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L'influence du droit international sur les systèmes juridiques nationaux dépend essentiellement du statut donné à ce droit dans les États concernés. Plus les relations multilatérales seront cruciales pour l'État qui souhaite les établir, plus la mise en

411 CEDH, [GC], Affaire Chapman c. Royaume-Uni, (Requête no 27238/95), Arrêt du 18 Janvier 2001. 412 CEDH, [GC], Affaire Gorzelik et autres c. Pologne, (Requête no 44158/98), Arrêt du 17 Février 2004.

œuvre du droit international qui régit ces relations sera importante dans le système juridique et politique national de l'État413.

L'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1986 indique que les États ayant ratifié un traité international sont tenus d'adapter leurs droits internes à ces traités et aux obligations qui en résultent414.C'est pourquoi les droits des

minorités apparaissent progressivement dans les juridictions des États qui acceptent ces conventions.

La protection des droits des minorités s’articule sur trois niveaux juridiques : international, national et bilatéral. On constate que, pour l’essentiel, la réalité de cette protection accordée aux minorités se situe dans sa mise en application dans les juridictions nationales.

L’intégration des droits des minorités au sein du système juridique des États est seule à même de protéger les minorités qui se trouvent sur leurs territoires. L’expérience montre que ces droits ne sont pas octroyés spontanément par les États. Paradoxalement, le droit international prévoit qu’il appartient aux seuls États de définir si les groupes sociaux qui se trouvent sur leurs territoires sont reconnus comme ayant le statut juridique de minorités415.

Avant de pouvoir bénéficier de leurs droits, les minorités doivent être reconnues par l'État dans lequel elles se trouvent, non seulement en tant que réalité objective mais aussi comme entité juridique. Dans de nombreux États d'Europe, la législation relative aux droits des minorités a fortement évolué, du fait de l’intégration dans leurs constitutions ou dans leurs législations ordinaires du statut de minorité et du corpus de dispositions réglementant leur protection. Parmi ces États, l’Albanie, l’Autriche, la Biélorussie, La Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la République tchèque, la Moldavie, la République de Macédoine, la Romanie, la Serbie, la Slovaquie, l’Ukraine et la Slovénie416.

413 O.Ben-Naftali, Y. Shany, « International law between war and peace », Ramot, 2006, pp. 19-21 ; P. Dupuy,

« Droit international public », op. cit., p. 307.

414 Nations Unies, Collection des Traités, « Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et

organisations internationales ou entre organisations internationales », Vienne, 21 Mars 1986, Non en vigueur, (A/CONF.129/15).

415 Conseil de l'Europe, « Convention-cadre Pour la Protection Des Minorités Nationales et Rapport Explicatif

», 1995.

416 M. Predan, « Minorities and the Central European Initiative : on the occasion of the 10th Anniversary of the

Ainsi en Hongrie sont reconnues officiellement 13 minorités (dont les Slovaques, les Croates, les Polonais…) qui représentent ensemble à peu près 3% de la population totale du pays. Bien que dans la constitution hongroise de 2012, l'article H prescrive que le hongrois est la langue officielle de la Hongrie, l'article XXIX garantit aux « minorités » le droit à l'utilisation de leurs propres langues, ce qui implique que l'État se doit de protéger et promouvoir ces langues. Cet article précise que : « Les minorités ethniques vivant en Hongrie sont des parties constitutives de l'État. Tout citoyen hongrois appartenant à une minorité ethnique a le droit d'exprimer librement et de préserver son identité. Les minorités ethniques vivant en Hongrie ont le droit d'utiliser leurs langues maternelles, d'utiliser individuellement ou collectivement leurs noms dans leurs propres langues, de développer leurs propres cultures et de recevoir un enseignement dans leurs langues maternelles. » La discrimination basée sur la nationalité est punie par l’article XV de la loi417.

Les minorités bénéficient de la protection de la République de Hongrie qui leur reconnaît le droit de participer à la vie politique, « Les minorités ethniques vivant en Hongrie peuvent créer des organes d'autogestion locaux et nationaux. Les dispositions complémentaires relatives aux droits des minorités ethniques vivant en Hongrie et les règles relatives à l'élection des organes d'autogestion locaux et nationaux sont définies par la loi organique »418.

La loi spécifie également les droits individuels et collectifs relatifs aux minorités nationales concernant la liberté personnelle et la création de collectivités autonomes

419 ainsi que la protection des cultures minoritaires420.

