CN.4/Sub.2/AC.5/2001/2).

mondiale, l’individu commence à devenir sujet du droit international et les droits de l’homme sont garantis face aux éventuelles dérives totalitaires des États. La question de la protection des minorités se pose alors en d’autres termes, car si les droits de l’homme sont effectivement protégés, les garanties spécifiques aux minorités deviennent inutiles. En effet le problème de la protection physique des minorités est englobé dans le cadre général des droits de l’Homme. Selon André Demichel, les droits de l’homme qui s’appliquent de façon indifférenciée à tout individu tendent à faire perdre sa pertinence à la notion de protection collective des minorités379.

Des préjugés peuvent se transformer en idéologie et alimenter des comportements violents à caractère raciste à l’égard des minorités. On assiste alors à des discriminations qui peuvent dégénérer en conflits donnant lieu à des violences physiques et des débordements à caractère raciste parfois très prononcé.

C’est le cas du conflit qui opposa au Darfour les Tutsis et les Hutus, c’est également ce qu’on a pu observer lors de la guerre en Yougoslavie entre les Serbes et les Croates. Dès qu’un conflit met en cause des minorités ethniques, apparait une dimension de comportement raciste qui souvent précède le conflit violent.

C’est selon cette logique que les articles 2 et 3 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée et ouverte à la signature et à la ratification par l'Assemblée Générale dans sa résolution 2106 A(XX) du 21 Décembre 1965, entrée en vigueur le 4 Janvier 1969, énoncent que : « Les États parties condamnent la discrimination raciale et s'engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l'entente entre toutes les races… » En effet, la discrimination raciale accompagne presque toujours les conflits impliquant les minorités, et bien que les textes juridiques mettant hors la loi ces comportements soient à caractère général, ils restent pertinents dans le cadre de la prévention et de la résolution des conflits lies aux minorités.

Selon l'article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme signée par les États membres du Conseil de l'Europe le 4 Novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 Septembre 1953 :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur,

379 A. Demichel, « Minorités », op. cit.

la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La convention européenne va mettre au même niveau la nécessité de protection des minorités et celle de tous les autres humains, individuellement ou collectivement. L’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, approuvée et soumise à la signature et à la ratification ou à l'adhésion par l'Assemblée Générale dans sa résolution 260 A (III) du 9 Décembre 1948, entrée en vigueur le 12 Janvier 1951 énonce que :

« Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci- après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »

Cependant, cette façon de concevoir la protection contre le génocide ne correspond que partiellement à la réalité qui est celle des minorités. La convention sur le génocide concerne tous les groupes humains. Dans ce contexte, bien que les incluant, les collectivités minoritaires jouissent donc simplement d’une protection physique commune et non spécifique à leur situation380.

Bien que ne leur étant pas spécifique et ne correspondant pas nécessairement à toute la réalité et la complexité de leur situation, il n’en reste pas moins que la protection physique des minorités est paradoxalement couverte par les traités internationaux et régionaux qui ne les concernent pas directement.

380Ibid.

2. Le risque de disparition de cultures

Certaines conventions mentionnent les droits spéciaux relatifs aux personnes appartenant à une minorité dans le cadre de la protection culturelle identitaire des minorités :

L'article 30 de la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée et ouverte à la signature, ratification et adhésion par l'Assemblée Générale dans sa résolution 44/25 du 20 Novembre 1989, entrée en vigueur le 2 Septembre 1990 :

« Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe »381.

La Convention Cadre pour la protection des minorités nationales formule cette idée dans ces termes :

« Considérant qu’une société pluraliste et véritablement démocratique doit non seulement respecter l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant à une minorité nationale, mais également créer des conditions propres à permettre d’exprimer, de préserver et de développer cette identité; Considérant que la création d’un climat de tolérance et de dialogue est nécessaire pour permettre à la diversité culturelle d’être une source, ainsi qu’un facteur, non de division, mais d’enrichissement pour chaque société …»382.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, conclue à Strasbourg le 5 Novembre 1992, et approuvée le 25 Septembre 1997, va dans le même sens. La protection du patrimoine culturel mondial est une notion dont la formulation par les institutions internationales est relativement récente. Selon cette conception, la diversité culturelle des sociétés est perçue comme une richesse qu’il convient de protéger. Outre la nécessité de préserver les minorités des menaces physiques, la protection des nombreuses cultures vivantes portées par ces minorités fait partie des intérêts de l’humanité. C’est dans ce sens qu’outre l’intérêt et la volonté des minorités de vivre selon leur propre culture, de l’exprimer, de la préserver et de la

381 Assemblée Générale des Nations Unies, « Convention relative aux droits de l'enfant », Résolution 44/25 du

20 Novembre 1989, entrée en vigueur le 2 Septembre 1990.

382 Council de l'Europe, « Convention Cadre pour la Protection des Minorités Nationales », Strasbourg, 1er

développer, leur protection est celle de la richesse culturelle de l’humanité tout entière. La menace de disparition des cultures minoritaires représente, de ce point de vue, une menace pour toute culture.

C’est dans ce sens que la Cour européenne des droits de l’homme observe « qu’un consensus international se faisait jour au sein des États membres du Conseil de l’Europe pour reconnaître les besoins particuliers des minorités et l’obligation de protéger leur sécurité, leur identité et leur mode de vie, et ce non seulement dans le but de protéger les intérêts des minorités elles-mêmes mais aussi pour préserver la diversité culturelle qui est bénéfique à la société dans son ensemble »383.

Dans l’affaire Ouranio Toxo et autres c. Grèce, la Cour déclare que les minorités ont le droit d’exprimer leur identité et leurs convictions, même lorsque celles-ci paraissent radicales ou non conventionnelles. La Cour argumente que : « l’invocation de la conscience d’appartenir à une minorité ainsi que la préservation et le développement de la culture d’une minorité ne sauraient constituer une menace pour la ‘société démocratique, même si cela peut provoquer des tensions. En effet, l’apparition de tensions est une conséquence inévitable du pluralisme, c’est-à-dire du libre débat sur toute idée politique. Dans ce cas,le rôle des autorités, en pareilles circonstances, ne consiste pas à éliminer la cause des tensions en supprimant le pluralisme, mais à veiller à ce que les groupes politiques concurrents se tolèrent les uns les autres »384.

La diversité identitaire et culturelle a alimenté nombre de conflits passés. Elle fut une des causes des guerres mondiales. Mais cette diversité fut aussi la source de la richesse, du dynamisme et du rayonnement de la civilisation européenne385.

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