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Technologie, mobilité et schèmes d’établissement des chasseurs-cueilleurs Sous l’impulsion des travaux ethnographiques de Binford (1977, 1979, 1980) et du

foisonnement intellectuel inspiré par le mouvement de la New Archaeology dans les années 1960 et 1970, un intérêt particulier s’est développé pour l’étude des stratégies de mobilité et des schèmes d’établissement des chasseurs-cueilleurs. La masse impressionnante d’études vouées à ces thèmes a eu une énorme influence sur le développement des théories concernant l’organisation de la technologie lithique.

À travers ses études ethnoarchéologiques des Nunamiuts (Alaska), Binford (1977 ; 1980 :22) a élaboré un modèle expliquant la variabilité des schèmes d’établissement et de mobilité employée par les chasseurs-cueilleurs. Ce dernier considère la mobilité comme une relation dynamique des groupes humains avec l’environnement et les ressources disponibles sur le territoire. Les humains doivent donc opter pour différentes stratégies afin de pallier les contraintes écologiques, dont la répartition inégale des ressources sur le territoire. L’adaptation aux contraintes du milieu aurait ainsi mené au développement de deux grandes catégories de chasseurs-cueilleurs : les fourrageurs et les collecteurs.

On peut résumer le concept de fourrageur comme étant une stratégie de forte mobilité résidentielle où les consommateurs sont amenés à proximité des ressources pour une consommation immédiate plus ou moins opportuniste (mapping on mobility strategy). En principe, cette stratégie implique que tous les membres du groupe se déplacent avec leur campement pour une exploitation des ressources environnantes jusqu’à ce que la rentabilité du secteur baisse à un point où il faille à nouveau se déplacer vers d’autres lieux (resource patch). À l’opposé, les collecteurs adoptent plutôt une stratégie dite « logistique », où ce sont les ressources qui sont amenées, par le moyen d’expéditions spécifiques (task groups), aux consommateurs qui résident dans un camp de base. Cette stratégie implique entre autres des déplacements résidentiels moins fréquents et la présence de sites associés à l’exploitation logistique des ressources (camps de chasse ou de pêche, site de traitement de carcasses animales, caches, ateliers de fabrication de l’équipement, etc.) (Binford 1980 ; Chatters 1987).

On émet l’hypothèse que ces diverses stratégies seraient principalement des réponses à différents contextes environnementaux. Par exemple, les collecteurs seraient davantage associés à un environnement comportant une saisonnalité des ressources obligeant les groupes à adopter des stratégies plus complexes (expéditions de chasse, entreposage de denrées au camp de base, etc.) pour compenser la variabilité des ressources dans le temps et dans l’espace. Ceci n’est pas forcément le cas dans les zones écologiquement riches à longueur d'année où la mobilité résidentielle suffirait pour exploiter des ressources constantes (Bettinger 1987 :126; Binford 1980 :11-13). Kelly (1983 :277) apporte toutefois certaines nuances et fait remarquer que les stratégies peuvent varier pour un même environnement et pour un même groupe.

Hunter-gatherers do not adapt to their environment with a single settlement-subsistence system of the kind an ethnographer might record through living out a year’s seasonal round with a group of hunter-gatherers. […] Instead, hunter-gatherers use a variety of strategies to survive in their environment. The complete range of these strategies, however, is manifested only over long periods of time […]. (Kelly 1983 :301)

Bien que Binford (1980) ait défini les schèmes de mobilité en deux grandes catégories, cette conception ne se voulait pas dichotomique, mais flexible et s’inscrivant dans un continuum. Dans cette optique, fourrageurs et collecteurs représentent les deux extrêmes d’une gamme de possibilités permettant l’adoption de stratégies mixtes par un même groupe.

The point here is that logistical and residential variability are not to be viewed as opposing principles (although trends may be recognized) but as organizational alternatives which may be employed in varying mixes in different settings. These organizational mixes provide the basis for extensive variability which may yield very confusing archaeological patterning. (Binford 1980 :19)