En Pologne, la protection des minorités nationales reconnues comme telles par l'État (dont les Lituaniens et les Ukrainiens), figure déjà dans la constitution, qui prévoit de promouvoir la création d'institutions éducatives, culturelles et religieuses propres aux minorités421. Ce principe est renforcé par la loi relative aux minorités nationales

417 Loi fondamentale [Alaptörvénye] du 25 avril 2011, Article XXIX, Journal Officiel de la République de

Hongrie, Issue 43, 2011. 2011

418 Ibid.

419 La loi LXXVII de 1993 sur les droits des minorités nationales et ethniques, Art. 3(2) et 3(3), Les lois et les

résolutions de l'Assemblée nationale, gazette (1993.VII.22.)

420 Loi CXL sur la protection des biens culturels de 1997, Les lois et les résolutions de l'Assemblée nationale,

gazette (1997.XII.15.)

421 Polish Constitution of 2 April 1997, Art. 35, 48 Passed by the National Assembly on 2 April 1997, Adopted

by the Nation in the constitutional referendum on 25 May 1997, Signed by the President of the Polish Republic on 16 July 1997, OJ 1997 No. 78 .

et ethniques et par la loi portant sur les langues régionales adoptée par le Parlement polonais en 2005422.

Selon une étude effectuée par la Commission européenne, les minorités sont représentées politiquement au niveau local, comme la minorité ukrainienne dans la province de Warmińsko-Mazurskie423.

En Allemagne, existent plusieurs groupes minoritaires dont les Frisons, les Polonais et les Sorabes. Les membres de la minorité Sorabe sont répartis dans deux Länder de l'État Fédéral allemand, le Brandebourg, la Basse-Lusace, la Saxe, et la Haute- Lusace.

L'article 35 du Traité d'union du gouvernement fédéral allemand reconnaît les droits acquis par cette minorité sur la base de l'ancienne loi protectrice des droits de la population Sorabe de 1948 de l’ex-République démocratique allemande (RDA), dont certaines dispositions instaurent la liberté d'appartenir à la nation et à la culture Sorabe, de cultiver et conserver leur langue, de développer leur culture et leurs traditions424.

Ces dispositions sont reprises par la Constitution du Land de Brandebourg425,

prévoyant également leur participation à la vie politique sous la forme du Conseil des affaires sorabes et de la désignation de délégués426.

Les dispositions du Traité d'union du gouvernement fédéral allemand concernant la minorité sorabe sont reprises dans la Constitution du Land de Saxe427, ainsi que dans

la loi sur les droits des Sorabes dans l'État libre de Saxe428.

En Italie, il existe plusieurs groupes minoritaires reconnus comme minorités linguistiques historiques dont les Slovènes, les Frioulans, les Albanais et les Germaniques. La Constitution italienne prévoit leur protection429 en matière

422 The Act of 6 January 2005, On national and ethnic minorities and regional language, OJ 2005 No. 17. 423 Mercator-Education, « The Ukrainian and Ruthenian language in education in Poland »,information

Documentation research, Netherlands, 2006.

424 Traité d'union du 31 Aout 1990, (BGBl. 1990 II, p 889) Art, 35 sur les dispositions linguistiques, Récemment

adapté par l'art. 122 G v. 08.07.2016 I 1594.

425 La Constitution de Brandebourg du 20 Août 1992, (GVBl.I / 92, S.298), Art. 25, modifié en dernier lieu par

la loi 5 Décembre 2013, (GVBl.I / 13, [no. 42]).

426 Loi sur les droits des Sorabes / Wendes dans le Brandebourg, (Sorabes / Wendes Loi - SWG), 7 Juillet 1994,

(GVBl.I / 94, [no. 21], S.294), modifié en dernier lieu par l'article 1er de la loi du 11 Février 2014, (GVBl.I / 14, [no. 07]).

427 Constitution de l'État libre de Saxe du 27 mai 1992, Art. 5, 6 (SächsGVBl. 243), qui, par la loi du 11 Juillet,

2013, (SächsGVBl. S. 502) a été modifié.

428 Loi sur les Sorabes de Saxe du 31 Mars 1999, (SächsGVBl. S. 161), modifié en dernier lieu par l'article 59a

de la loi du 27 Janvier 2012, (SächsGVBl. S. 130).

d'éducation, d’identité linguistique, de préservation culturelle et favorise la création d'institutions adaptées. Elle prévoit également leur représentation politique à l'échelle locale430. Par un décret du Président de la République italienne, est instaurée

la protection des minorités concernant l'emploi de leur langue dans les écoles, la publication des actes officiels de l'État dans la langue minoritaire, l'emploi oral et écrit des langues minoritaires dans les bureaux des administrations publiques ainsi que sur les panneaux d’affichages des localités et des règlements du code de la route431. L'Italie a signé la Convention Cadre pour la Protection des Minorités

Nationales.

