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L’incorporation du droit européen des migrants dans les législations nationales

§ 3 La concrétisation juridique et politique des droits des migrants

C. L’incorporation du droit européen des migrants dans les législations nationales

Bien qu’un corpus de dispositions communes à certains pays ait déjà été mis en place dans le cadre du programme de Tampere, les États membres ont longtemps fait preuve de réticences à abandonner une partie de leurs prérogatives dans le domaine de l’immigration de travail et avancent sur ce problème en ordre relativement dispersé. Suite à l’adoption du Programme « immigration légale 2005 » qui stipule que : « …la fixation du nombre de migrants économiques qui sont admis dans l'UE à des fins d'emploi relève de la compétence des États membres, [et qu’ ] il est incontestable que l'admission des ressortissants de pays tiers dans un État membre peut affecter d'autres États membres ainsi que leur marché du travail… », cette position semble vouée à évoluer vers une politique communepar l'harmonisation des droits nationaux des pays membres qui constituent à terme la base d'une législation de l'union européenne126. L’instauration de la carte bleue européenne d’entrée et de

séjour des travailleurs migrants hautement qualifiés est l’une des mesures qui illustre les efforts de convergence des législations européennes127.

Il en va de même des dispositifs communs en matière d’immigrationdans le cadre de l'espace Schengen, de l'action de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), de la mise en place d'une politique d'immigration dotée d'un volet extérieur, et du développement de fonds financiers, comme celui destiné aux frontières extérieures ou celui dédié à l'intégration128.

Le droit au regroupement familial, le droit à l’éducation et à la formation professionnelle ainsi que le droit de travailler sont les domaines essentiels de protection des immigrants arrivant dans le pays d’accueil129.

Bien que le droit au regroupement familial soit réglementé à l’échelle communautaire par la directive du Conseil de l'Union européenne 2003/86/CE, dont

126 Organisation internationale pour les migrations, Droit International de la migration N°17, « Législations

relatives à l’immigration légale dans les 27 États membres de l’UE », p.30, Genève, 2009.

127 Conseil de l’Union européenne, Directive 2009/50/CE établissant les conditions d’entrée et de séjour des

ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, 25 Mai 2009, OJ L 155, 18.6.2009, p. 17– 29.

128 Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité

économique et social européen et au Comité des régions, « Vers une politique commune en matière d'immigration », 5 Décembre 2007, [COM(2007) 780 final - Non publié au Journal Officiel].

129 UNESCO, « Document de travail sur l’état actuel des méthodes, institutions et techniques permettant de

l’objectif est défini comme étant le droit à une « vie familiale normale »130, la

procédure du regroupement familial dans le cadre national des pays membres de l’Union est souvent conditionnée par plusieurs exigences de la part des gouvernements.

Bien que la CJCE ait expressément jugé que la primauté du droit communautaire vaut même à l'égard des normes constitutionnelles des États membres131, il n’en reste

pas moins que l’écart possible entre la législation européenne et son application dans les systèmes juridiques nationaux résulte souvent des besoins et équilibres sociaux ou juridiques spécifiques à certains pays. Par ailleurs, le décalage existant entre le droit de l’UE et des principes d’ordre constitutionnel nationaux peut mener au besoin d’adaptation de l’application du droit de l’Union par les États132.

Certains États octroient le droit au regroupement familial aux immigrés titulaires de permis de séjour permanent. Tel est le cas en Allemagne, en Autriche, au Danemark ainsi qu’en Estonie. D’autres États tels que la France et Chypre exigent un titre de séjour d’une période minimale d’un an alors que, pour la majorité des États de l’Union, il suffit d’un titre de séjour temporaire pour bénéficier du droit au regroupement familial.

