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Depuis plusieurs décennies, l’Europe a adopté une politique de promotion et de protection des droits des minorités, se concrétisant par les déclarations des grandes organisations européennes, par les chartes multilatérales et les systèmes juridiques régionaux.

Depuis 1993, le préambule des accords entre la Communauté européenne et les États non membres qui demandent leur intégration à l’Union mentionne, comme condition d’adhésion, le respect des droits des minorités ; ce fut notamment le cas des pays en transition d’Europe centrale et orientale402.

Le Conseil Européen a conditionné les relations de l'UE avec plusieurs États dont la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l'ARYM ou Macédoine, la RFY et l'Albanie, à l’acceptation d’une série de principes dont « le respect et la protection des minorités et la coopération régionale »403.

Une autre prise de position politique des institutions d’Europe relative aux droits des minorités a été énoncée lors de la réunion à Copenhague de la conférence sur la dimension humaine de la CSCE. Suite à cette réunion de 1990, un document mentionnant les droits des minorités de manière détaillée précise que :

« Les États participants reconnaissent que les questions relatives aux minorités nationales ne peuvent être résolues de manière satisfaisante que dans un cadre

402 Union européenne, Rapport spécial nº 12/2000 relatif à la gestion par la Commission du soutien apporté par

l'Union européenne au développement des droits de l'homme et de la démocratie dans des pays tiers, accompagné des réponses de la Commission, JO C 230 du 10.8.2000, pp. 1–27 p. 11.

politique démocratique se fondant sur l’état de droit, avec un système judiciaire indépendant efficace »404.

Ce document a été par la suite une des bases structurelles de la Convention Cadre du conseil de l’Europe pour la Protection des Minorités Nationales de 1995. Dans cet esprit, la CSCE a créé le poste de Haut-commissaire pour les minorités nationales comme instrument de prévention des conflits impliquant ces minorités.

Quelques années plus tard, le Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe confirmait cette ligne politique :

« Le Comité des Ministres en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe […] Soulignant également que les médias et en particulier le secteur de la radio- diffusion de service public devraient permettre aux différents groupes et intérêts qui existent dans la société – y compris les minorités linguistiques, sociales, économiques, culturelles ou politiques – de s’exprimer…»405.

La politique de promotion et de protection des droits des minorités a été l'objet de ratifications des conventions européennes concernant leurs droits.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires de 1992 et la Convention Cadre pour la protection des minorités nationales de 1995, toutes les deux établies par le conseil de l’Europe, sont devenues les bases de la juridiction européenne en la matière.

Les juridictions européennes ont mis régulièrement en application le droit des minorités. Cette tendance apparaît dans la conclusion rendue par la CEDH dans l’arrêt Aziz c. Chypre, au sujet du droit de participer à la vie publique et politique accordé à une minorité ethnique de la population chypriote privée jusque-là du droit de vote. Dans cette affaire, le requérant n’a pas pu être inscrit sur les listes électorales lors des élections législatives de 2001, la Constitution chypriote ne permettant pas aux membres de la communauté chypriote turque de s’inscrire sur la liste électorale chypriote grecque. La Cour a souligné que, si les États ont une grande latitude pour établir le cadre des règles régissant les élections législatives, ces règles devaient être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs. Or la différence de traitement dont le requérant se plaignait, résultant du fait qu’il était un chypriote

404 OSCE, « Document de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la CSCE »,

art. 30-35, 29 Mai 1990, doc. 14304.

405 Conseil de l’Europe, « Recommandation n° R(99)1 du Comité des Ministres aux États membres sur des

mesures visant à promouvoir le pluralisme des médias », adoptée le 19 Janvier 1999, Gazette Comité des Ministres Janvier 1999, n° I/99.

turc, ne pouvait être justifiée par des motifs raisonnables et objectifs, puisque les chypriotes turcs dans la situation du requérant n’avaient pu voter à aucune élection législative406.

Cette tendance apparaît également dans l'affaire Oršuš en Croatie à propos de traitements discriminatoires fondés sur la race, la couleur ou l’origine ethnique.Dans cette affaire, la Cour veut que : « de nature à assurer que, dans l'exercice de sa marge d'appréciation dans le domaine de l'éducation, l'État tienne suffisamment compte des besoins particuliers de ces enfants (Roms) en tant que membres d'un groupe défavorisé »407. La Cour précise qu’elle tient compte dans son analyse de la

situation particulière de la population rom « du fait de leur histoire, les Roms constituent un type particulier de minorité défavorisée et vulnérable. Ils ont dès

lors besoin d’une protection spéciale ». Élargissant son propos, la Cour a également observé « qu’un consensus international se faisait jour au sein des États membres du Conseil de l’Europe pour reconnaître les besoins particuliers des minorités et l’obligation de protéger leur sécurité, leur identité et leur mode de vie, et ce non seulement dans le but de protéger les intérêts des minorités elles-mêmes mais aussi pour préserver la diversité culturelle qui est bénéfique à la société dans son ensemble »408.

