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MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ’approche technologique expliquée au chapitre précédent met à profit toutes les

Bilan de l’approche technologique

CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ’approche technologique expliquée au chapitre précédent met à profit toutes les

méthodes d’analyses permettant la reconstitution des différents maillons des chaînes opératoires lithiques. La typologie est utile pour connaître la variété des classes d’outils, procéder à des analyses typométriques et statistiques et appréhender la classification chrono-culturelle des artefacts. La caractérisation de la matière première permet de reconnaître la qualité et la variété des matériaux, l’origine des sources, les modes d’approvisionnement et de circulation des pierres siliceuses. L’analyse technologique guide la reconstitution des processus de fabrication, alors que la tracéologie se concentre sur la phase d’utilisation des outils. Les analyses spatiales permettent de comprendre l’organisation dans l’espace des chaînes opératoires et des activités à l’intérieur d’un site, alors que les analyses stratigraphiques permettent d’observer l’évolution des comportements techniques et l’étude diachronique des assemblages. En ce sens, l’approche technologique n’est aucunement discriminante et tout type d’analyse apportant des données pertinentes est mis à contribution et ce, peu importe la tradition scientifique à laquelle elle se rattache.

Dans le cadre de cette thèse, nous nous concentrons uniquement sur l’analyse technologique en l’abordant principalement dans une perspective économique (techno-économie). Le but est donc non seulement de reconstituer les processus de fabrication, mais aussi de comprendre comment ils ont été gérés par ceux et celles qui ont fabriqué, utilisé et transporté les artefacts en pierre taillée. La gestion économique s’observe d’abord par la reconnaissance des techniques et méthodes de fabrication de l’outillage lithique et par la reconstitution des différentes étapes des chaînes opératoires qui se sont déroulées sur les sites. Une éventuelle segmentation de ces étapes dans le temps et l’espace est porteuse d’informations sur l’organisation et la répartition des processus de production et d’utilisation sur le territoire d’exploitation des groupes nomades. La présence et l’absence de segments des chaînes opératoires sont autant d’éléments significatifs qui amènent à s’interroger sur les raisons de ces portions manquantes (Brenet 2011 :30-43; Geneste 2010 :429-435; Lhomme et Connet 2001 ; Porraz 2005 :19-20, 49; Soressi 2002 :136-140). Si les technologies mises en œuvre sur la matière première locale (chert Touladi) révèlent les processus économiques qui ont eu lieu

au Témiscouata, ils annoncent également ce qui était prévu après le départ des groupes de la région. En ce sens, ils permettent de reconnaître les besoins immédiats (in situ) et ceux projetés dans le futur (ex situ). Les artefacts en matériaux exogènes abandonnés au Témiscouata nous renseignent quant à eux sur les stratégies techno-économiques qui avaient cours avant d’atteindre la région, lorsque les groupes avaient accès à d’autres sources lithiques ou lorsqu’ils ne pouvaient compter que sur les réserves qu’ils transportaient avec eux.

Afin d’évaluer les stratégies de gestion économique des chaînes opératoires lithiques, nous avons sélectionné un échantillon de cinq sites répartis en différents secteurs du Témiscouata : un au Petit lac Touladi (CkEe-12), deux au Grand lac Touladi (CkEe-22 et CkEe-9), un au lac Témiscouata (CkEe-2) et un dernier sur la rivière Madawaska (CjEd-5) (Figure 3). Cela permet d’abord d’offrir une portée plus large à l’étude en abordant les schèmes techno- économiques dans une perspective régionale. L’étude de cinq établissements distincts offre en effet l’opportunité d’évaluer les constances et les variations des schèmes adoptés, lesquelles sont importantes pour comprendre les tendances lourdes plus immuables et celles, au contraire, plus sujettes à s’adapter en fonction du contexte. La fonction des sites, les activités qui s’y sont déroulées, leur appartenance chrono-culturelle et leur degré d’éloignement par rapport aux carrières sont des facteurs, parmi d’autres, qui ont pu influencer les processus techno-économiques.