Quelques chercheurs estiment toutefois que l’idée d’un continuum ne parvient pas à saisir toute la variabilité et la complexité des stratégies de mobilité des chasseurs-cueilleurs. Chatters (1987 :368) et Kelly (1992 :57) conçoivent plutôt le tout comme un phénomène multidimensionnel variant selon différents axes. Quant à Becker (1999 :31), il estime que les chevauchements entre les caractéristiques des deux stratégies rendent l’idée d’un continuum peu approprié et conçoit également la sédentarité comme n’étant qu’une autre dimension de la mobilité logistique. Malgré les nuances et les critiques avancées, ces points de vue ont en

commun de ne pas considérer les deux catégories comme des taxons fixes et immuables. Or, cela n’a pas été le cas de tous les archéologues. En effet, bon nombre de chercheurs ont plutôt compris et adopté le modèle de Binford dans un sens dichotomique et ont tenté de classer les cultures archéologiques dans une typologie bidimensionnelle et statique. Durant les décennies 1980-90, cette conception rigide distordant le concept originel a néanmoins fini par être assez largement acceptée dans la littérature archéologique avec un nombre plus restreint de chercheurs explorant la question de manière plus nuancée (Becker 1999 :2; Kelly 1992 :43; Sutton 2000 :222). Cependant, le rejet de cette conception dichotomique fait maintenant largement consensus et la plupart des archéologues s’entendent pour reconnaître qu’il existe un vaste spectre de possibilités et d’alternatives dans les stratégies de mobilité des chasseurs- cueilleurs (Crothers 2004 :2).

Technologie lithique et schèmes de mobilité/établissement

C’est généralement autour des thèmes de mobilité et de schèmes d’établissement que les études technologiques vont s’orienter chez les chercheurs de tradition anglo-saxonne. Il est largement accepté que la mobilité joue un rôle important dans les technologies des chasseurs- cueilleurs, entre autres par ses effets restrictifs sur la quantité de matériel pouvant être transportée, l’inégale répartition géographique des matières premières et à la difficulté d’anticiper les futurs besoins en outils (Carr 1994a :2-3; Kelly 1988 :717-718; Kuhn 1994 :426; Sellet 1999 :50; 2006 :221; Shott 1986 :19). Si dans le principe général, on admet volontiers l’impact d’un mode de vie nomade sur la technologie d’un groupe, on émet toutefois une variété d’hypothèses quant à l’importance de cette variable et les résultats archéologiques qu’elle engendre chez les chasseurs-cueilleurs.

La littérature sur la technologie lithique est avant tout orientée vers ce que Torrence (2001 :74- 75) nomme les approches à grande échelle (macroscale approaches), lesquelles présentent une volonté de généralisation et d’explication du rôle adaptatif des industries lithiques, notamment en regard de l’environnement et des schèmes de mobilité/établissement. En vertu de ce cadre, des concepts ont été introduits afin de décrire et expliquer l’organisation et les stratégies des

technologies lithiques des chasseurs-cueilleurs. On retrouve en tête de liste, les concepts de curation et d’expediency15 (Binford 1977 :33-36; 1979).

Les technologies dites curated comprennent habituellement les caractéristiques suivantes : l’outillage est produit à l’avance, les outils sont conçus comme étant multifonctionnels et sont transportés d’un lieu à un autre, ils sont entretenus (affûtage, réparation) et recyclés pour être transformés en d’autres types d’outils (Bamforth 1986 :39; Binford 1977 :33-36; 1979). Quant à l’outillage expedient il est, à l’opposé de l’autre, fabriqué et utilisé de manière opportuniste lorsque le besoin se présente. Utilisé pour une courte période de temps, il est habituellement abandonné sur place lorsque la tâche est terminée ou que la partie active de l’outil est émoussée. Les technologies curated produisent des outils de types formalisés (bifaces, pointes de projectiles, autres outils aux morphologies typées) au moyen de technologies plus complexes, tandis que celles expedient se manifestent par des éléments morphologiquement non standardisés (éclats retouchés ou utilisés bruts, autres outils aux morphologies peu typés) et par l’emploi de technologies relativement simples (taille bipolaire sur enclume, débitage d’éclats ad hoc, etc.) (Bamforth 1986 :38; Binford 1977 :33-36). Comme le modèle de mobilité duquel il découle (fourrageur/collecteur), ce modèle technologique occupe une place prépondérante dans les études lithiques et dans les théories d’adaptation des chasseurs- cueilleurs à leur milieu (Odell 2004 :190-191; Torrence 1994 :125).