En Suède, cinq minorités sont officiellement reconnues par l'État, les Finnois, les Tornédaliens, les Sames, les Tsiganes et les Juifs. La discrimination ethnique en Suède est interdite432. Le droit à l'enseignement en langue minoritaire, la promotion

et la protection des langues des minorités nationales dans le domaine public incombent à l’État et sont garantis par la loi sur les langues433.

Selon la loi suédoise, les autorités administratives doivent également donner aux minorités nationales la possibilité d’intervenir sur les questions les concernant, ainsi que le droit d’œuvrer pour préserver et développer leur culture434. Par ailleurs, la

réglementation en matière de droit à la non-discrimination est également inscrite dans la loisuédoise435.

La Confédération Helvétique reconnaît quatre langues nationales : l'allemand, le français, l'italien et le romanche. Alors que les trois premières sont langues officielles, le romanche ne l'est que partiellement.

La Constitution suisse reconnaît des entités linguistiques nationales et prévoit leur protection : l’article 70 prévoit qu’ « afin de préserver l'harmonie entre les communautés linguistiques, les cantons veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques

430 Loi no 482, règles en matière de protection et de défense des minorités linguistiques historiques, du 15

Décembre 1999, Gazette Officielle no. 297, 20 Décembre 1999.

431 Décret du président de la République concernant le Règlement d'application de la loi du 15 Décembre 1999,

no 482, portant sur les règles de protection des minorités linguistiques historiques, Journal Officiel, no 345, 13 Septembre 2001.

432 Loi suédoise contre la discrimination ethnique du 7 Avril 1994, Art. 1, 2, (134/1994), Swedish Code of

Statutes 1994: 134.

433 Loi suédoise sur les langues du 28 Mai 2009, (600/2009), Swedish Code of Statutes 2009: 600 ; Loi suédoise

sur l'éducation du 23 Juin 2010, (800/2010), Swedish Code of Statutes 2010: 800

434 Loi suédoise sur les minorités nationales et les langues minoritaires du 11 Juin 2009, (724/2009), Swedish

Code of Statutes 2009 :724

435 Règlement 1991 modifiant le Règlement sur les minorités nationales et les langues minoritaires du 16

autochtones. La Confédération et les cantons encouragent la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques […] la Confédération soutient les mesures prises par les cantons des Grisons et du Tessin pour sauvegarder et promouvoir le romanche et l'italien»436. D'autres groupes linguistiques, minoritaires,

sont également protégés. La loi fédérale sur les subventions aux cantons des Grisons et du Tessin prévoit par exemple la sauvegarde de la culture et de la langue rhéto- romane437.

La Constitution fédérale réglemente la représentation proportionnelle entre les divers groupes communautaires au sein des institutions fédérales438. La protection des

minorités est étroitement associée à l’exercice de la procédure d'initiatives populaires selon laquelle les citoyens peuvent soumettre au parlement un projet de loi (ou toute autre initiative) s'ils parviennent à recueillir 100,000 signatures de citoyens actifs dans un délai de 18 mois.

La pratique des langues minoritaires dans le domaine de l'éducation et de la représentation auprès des institutions de l'État est assurée par le gouvernement fédéral439.

L’ensemble des États cités plus haut a signé la Charte Européenne pour les Langues Régionales ou Minoritaires ainsi que la Convention Cadre pour la Protection des Minorités Nationales.

Les accords bilatéraux sont un cadre propice à la mise en place et à l'application des droits et principes de protection des minorités au sein des États signataires de ces accords. Ce fut le cas notamment pour l'accord de Gasperi-Gruber intervenu peu de temps après la deuxième guerre mondiale, entre le gouvernement italien et le gouvernement autrichien, accord visant la protection des habitants de langue allemande en Italie440.

436 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 1er Janvier 2000, Art. 4, 70, RO 1999 2556.

437 Loi fédérale sur les subventions aux cantons des Grisons et du Tessin pour la sauvegarde de leur culture et de

leurs langues du 24 Juin 1983, Art. 1er, RO 1983 1444.

438 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 1er Janvier 2000, Art. 149, RO 1999 2556.

439 Commentaires du Gouvernement de la Suisse sur le deuxième avis du Comite Consultatif sur la mise en

œuvre de la Convention Cadre pour la protection des minorités nationales par la Suisse, (GVT/COM/II(2008)003).