Dans la majorité des États membres de l’Union, ce droit est conditionné par une certaine durée de séjour légal, qui varie selon les États, généralement deux ans, préalable à l’exercice de ce droit. En Espagne ainsi qu’en Irlande, il s’agit d’un an alors que pour la législation danoise un séjour d’une période de trois ans est requis. Les « membres de la famille » sujets au droit au regroupement familial sont, dans la plupart des États membres de l’Union, le conjoint ainsi que les enfants mineurs. Certains États conditionnent l’octroi du droit au regroupement familial à un âge minimal du conjoint. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Slovaquie, au Royaume Uni le conjoint ainsi que l’immigré doivent avoir atteint l’âge de 18 ans. En Lituanie, en Belgique, le conjoint doit être âgé d’au moins 21 ans. Certains États tels que l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Roumanie, le Luxembourg admettent les enfants majeurs mais dans certaines conditions exceptionnelles, raisons de santé, infirmité ou nécessité absolue.

130 Conseil de l'Union européenne, Directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, 22

Septembre 2003, OJ L 251, 3.10.2003, p. 12–18.

131CJCE, 17 Décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft mbH/Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide

und Futtermittel, C‑11/70, Rec., p. I-1126.

132 Conseil d'État, n° 226514, Syndicat national de l'industrie pharmaceutique et a., 3 Décembre 2001, Lebon p.

Afin de ne pas se retrouver en situation de devoir assister socialement les membres de la famille de l’immigré, certains États exigent de faire preuve de ressources suffisantes, d’un logement adapté et d’une assurance santé. C’est le cas aux Pays- Bas, en Belgique, à Chypre et en Grèce.

D’autres pays comme l’Allemagne, la France ou les Pays-Bas demandent à l’immigré de prouver son intégration par une connaissance vérifiée de la langue du pays d’accueil ou de son système civique, culturel et social133.

Malgré l’harmonie relative des réglementations européennes en matière de droit au regroupement familial, certains de ses aspects sont exclusivement définis par les droits nationaux comme par exemple les conditions restrictives du droit au regroupement familial qui ne constituent pas en elles-mêmes une violation des dispositions de la directive du Conseil 2003/86/CE.

Le droit à l’éducation est affirmé à l’échelle communautaire par les directives 2000/43/CE et 77/486/CEE du Conseil de l'Union européenne concernant la nécessité de rapprocher le statut juridique des ressortissants des pays tiers de celui des ressortissants de l’État membre notamment en matière de droit à l’éducationsans distinction de race ou d'origine ethnique134. C’est au nom des droits fondamentaux

que la grande majorité des États membres de l’Union octroie le droit à l’éducation aux enfants d’immigrés. Les législations nationales sont adaptées à la politique de l’éducation pour tous.

Certains États conditionnent l’éducation des enfants à une durée de séjour minimal de leur famille tandis que la majorité des États membres de l’Union octroient le droit à l’éducation à tous les enfants d’immigrés sans condition de durée de séjour préalable.

133 Organisation internationale pour les migrations, Droit International de la migration N°17, « Législations

relatives à l’immigration légale dans les 27 États membres de l’UE », Genève, 2009.

134 Conseil de l’Union européenne, Directive 2000/43/CE relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de

traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, 29 juin 2000, Journal officiel n° L 180 du 19/07/2000 p. 0022 - 0026 ; Conseil de l’Union européenne, Directive 77/486/CEE visant à la scolarisation des enfants des travailleurs migrants, 25 Juillet 1977, Journal Officiel n° L 199, 06/08/1977, pp. 0032 – 0033 ; CESE, « Avis du Comité sur le Livre vert — migration et mobilité : enjeux et opportunités pour les systèmes éducatifs européens », COM(2008) 423 final, OJ C 218, 11.9.2009, p. 85–90 ; Conseil de l’Union européenne, « Conseil européen de Thessalonique », 11638/03, in « Événements historiques de la construction européenne » (1945-2014) 19 et 20 Juin 2003, disponible à l'adresse : http://www.consilium.europa.eu/fr/european-council/conclusions/pdf-1993-2003/conclusions-de-la-

pr%C3%89sidence-conseil-europ%C3%89en-de-thessalonique-19-et-20-juin-2003/, page consultée le 10 Juillet 2016.