Cependant, la Convention européenne des droits de l'homme ne contient aucune disposition relative aux droits des minorités, qui s'apparenterait à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par conséquent, les membres des groupes minoritaires ne disposent pas directement d'un droit de revendication des droits des minorités devant la Cour européenne des droits de l'homme. Néanmoins, les droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme sont pertinents pour les minorités car l'article 14 de la Convention énonce que : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »409.

406 CEDH, Affaire Aziz c. Chypre, (Requête no 69949/01), Arrêt du 22 Juin 2004, §§ 29-30.

407 CEDH, [GC], Affaire Oršuš et autres c. Croatie, (Requête no 15766/03), Arrêt du 16 Mars 2010, § 156. 408 Ibid.

409 Pamphlet No. 7 of the UN Guide for Minorities, disponible à l'adresse :

De même, la CJCE a évalué la protection des minorités, implicite dans le système institutionnel de l'UE, concernant la liberté de religion dans l'affaire Vivien Prais. Dans cette affaire, la cour a appliqué le principe selon lequel un droit peut être protégé par le biais d’un autre : par exemple, le respect des besoins particuliers des personnes appartenant à une minorité ethnique ou religieuse à l’école favorisera la pleine jouissance du droit à l’éducation. Une situation où l’État respecte les convictions d’un groupe religieux minoritaire, est de nature à assurer le pluralisme dans la cohésion et la stabilité et à promouvoir l’harmonie religieuse et la tolérance au sein de la société. Ainsi sont mises en œuvre les conditions pour le maintien et le développement de la culture des minorités et la préservation de leur religion, de leur langue et de leurs traditions selon le droit international et européen. Dans cette affaire, la requérante, une candidate à un concours publié par le secrétariat du Conseil des Communautés européennes en vue de recruter un expert juriste/linguiste a refusé de passer une épreuve un jour de fête juive (Pentecôte). Elle a fait la demande de passer l'épreuve un autre jour. La demande a été rejetée et la requérante y a vu une atteinte à sa liberté de religion, les institutions de la Communauté étant tenues de respecter la liberté religieuse et ce respect devant impliquer qu'elles seraient prêtes à mettre en place tout arrangement administratif qui s'avérerait nécessaire pour permettre aux candidats de passer des examens sans heurter leur conviction religieuse.

La Cour a considéré que : « l'autorité est tenue de prendre toutes mesures raisonnables en vue d'éviter d'organiser des épreuves à une date à laquelle les convictions religieuses d'un candidat empêcheraient celui-ci de se présenter dès lors qu'elle a été informée à temps de cet obstacle d'ordre confessionnel ». De plus, selon la Cour « il est souhaitable que l'autorité investie du pouvoir de nomination s'informe, de façon générale, des dates qui pourraient ne pas convenir pour des motifs d'ordre religieux, et tâche d'éviter de fixer les épreuves à de telles dates »410.

La jurisprudence des Cours européennes (la CEDH et la CJCE) en matière de droit des minorités est relativement pauvre. Il semble que seuls les États soient en mesure de définir et de reconnaitre à l’intérieur de leur législation le statut de minorité sur leur territoire. Dans l’affaire Chapman c. Royaume Uni, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme souligne que le Royaume-Uni ayant ratifié la Convention-Cadre et ayant remis au comité consultatif s’occupant de la Convention

en Juillet 1999 un rapport selon lequel il reconnaît les Tsiganes comme constituant une minorité nationale sur son territoire, s’oblige de ce fait à leur octroyer les droits qui relèvent de ce statut tels qu’ils sont énoncés dans la Convention-Cadre411.

Ainsi, dans l’arrêt Gorzelik et autres c. Pologne : « Il n'appartient pas à la Cour de

se prononcer sur l'opportunité des techniques choisies par le législateur d'un État défendeur pour réglementer tel ou tel domaine ; son rôle se limite à vérifier si les méthodes adoptées et les conséquences qu'elles entraînent sont en conformité avec la Convention. De même, la pratique concernant la reconnaissance officielle par les États de minorités nationales, ethniques ou autres au sein de leur population varie d'un pays à l'autre, voire à l'intérieur d'un même pays. Le choix quant aux modalités d'une telle reconnaissance et le point de savoir si elle doit se concrétiser dans des traités internationaux ou des accords bilatéraux ou encore être incorporée dans la Constitution ou dans une loi spéciale doit, par la force des choses, être dans une large mesure laissés à l'État concerné, puisqu'ils dépendent du contexte national considéré »412.

Il ressort de ce qui précède que seules les juridictions nationales sont compétentes quant à l’attribution du statut de minorité à un groupe présent sur leur territoire et à la conformité de leurs législations au droit international et européen. Ce n’est qu’en cas de défaillance de ces législations à satisfaire les revendications des minorités reconnues comme telles, que les juridictions supranationales peuvent être utilement sollicitées.

C’est ainsi que la protection des droits des minorités et la promotion de leur identité spécifique sont appliquées par les juridictions européennes.

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