Par ailleurs, au même titre que le modèle de fourrageur/collecteur, celui d’expediency/curation avait été conçu initialement comme un continuum à travers lequel le système technique pouvait s’organiser et ne constituait donc pas une catégorisation rigide (Bamforth 1986 :38; Becker 1999 :139). Dans cette perspective, un groupe de chasseurs-cueilleurs qui pouvait adopter différentes stratégies de mobilité au cours d’une ronde annuelle de nomadisme pouvait également employer différentes stratégies dans la production de son outillage variant en fonction du contexte et de la matière première (qualité, variété, disponibilité). Il semble toutefois que cette dimension, peu explicite il est vrai dans les écrits de Binford (1977, 1979,

15

Étant donné la difficulté de traduire simplement et avec justesse ces termes en français, nous nous permettons de les employer dans leur langue d’origine.

1980), a généralement été ignorée par de nombreux archéologues qui ont plutôt appliqué une définition dichotomique plus stricte (Becker 1999 :139; Sutton 2000 :222). Il n’en demeure pas moins que Binford a construit ce modèle dans la perspective où technologie et mobilité sont intimement entrelacées et que l’étude de la première pouvait mener à la reconstitution de la seconde :

It should be clear that a logistic strategy in which foods are moved to consumers may be expected to be correlated with increases in curation and maintenance of tools, since both organisational responses to conditions in which increasing efficiency would pay off. (Binford 1977 :35)

Dans l’optique où les schèmes de mobilité/établissement seraient essentiellement marqués par un déterminisme écologique, la technologie lithique devient alors un témoin privilégié de cette relation entre humains et nature. Le but premier d’étudier les phénomènes technologiques des chasseurs-cueilleurs est alors de mettre en lumière la relation organisationnelle entre les stratégies mises en œuvre par le groupe et l’outillage qu’il utilise, lequel constituerait une réponse aux contraintes engendrées par la mobilité et l’écosystème. Le processus analytique habituel consiste alors à formuler des modèles en faisant appel notamment à des données ethnographiques sur les chasseurs-cueilleurs. On fait alors le rapprochement entre l’organisation technologique de ces sociétés et leurs schèmes de mobilité. Les hypothèses de relation mobilité/technologie ainsi élaborées sont ensuite testées sur les données archéologiques. Comme on estime habituellement que la mobilité est le facteur principal affectant la technologie lithique, voire parfois l’unique facteur, on accepte alors une certaine universalité des processus mis en jeux justifiant de surcroît l’emploi de référentiels ethnographiques et les généralisations transculturelles (Carr 1994a ; Kelly 1992 ; Sellet 1999 :8-12; 2006 :221-222).

C’est donc souvent dans cette perspective que les industries de pierre taillée ont été étudiées depuis la fin de la décennie 1970 par beaucoup d’archéologues de tradition anglo-saxonne qui ont voulu dépasser les limites de la typologie classique afin de donner plus de sens au matériel lithique et de mieux comprendre et expliquer les comportements et les processus des sociétés anciennes. Ces artefacts récoltés par milliers durant les fouilles sont devenus aux yeux de bien

des chercheurs, les éléments diagnostics de stratégies plus générales utilisées par les chasseurs-cueilleurs.

Reconstructing prehistoric mobility and settlement patterns has been a major focus of studies of technological organization. […] Binford’s (1977, 1979, 1980) works that focused on hunter-gatherer mobility and principles of organization was a strong impetus to such studies, and in many ways set the course of organizational studies. (Carr 1994a :2)

Les différentes recherches adoptant cette voie, mettent alors de l’avant hypothèses et modèles rejoignant à divers degrés les propositions initiales de Binford (1977 :33-36) qui associent davantage une technologie expedient à une forte mobilité résidentielle (fourrageurs) et une technologie curated aux groupes pratiquant une mobilité logistique (collecteurs) (Bettinger 1987 :126-127; Binford 1977 :33-36; Carr 1994b :38-39; Kelly 1988 :719; Odell 1994 :72-74; 2001 :64). Or, il n’y a pas nécessairement consensus sur la question et les points de vue des auteurs s’avèrent parfois contradictoires quant à la relation technologie/mobilité. Par exemple, l’outillage bifacial, représentant privilégié des technologies curated en Amérique du Nord, a été considéré comme caractéristique d’une mobilité forte, mais pouvant appartenir autant à des stratégies de mobilité résidentielle que logistique (Andrefsky 2009 :70-72; Kelly 1992 :55; Kelly et Todd 1988 :237; Sassaman 1994 :105).