Prenant en considération les cultures différentes des enfants de nouveaux arrivants, les systèmes éducatifs en Europe ont mis au point des méthodes pédagogiques interculturelles afin de faciliter la maîtrise de la langue locale et de préserver la langue d’origine de l’enfant avec le souci de sensibiliser les élèves et de leur faire connaître des cultures diverses. Dans cette perspective, de nombreux États ont mis en place des formations pédagogiques pour des enseignants amenés à travailler avec des élèves de cultures et d’origines différentes135.

Le respect et l'application du droit européen et du droit international s’appliquant aux travailleurs immigrés une fois entrés sur le territoire relève de la responsabilité des pays d’accueil136.

Cette situation peut être le lieu de certaines dérives. Dans certains États : aux Pays Bas, en Belgique ou, dans quelques cas particuliers, en Bulgarie, le permis de travail est octroyé en vue d’un emploi et auprès d’un employeur spécifique137. Le permis de

travail est alors rattaché à l’employeur. Cette situation crée une situation de dépendance de l’employé vis-à-vis de son employeur qui peut avoir comme conséquence une exploitation abusive du travailleur immigré et une dégradation de ses conditions de travail138.

Des connaissances très restreintes en matière de droit du travail, une faible protection syndicale et une faible mobilité de l'emploi empêchent le travailleur immigré d’améliorer ses compétences professionnelles, acquises le plus souvent par des opportunités d’emplois diversifiés139.

Dans certains États membres de l’Union comme la Bulgarie, l’Espagne, la France, l’Italie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et la Suède, un travailleur immigré

135 Eurydice, « L’intégration scolaire des enfants immigrants en Europe », Enquêtes Eurydice, Bruxelles 2004,

100 pages.

136 E. Tezgan, « La responsabilité des États Membres vis-à-vis des particuliers pour la violation du droit

communautaire et sa mise en œuvre par les juridictions nationales », Revue Belge de droit international, 1996/2, Éditions Bruylant, Bruxelles, pp 517-558.

137 Organisation internationale pour les migrations, Droit International de la migration N°17, « Législations

relatives à l’immigration légale dans les 27 États membres de l’UE », pp.174, 190-191, 403, Genève, 2009.

138 N. Baruah, R. Cholewinski, N. Lindroos-Kopolo, P. Taran, « Handbook on establishing effective labour

migration policies », Mediterranean edition, Vienna, (2007), p.5.

139 Assemblée Parlementaire du conseil de l'Europe, Rapport sur les relations entre migrants et syndicats, Doc

6590, 27 Avril 1992 ; M. Martínez Lucio, S. Marino, H. Connolly, « Organising as a strategy to reach precarious and marginalised workers. A review of debates on the role of the political dimension and the dilemmas of representation and solidarity », Transfer : La revue européenne du travail et de la recherche, Vol 23, Février 2017, pp. 31–46.

ayant travaillé légalement un certain nombre d’années se voit octroyer l’accès illimité au marché du travail sur le territoire national140. Cet accès illimité est

généralement accordé en même temps que le statut de résident de longue durée ou un titre de séjour permanent qui permet l’accès au marché du travail à condition égale à celle des ressortissants des États membres de l’Union conformément à la directive 2003/109/CE du Conseil de l’Union européenne141.

De ce qui précède, on comprend qu’il existe en matière de mise en œuvre nationale du droit européen des approches sensiblement différentes selon les États, car elles restent souvent sujettes aux conditions et restrictions imposées par ces derniers. Il s’avère que le droit international fixe davantage les critères fondamentaux de la protection des migrants, tandis que les systèmes législatifs régionaux et nationaux, dans le but de préserver la stabilité et la cohésion sociale des pays d’accueil, rajoutent à ces critères le système juridique et politique de l’accueil et de l’intégration des immigrants nouvellement installés sur leur territoire.

140 Organisation internationale pour les migrations, Droit International de la migration N°17, « Législations

relatives à l’immigration légale dans les 27 États membres de l’UE », p. 55, Genève, 2009.

141 Conseil de l'Union européenne, Directive 2003/109/CE relative au statut des ressortissants de pays tiers

CHAPITRE 2

– L'intégration comme finalité du processus de

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