La prise en compte de situations diversifiées, tant dans les spécificités des lieux que du milieu, devrait à terme, nous permettre de rendre compte de la diversité des réponses techno-économiques apportées par les groupes humains, de leur variabilité et normalité, à l’échelle d’un complexe techno-culturel, d’une période et/ou d’une région. (Porraz 2005 :49)

Pour parvenir à répondre à la problématique et aux objectifs de recherche, deux niveaux d’analyses sont abordés dans cette thèse. Le premier niveau se situe à l’échelle locale (analyse intra-site) et renvoie à l’étude des activités qui se sont déroulées sur chaque aire de fouille sélectionnée. On cherche à comprendre ici les procédés de fabrication, leurs objectifs sous- jacents (intentions des tailleurs, variété et nombre d’outils à produire, tâches à accomplir, etc.) et les modalités de gestions propres à chaque occupation. Le second niveau d’analyse est plus large et nécessite de replacer les données dans une perspective régionale en comparant les

assemblages entre eux et en évaluant les constances et le rôle de chaque contexte dans la variation des schèmes techno-économiques identifiés. C’est également à ce niveau d’analyse qu’il sera possible de vérifier l’évolution des schèmes techno-économiques dans le temps et de voir si la distribution spatiale des sites dans le Témiscouata, notamment en regard de leur éloignement des carrières de chert, a influencé les stratégies mises en œuvre.

É

CHANTILLONNAGE DES SITES ARCHÉOLOGIQUES À L

ÉTUDE

Les cinq sites archéologiques du Témiscouata abordés dans cette thèse sont : CkEe-12, CkEe-22, CkEe-924, CkEe-2 et CjEd-5 (Tableau II.I). Ils comptent tous plusieurs aires de fouilles ayant révélé chacune des contextes différents (nature de l’occupation, datation, assemblage lithique, structures découvertes, superficie excavée, etc.). Cependant, une seule aire a été sélectionnée pour chaque établissement dans l’optique de répondre le mieux possible à la problématique et aux objectifs de recherche. La sélection d’une seule aire par site a été faite aussi dans le but de restreindre les effectifs d’artefacts très élevés sur chaque établissement (échantillonnage spatial) et dans la perspective de circonscrire des sous-espaces significatifs pour l’étude. Nous sommes conscients que ces sous-espaces ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble du site dont ils sont issus et les interprétations faites dans cette thèse ne s’appliquent donc qu’aux aires sélectionnées. Cependant, pour des fins de simplifications, lorsqu’il sera fait mention des sites de notre échantillon, il sera implicite que nous faisons référence uniquement aux aires sélectionnées et non à l’ensemble de ces établissements. Voici les critères qui ont présidé à la sélection des aires de chaque site :

1. Elles ont été excavées sur une superficie suffisante et n’ont pas fait uniquement l’objet de sondages.

2. Elles ont été sélectionnées en fonction d’une distribution géographique variée les positionnant à différents degrés d’éloignement des carrières de chert Touladi (Tableau II.II). Tous les sites se trouvent néanmoins dans une zone d’approvisionnement direct

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Nous verrons plus loin dans ce chapitre que le cas de CkEe-9 (aire 2) est différent des autres puisque les éclats en chert Touladi n’ont pas été analysés dans le cadre de cette thèse. L’étude de ce site s’est donc limitée aux nucléus et aux outils, de même qu’aux éclats en matériaux exogènes.

(Burke 2007 :72-75), notamment en raison de leur relative proximité des carrières et de la prépondérance du matériel en chert Touladi sur chaque établissement

2. Elles ont livré des contextes intègres d’une part, et ont révélé d’autre part des occupations vraisemblablement uniques ou du moins limitées en nombre. Cela afin d’éviter les palimpsestes et faciliter ainsi la reconnaissance des chaînes opératoires et des événements qui leur sont liés25. Mis à part l’aire 1 de CkEe-22, tous les autres secteurs choisis consistent en des occupations situées autour d’une structure de combustion formellement identifiée.

3. Elles ont été datées par une méthode absolue (radiocarbone) ou relative (artefacts) permettant d’avoir différentes occupations échelonnées entre le Sylvicole moyen tardif et la période de Contact (Figure 5).

4. Elles présentent des caractéristiques différentes afin de toucher un plus large éventail de contextes. Il peut s’agir de la nature présumée des occupations (campement résidentiel, atelier de taille spécialisé, camp de base) ou encore de la composition de leur assemblage lithique. Chacun d’eux présente en effet des particularités, notamment en lien avec proportions plus élevées ou plus basses de certaines classes d’objets (outils, nucléus, pièces esquillées, matières premières exogènes, etc.).

Tableau II.I : La datation et la fonction présumée des secteurs à l’étude.