Un bon exemple d’étude associant la mobilité aux stratégies technologiques est celle de Parry et Kelly (1987), laquelle s’adresse cependant surtout à des sociétés sédentarisées ou en cours de sédentarisation plutôt qu’à des groupes de chasseurs-cueilleurs. Ces auteurs ont voulu comprendre pourquoi vers la fin de la préhistoire nord-américaine, on observait souvent une hausse importante des technologies expedient, une baisse des outils formels (curated) et une hausse du débitage sur les lieux d’habitation. Ils en sont venus à la conclusion que ce phénomène serait corrélé à la baisse de mobilité et la hausse du regroupement en village rendant désormais secondaire la contrainte du transport de l’outillage qui n’avait alors plus besoin d’être conçu pour être avant tout portatif et fréquemment entretenu. L’emploi d’un débitage opportuniste (expedient core technology) répondant aux besoins du moment avait pour conséquence de diminuer le coût dans la fabrication et l’entretien des outils, mais

augmentait cependant le coût en transport de la matière première jusqu’aux lieux d’habitation où elle était transformée en outil (Parry et Kelly 1987 :298-304).

Durant les décennies 1980 et 1990, une variété de nouvelles approches méthodologiques est introduite, notamment pour l’étude des phases de débitage, de la fonction des outils (tracéologie à fort ou faible grossissement) et de la caractérisation des matières premières lithiques (Odell 2000, 2001). Au-delà de leur valeur intrinsèque et des données inédites pouvant émerger de ces méthodes, elles sont perçues également comme des moyens nouveaux ou quelque peu différents pour reconstituer la mobilité et les schèmes d’établissement. Dans cette perspective, il s’agit de dépasser les hypothèses liées aux modèles de curation/expediency afin de mettre en relation d’autres traits de l’organisation technologique ayant une valeur diagnostique quant à la mobilité des chasseurs-cueilleurs. À travers ces études, on tente aussi parfois de faire ressortir certains aspects sociaux et économiques (voir par exemple : Carr 1994a ; Gould et Saggers 1985 ; Jeske 1992 ; Simek 1994 :120). Des modèles considérant l’outillage lithique dans une perspective d’optimisation vont également être mis de l’avant par quelques chercheurs. Nous y reviendrons.

Dans la vague de ces nouvelles approches, certains auteurs proposent des outils d’ordre conceptuel pour décrire et mieux comprendre l’organisation de la technologie lithique. À ce titre, Shott (1986) jugeant les concepts de curation/expediency limités, décide d’en ajouter de nouveaux, complémentaires aux premiers, afin d’affiner la relation entre stratégies adaptatives et technologies. Son modèle met de l’avant trois concepts : la « diversité » implique le nombre de types d’outils, la « polyvalence » correspond au nombre de tâches que peut effectuer un outil à l’intérieur d’une classe fonctionnelle, tandis que la « flexibilité » comprend le nombre de classes fonctionnelles (chasse, travail de peaux, travail des plantes, etc.) associées à l’utilisation de chaque outil. En s'appuyant sur des données ethnographiques, il propose ensuite des liens entre la mobilité et ses trois concepts. Par exemple, il suppose que lorsque la mobilité augmente, la diversité des types baissera, mais la flexibilité augmentera puisque chaque type remplira un plus grand éventail de tâches (Shott 1986 :19-23). Malgré un certain intérêt envers les propositions de Shott, elles resteront toutefois secondaires et peu utilisées,

notamment en raison de la difficulté de les appliquer aux données archéologiques (Bamforth 1991 :217).

Les modèles d’organisation de la technologie lithique issus d’une approche essentiellement processualiste ont été très populaires, notamment du fait qu’ils ont permis l’intégration des artefacts en pierre taillée au sein de stratégies adaptatives plus vastes. Cependant, malgré les apports et l’intérêt de ces modèles pour l’étude des assemblages lithiques, ils ont néanmoins fait l’objet de critiques à plusieurs niveaux. Tout d’abord, les concepts de curation et expediency ont été critiqués pour leur caractère ambigu et la difficulté de les opérationnaliser dans les analyses d’assemblages archéologiques. En effet, l’absence de consensus quant à la relation entre les schèmes d’établissement/mobilité et les stratégies technologiques complique beaucoup l’interprétation des données (Andrefsky 2009 :70-72; Chatters 1987 :341; Kooyman 2000 :131-132; Odell 2001 :68) et cela peut entraîner une grande diversité de résultats. Par ailleurs, d’autres chercheurs (Bamforth 1986 :39; Becker 1999 :136-139; Boldurian et Hubinsky 1994) ont avancé que les éléments caractéristiques du concept de curation, tels que définis par Binford, ne sont pas forcément concomitants dans la réalité et peuvent même être mutuellement exclusifs :

