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SECTION I. Questions relatives à la définition du terme de « minorité »

A. Les fondements historiques du droit des minorités

Le droit des minorités est un sujet très ancien aussi bien du point de vue social que juridique. Bien que très souvent considérées comme marginales et exclues de la société, les minorités ont bénéficié aussi de certains droits et protections à partir de l’Antiquité. À l’époque de l’Islam classique, le droit des minorités en terre d’Islam était appelé droit des « dhimmis » qui s’appliquait aux non-musulmans résidant en terre d’Islam. Par ce statut, l’État leur accordait sa protection et la reconnaissance de leurs droits privés et publics340.

Les minorités dans le pays des Hébreux à l’époque biblique étaient connues sous le terme de « peuple résidant » (guer tochav). Elles avaient aussi droit à l’autodétermination et à la protection sociale et juridique341. Cette situation des

minorités et de leurs droits était similaire dans les empires grecs et romains342.

Pour les minorités religieuses, le moyen âge est une époque où culmine la violence343. Elles dépendent directement du roi ou du gouverneur344. Le cujus regio

ou le ejus religio étaient les fondements juridiques des relations des princes et de leurs sujets345. Le statut juridique des populations juives et leur protection fait l’objet

de nombreux textes théologiques ou séculiers à travers tout le moyen âge. Ce fil conducteur nous permet de suivre l’apparition de la notion de protection des minorités religieuses dans l’Europe médiévale, tels que le Code théodosien, l’Usatges de Barcelona (établi en 1251, mentionnant l’interdiction des violences physiques ou verbales faites aux membres des minorités juives ou musulmanes converties) ou les lettres de protection pontificale. Par exemple, la Sicut Judaeis - publiée aux environs de l'an 1120 par le pape Calixte II et destinée à protéger les

340 A. Fattal, « Le statut légal des non-musulmans en pays de l'Islam », Revue internationale de droit comparé,

1960, Vol. 12, N° 2, pp. 439-442.

341 Maïmonide, « Mishné Torah XII » (Nashim, Isouré Bia) 14/7.

342 N. Rouland (dir), S. Pierré-Caps, J. Poumarède, « Droit des minorités et des peuples autochtones », collection

droit fondamental, droit politique et théorique, Presses Universitaire de France, 1996, 581 pages.

343 Mark R. Cohen, « Sous le Croissant et sous la Croix. Les Juifs au Moyen Âge », Paris, Seuil, « L’Univers

historique », 2008.

344 D. Nirenberg, « Violence et minorités au Moyen Age », Presses Universitaires de France, 2001. 345 A. Demichel, « Minorités », op. cit.

juifs ayant souffert durant la Première Croisade, interdit aux chrétiens de contraindre les juifs à se convertir, de leur nuire, de prendre leurs biens, ou de troubler la célébration de leurs fêtes, sous peine d'excommunication. La Constitutio pro judeis- publiée aux environs de l'an 1199 par le pape Innocent III était le texte traditionnel garantissant la protection papale des juifs, assurant en particulier la pratique de leurs rites religieux, les garantissant contre toute pression visant à les convertir. Elle leur permet d’avoir des synagogues et des cimetières et la violence contre leurs personnes et leurs biens était punie d'excommunication.

Suite à des décennies de persécutions des protestants, l’Édit de Nantes, promulgué en avril 1598 par le roi de France Henri IV institue la coexistence religieuse entre la majorité catholique et la minorité protestante, établissant l’octroi de la liberté de conscience, acceptant l’organisation des synodes, instituant l’égalité des protestants et des catholiques en matière d’éducation et l’égalité absolue d’accès à toutes dignités et charges publiques346.

Jusqu’à cette époque, la société englobait une multitude de minorités ou de collectivités sans qu’il y ait eu forcément une majorité dominante. La situation a fondamentalement changé avec l’émergence de l’État-nation, au XIX ème siècle qui établit un contrôle étatique unifiant et rationalisant les relations sociales, légales ou linguistiques. Comme le formule Alain Fenet : « [e]n faisant reposer la communauté politique sur des éléments objectifs d’unité, tels que la religion, la langue, la culture […] l’idée nationale en a fait autant de facteurs de mise en minorité »347.

À partir de ce changement structurel, les questions concernant les relations entre la majorité représentée par l’État et les minorités qui s’y trouvent, relèvent du droit interne et du droit international348.

La notion d’État Nation triomphe de la notion d’État dynastique vers 1918 et impose le principe selon lequel la terre se divise en autant d’États que de nations. La nation est perçue comme porteuse de « liberté politique » pour les peuples disposant d’un État.

346 P. Joxe, « L’Édit de Nantes : réflexions pour un pluralisme religieux », Hachette, 2004.

347A. Fenet, G. Koubi, I. Schulte-Tenckhoff, T. Ansbach, « Le droit et les minorités », Bruxelles, Bruylant,

1995, p.86, 462 pages.

348 P. Kovàcs, « International Law and Minority Protection, Rights of Minorities or Law of Minorities? »,

C’est alors qu’apparaît la notion de protection des peuples dépourvus d’État qui pourraient se retrouver opprimés, et littéralement en danger dans un État qui appliquerait rigoureusement le principe de nationalité.

Étant donné qu’il était apparemment impossible de réaliser la volonté de chaque peuple de disposer d’un État afin de satisfaire son aspiration à l’autonomie politique et nationale, il a paru indispensable de trouver un moyen d’y répondre sans entrer dans la logique de l’État Nation.

La réglementation juridique du droit des minorités a connu un élan nouveau après la première guerre mondiale notamment dans le cadre des traités des minorités annexes au traité de Versailles de 1919.

À l’issue de la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle les droits des minorités ont été très largement piétinés, l’organisation des Nations Unies a reformulé la protection du droit des minorités dans le cadre de l’article 27 du Pacte relatif aux Droits Civils et Politiques. Le concept de la protection des droits des minorités émerge à nouveau à l’issue des bouleversements causés par la dissolution de l’Union soviétique et de la Yougoslavie dans le cadre de la Déclaration Universelle de 1992 sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et ethniques religieuses ou linguistiques, bien que cette déclaration soit dépourvue de toute force juridique.

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