Sites Aires Périodes chronologiques Datations radiocarbones

calibrées Fonction(s) présumée(s)

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CkEe-12 Aire 5 (18,5 m2)

Fin du Sylvicole moyen tardif/début du Sylvicole supérieur

980 à 1220 apr. J.-C. Atelier de taille spécialisé

CkEe-22 Aire 1 (16,5 m2)

Fin du Sylvicole moyen tardif/début du Sylvicole supérieur

980 à 1276 apr. J.-C. Atelier de taille et campement résidentiel CkEe-9 Aire 2 (22 m2) Sylvicole supérieur/période de Contact 1430 et 1660 apr. J.-C. Atelier de taille et campement résidentiel CkEe-2 Aire C (22 m2) Sylvicole supérieur/période de Contact -

Atelier de taille et camp de base

CjEd-5 Structure 7

(6 m2) Sylvicole moyen tardif 680 à 1050 apr. J.-C.

Atelier de taille, campement résidentiel et lieu de pratiques rituelles

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L’avantage de sélectionner des assemblages représentant un court laps de temps d’occupation a été notamment discuté par Soressi et Geneste (2011 :341) et Andrefsky (2009 :83-86).

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Il s’agit ici des interprétations formulées par les précédents chercheurs ayant étudié ces cinq sites. À la lumière des résultats de nos analyses, nous reviendrons sur ces interprétations au chapitre 5.

Tableau II.II : Distance approximative27 des sites à l’étude par rapport aux deux carrières de chert Touladi.

Sites Distances de CkEe-26 Distances de CkEe-28

CkEe-12 - aire 5 3,6 km 1,5 km CkEe-22 - aire 1 0,8 km 4,5 km CkEe-9 - aire 2 0,7 km 3,3 km CkEe-2 - aire C 7,5 km 11,5 km CjEd-5 - structure 7 27,5 km 29 km

Figure 5 : Ligne du temps montrant le positionnement chronologique de l’aire sélectionnée sur chacun des sites archéologiques à l’étude.

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Les distances ont été calculées à vol d’oiseau à partir du système d’information géographique du ministère de la Sécurité Publique (Geo-Portail – MSP) et dans lequel on retrouve tous les sites archéologiques du Québec (https://portail.msp.gouv.qc.ca).

Concernant la sélection d’une seule aire de fouille par site, ce choix a été fait également pour privilégier un plus grand nombre d’établissements afin de maximiser une vision régionale des technologies lithiques et dépasser le particularisme propre à chaque aire d’occupation. Il se justifie également par le fait que la plupart des sites ne semblent pas constituer des ensembles homogènes dont les différentes composantes sont automatiquement liées les unes aux autres. Beaucoup d’établissements du Témiscouata, incluant ceux de notre sélection, seraient le résultat d’occupations multiples pouvant s’échelonner sur différentes périodes chronologiques (Burke 2009 :15; Chalifoux, et al. 1998 :35, 62-118). À ce propos, la majorité des sites de notre échantillon révèle la coexistence de composantes de datations différentes. Le site CkEe- 12 a été interprété comme pouvant être le résultat de deux à cinq occupations distinctes (Chalifoux, et al. 1998 :96). L’aire 2 de CkEe-9, datée de la fin du Sylvicole supérieur et du début de la période de Contact, serait plus récente que l’aire 1 d’environ deux siècles (Chalifoux, et al. 1998 :75-77). L’aire C du site CkEe-2 affiche une datation du Sylvicole supérieure/période de Contact, alors que l’aire A a révélé deux niveaux, l’un daté du Sylvicole moyen ancien et l’autre de la transition entre cette période et le Sylvicole moyen tardif. Quant à l’aire B, elle a livré des styles céramiques du Sylvicole moyen tardif. Par ailleurs, la découverte de pointes à pédoncule et d’une hache en pierre suggère aussi une présence durant la période archaïque (Chalifoux, et al. 1998 :44, 62-70). Enfin, même si plusieurs secteurs de CjEd-5 remontent au Sylvicole moyen tardif, une datation a révélé une occupation probable durant la période historique, alors que la stratigraphie pourrait indiquer que le site a été le théâtre d’au moins deux époques d’occupation durant la préhistoire (Burke 2005 :10; 2006b :26-29). Ajoutons aussi que même si des aires d’un même site sont datées de la même période, il peut s’agir aussi d’épisodes d’établissements distincts séparés les uns des autres par quelques années, quelques décennies, voire même quelques siècles.