However, despite their inclusion as parts of a single definition, there is no reason to assume that all of these kinds of behavior always occur together. For instance, the flake knives used as butchering tools in communal Plains bison kills were apparently manufactured in preparation for a kill, resharpened occasionally during the butchering, and then neither used for other tasks, recycled, nor transported to other use locations. (Bamforth 1986 :39)

Certains archéologues ont également reproché, non sans raison, que l’association entre les concepts de curation/expediency et l’un ou l’autre des schèmes de mobilité résidentielle ou logistique n’est pas aussi tranchée que ce que l’on a prétendu, la réalité démontrant beaucoup plus de variabilité (Carr 1994b :36; Cobb et Webb 1994 :213).

As it turns out, ‘‘curated’’ tools were often associated with foragers, and ‘‘expedient’’ tools were often associated with collectors. This kind of stone tool classification is still popular in the literature; however, many lithic analysts realized that this one-to-one relationship is not realistic and that stone tool configuration is influenced by many other factors such as raw material availability, shape, and function. (Andrefsky 2009 :71)

Il semble cependant que le concept initialement proposé par Binford se voulait avant tout un moyen de décrire le processus organisationnel des stratégies d’un groupe et non une méthode analytique des outils en pierre (Andrefsky 2009 :71; Sellet 1999 :76-77). Si l’idée initiale de Binford était davantage d’établir un continuum explicatif de l’organisation d’un système technique, il n’en demeure pas moins que c’est avant tout les points de vue dichotomique et opératoire qui ont été retenus par une majorité d’archéologues. Cette application rigide et éloignée du concept originel est problématique, car elle oblige à classer toute manifestation matérielle de technologie lithique dans l’une des deux catégories. Or, la réalité est presque toujours plus complexe et plus nuancée. À titre d’exemple, une industrie lithique complexe demandant un savoir-faire technique très avancé, mais reposant sur l’utilisation de supports bruts et sans indices d’entretien, forme-t-elle une technologie curated ou expedient ? Dans quelle catégorie se classerait une technologie très simple de production d’éclats non standardisés, mais transportés de site en site et raffutés à l’occasion ? Également, les manches et autres parties d’outils composites sont des éléments d’une stratégie curated pouvant pourtant employer des supports en pierre taillée qui, considérés seuls, apparaissent plutôt comme expedient (Becker 1999 :139). Malgré tout, ces concepts comportent des aspects intéressants afin d’appréhender la manière dont les chasseurs-cueilleurs organisaient leur technologie lithique pour répondre à leurs besoins et surmonter les contraintes auxquelles ils faisaient face. Nous estimons toutefois qu’ils prennent toute leur valeur lorsqu’ils sont appliqués à un système global plutôt qu’à des outils spécifiques et lorsqu’ils sont considérés sans dichotomie (Andrefsky 2009 :71; Sellet 1999 :76-77).

I would like to argue, however that since curation as defined by Binford is not a property of a tool, but a behaviour which may express itself differently according to changing external factors, it retains its value as long as it serves to reveal the various aspects of technological organization. (Sellet 1999 :77)

Par ailleurs, la conception initiale voulant que la mobilité soit le seul facteur conditionnant le système technique des chasseurs-cueilleurs a aussi été décriée. En effet, il est dorénavant admis par une majorité d’archéologues que cette vision est simpliste et réductrice. La réalité témoigne en effet de phénomènes plus complexes qu’une relation unilatérale pour expliquer la variabilité des assemblages lithiques (Andrefsky 2009 :71; Bamforth 1986 :40-49; 1990 :98;

Becker 1999 :7-9; Blair 2004 :116; Carr 1994a :2; Jochim 1989 :108; Kelly 1988 :719; McCall 2012 :184; O'Farrell 1995-1996 :8; Odell 2004 :198; Parry 1994 ; Randolph Daniel 2001 :251- 252; Sellet 1999 :8-9; 2006 :221-223; Wiessner 1982 :176). Divers facteurs intrinsèques et extrinsèques au groupe peuvent concourir à déterminer la nature de l’organisation technologique qu’elle a adoptée :

[…] specific technological strategies are not determined by any single characteristic of a society's way of life, but by the interactions between many factors and the environment that society inhabits. The links between technology and any single conditioner, then, are likely to be complex and indirect. (Bamforth 1991 :217)

Stone tool production and use are not responsive to logistical and residential […] mobility