440 Accord de Gasperi-Gruber intervenu entre le gouvernement italien et le gouvernement autrichien le 5

Il en va de même pour les déclarations de Bonn et de Copenhague signées par l'Allemagne et le Danemark, visant la protection de leurs minorités respectives441,

ainsi que des traités de bon voisinage entre l'Allemagne et la Pologne442, la

Bulgarie443, la Hongrie et la Roumanie444.

Les minorités nationales peuvent bénéficier d'une protection de la part de leurs « États-parents » sous forme d'aide économique ou politique. Cette situation est parfois inscrite dans les constitutions des États en question, comme c'est le cas de la Hongrie445, de la Roumanie446, de la Slovénie447, de la Croatie448, de l'Ukraine et de

la Pologne449.

Les droits des minorités sont, comme nous l’avons vu, largement reconnus et mis-en pratique dans les législations de nombreux États en Europe. Cependant, certains États ne reconnaissent pas le principe de « groupe » ou de « minorité » dans leur système juridique ou dans leur tradition politique ; c'est notamment le cas en France. Le droit français assigne une place particulière aux minorités, mais a longtemps distingué entre droit individuel et droit collectif dans ce domaine.

Le droit français a longtemps tenu isolé les droits collectifs, en raison du danger qu’ils pouvaient représenter pour l’unité nationale et l’ordre public. Ce n’est que la IIIème république qui a fini par réconcilier le principe de la souveraineté nationale avec les droits collectifs. Ces droits sont définis juridiquement comme des droits

441 Déclaration de Bonn-Copenhaguedu gouvernement du Danemark sur le statut de la minorité allemande, du 29

Mars 1955, Ministère des Affaires étrangères, 7 Juin, 1955 HC Hansen ; Déclarations de Bonn-Copenhague du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne sur les droits de la minorité danoise, du 29 Mars 1955, Bundesanzeiger, no 63, 31 Mars 1955, Amtsblatt für Schleswig-Holstein, 23 Avril 1955.

442 Traité de bon voisinage et de coopération amicale entre l'Allemagne et la Pologne, du 17 Juin 1991,

disponible à l'adresse : http://www.polen.diplo.de/contentblob/4071436/Daten/126470/vertraegedpl.pdf ,consulté le 28 Juillet 2016.

443 Traité de relations amicales et de partenariat en Europe entre l'Allemagne et la Bulgarie, du 9 Octobre 1991. 444 Traité de relations amicales et de partenariat en Europe entre l'Allemagne et la Hongrie, du 6 Février 1992,

Official Collection of Laws and Regulations, 1992. II. k. Budapest, 1993.1724. He. ; Traité de relations amicales et de partenariat en Europe entre l'Allemagne et la Roumanie, du 12 Avril 1992

445 La Constitution Hongroise du 23 Octobre 1989, art. 6(3), Official Collection of Laws and Regulations,

1989.1. k. Budapest, 1990.136-137. He.

446 La Constitution Roumaine du 21 Novembre 1991, Art. 7, Journal officiel n. 767 du 31 Octobre 2003. 447 La Constitution Slovène du 23 Décembre 1991, Art. 5, RS, no. 33/91-I du 23 Décembre 1991. 448 La Constitution Croate du 25 Juin 1991, Art. 10, Official Gazette no. 56/90, 135/97, 8/98.

449 Polish Constitution of 2 April 1997, Art. 6(2), Passed by the National Assembly on 2 April 1997, Adopted by

the Nation in the constitutional referendum on 25 May 1997, Signed by the President of the Polish Republic on 16 July 1997, OJ 1997 No. 78 ; La Constitution Ukrainienne du 28 Juin 1996, Art. 12, Conseil suprême de l'Ukraine (VFR), 1996, № 30, p. 141, Tel que modifié par la loi № 2222-IV du 08.12.2004.

individuels exercés collectivement tels que le droit à la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève450.

Les minorités, en revanche, en tant que groupes distincts dont les droits, considérés comme incompatibles avec la Constitution et les principes de la République, ne sont toujours pas reconnus par l’État français qui donne la priorité aux droits individuels, à l’égalité, à l’unité et à l’universalité.

L’experte indépendante, Mme Gay McDougall constate dans un rapport publié en 2008 que : « Malgré l’existence d’une importante législation anti discrimination, les membres des communautés minoritaires en France sont victimes d’une véritable discrimination raciale, ancrée dans les mentalités et les institutions. Le refus politique de reconnaître ce problème a entravé l’adoption de mesures propres à garantir l’application des dispositions législatives pertinentes et à corriger les inégalités complexes qui se sont installées »451.

Ce rapport illustre la tension qui peut exister entre une approche conceptuelle en matière de droits des minorités et de discrimination fondés sur les principes du droit

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