Soulignons également que cette recherche est faite dans un cadre exploratoire, selon une méthodologie encore jamais appliquée dans le contexte étudié. L’absence de données relatives à notre approche méthodologique et conceptuelle au Témiscouata ne permettait pas de s’appuyer sur des travaux antérieurs et en appelait ainsi à la prudence dans le choix des assemblages analysés. Nous avons donc voulu éliminer autant que faire se peut les sources

potentielles de « distorsions » dans notre lecture des chaînes opératoire en sélectionnant les sous-ensembles les plus intègres et les moins « enchevêtrés » possible.

Bien évidemment, une aire de fouille constitue une limite arbitraire définie par le nombre de mètres carrés fouillés dans une zone habituellement riche en vestiges. Nous sommes conscients que dans tous les cas, les aires sélectionnées constituent elles-mêmes un échantillon d’une ou plusieurs occupations qui ont probablement débordé des limites spatiales imposées par les excavations archéologiques. Il est donc possible que des éléments pertinents pour la reconstitution des chaînes opératoires lithiques se retrouvent à l’extérieur de ces zones circonscrites. Cependant, il faut comprendre qu’aucun site daté de la période sylvicole au Témiscouata n’a été fouillé au complet et qu’il n’a pas été possible encore de démontrer l’existence d’une connexion formelle entre deux aires d’un même établissement. C’est pourquoi nous estimons que le problème de représentativité des aires de fouilles n’aurait pas été foncièrement résolu, même en considérant l’ensemble des secteurs excavés de chaque site.

Pour ces différentes raisons et pour répondre le mieux possible aux cinq critères exposés précédemment, de même qu’à la problématique et aux objectifs de cette recherche, nous estimons que le choix d’une aire par site est justifié. Cela ne signifie pas que la portion résiduelle des sites n’a pas d’intérêt intrinsèque, bien au contraire, mais que dans le cadre de cette recherche nous croyons qu’il demeure judicieux de se limiter aux espaces sélectionnés.

Quant au choix d’étudier des collections dont les datations peuvent s’échelonner sur environ un millénaire, cela a été fait dans l’objectif de voir comment ont évolué les chaînes opératoires dans le temps. Toutefois, lorsque viendra le temps de faire la synthèse régionale des processus techno-économiques analysés, celle-ci devra aussi se fonder sur des données diachroniques. On peut se demander légitimement si cela peut entraîner des risques de « distorsions », puisque l’on mettra en commun des occupations qui sont potentiellement issues de contextes historiques distincts. Nous estimons cependant que ce risque demeure assez faible ici. En effet, nous avons vu en introduction de cette thèse que les occupations du Témiscouata durant le Sylvicole montrent une grande continuité culturelle, tant dans les schèmes d’établissement que dans la nature des assemblages archéologiques. Il est donc permis de croire que les modes de

vie et les groupes humains fréquentant la région étaient relativement stables entre le Sylvicole moyen tardif et le début de la période de Contact (Burke 2009 ; Burke et Chalifoux 1998 ; Chalifoux, et al. 1998). Qui plus est, si des distinctions sont présentes d’une période à une autre, l’analyse diachronique permettra de les détecter, ce qui permettra ensuite de nuancer le volet sur la synthèse régionale.

Mentionnons enfin le cas des deux carrières de chert Touladi (CkEe-26 et CkEe-28) et expliquons brièvement pourquoi elles n’ont pas été retenues dans notre échantillon de sites. Tout d’abord, très peu de recherches de terrain ont été faites sur ces vastes sites et les interventions réalisées à ce jour ont surtout consisté en des inspections visuelles, des collectes de surface et des nettoyages de surface exposant des aires de taille et d’extraction (non fouillées). Un seul sondage positif a été réalisé sur CkEe-26 et n’a d’ailleurs pas été achevé étant donné la trop grande quantité de matériel lithique qu’il contenait (dont une majorité de fragments naturels)28 (Burke 1993c :13-20; 2008 :13; Chalifoux, et al. 1994 :61-65; Chalifoux, et al. 1998 :117-118; Chapdelaine 1991a ; 1991b :27-29; Eid 2014b :23-28; 2015a ; Morin 1988 ; Pintal 2012d :8-16). Cela fait en sorte que les assemblages disponibles sont assez limités et ne sont possiblement pas très représentatifs de la complexité des activités réalisées sur place. Enfin, on ne possède pas de datations relativement aux objets mis au jour, alors que cette thèse concerne des périodes précises (Sylvicole moyen tardif, Sylvicole supérieur et période de Contact). Ainsi, pour ces diverses raisons, même si ces deux sites sont très importants pour l’étude des technologies lithiques, nous n’avons pas analysé les collections d’objets associées actuellement à ces carrières.