• Aucun résultat trouvé

Tel que mentionné précédemment, l’approche technologie a fait l’objet de beaucoup moins de critiques et de débats dans la littérature scientifique pour diverses raisons. Premièrement, il s’agit d’une approche qui fait l’objet d’un certain consensus parmi ses tenants, limitant ainsi les débats et les écarts dans son application. Bien sûr on y retrouve des points de vue différents, mais ces derniers tiennent une place nettement moins importante que dans l’approche anglo-saxonne. Ensuite, comme il s’agit d’une approche foncièrement empirique et inductive, les théories et les modèles occupent un rôle mineur (Audouze 1999 ; Coudart 1998 ; Scarre 1999 :155; Sellet 1993 :107; Soressi et Geneste 2011 :336; Tostevin 2011 :353-354). Ce sont ces derniers qui sont souvent les plus susceptibles d’être débattus, puisqu’ils consistent en des hypothèses et propositions pouvant s’avérer inexactes une fois soumises aux tests. Enfin, la langue française qui domine encore la littérature scientifique de cette approche érige une certaine barrière limitant les incursions des non-francophones dans cet univers. Les critiques de ces derniers ont donc tendance à cibler certains travaux et plus souvent ceux rédigés ou traduits en langue anglaise (Shott 2003 :103). Dans les paragraphes suivants, nous présentons un résumé des principaux reproches et limites associés à l’approche technologique et plus particulière à l’analyse technologique.

Un des problèmes fréquemment soulevés renvoie à la tendance à confiner les chaînes opératoires lithiques à une dimension événementielle à petite échelle. De par sa nature inductive, la dimension sociale, bien que constituant l’objectif ultime de cette approche, est parfois assez difficile à atteindre (Pelegrin 1991b ; Soressi et Geneste 2011 :340). En partant du particulier, la route est parfois longue avant d’atteindre une perspective plus globale permettant de révéler les grandes tendances affranchies des particularismes. Le peu de place accordée aux modèles et théories organisationnels est possiblement aussi un facteur limitatif dans l’interprétation des données technologiques (Tostevin 2011). De nombreuses recherches ont donc laissé de côté cet aspect jugé encore inatteignable pour se concentrer en priorité sur une reconstitution des techniques et des méthodes de taille afin de définir les faciès technologiques des différents contextes et périodes et de la préhistoire.

Since most of the first efforts of the pioneers of the technological approach focused on the definition of potential technical traditions (identified through the techniques and methods used in particular assemblages), the technological approach became known for this focus rather than for its broader aspirations, which originally included the investigation of the cognitive and social contexts of prehistoric life. (Soressi et Geneste 2011 :340)

C’est pour dépasser ce problème inhérent à toutes approches inductives que, dans le cadre de cette thèse, nous avons cherché à atteindre un point de vue élargi, en abordant les technologies lithiques du Témiscouata sous l’angle économique et selon des perspectives régionale et diachronique. De cette manière, nous espérons pouvoir dresser un certain portrait des grandes trajectoires organisationnelles qui ont prévalu au Témiscouata durant le dernier millénaire de la préhistoire et les premiers temps de la période historique.

D’autres auteurs ont aussi formulé plusieurs critiques par rapport au concept de chaîne opératoire22 en le comparant à son pendant de l’approche anglo-saxonne que l’on qualifie habituellement sous le vocable de « reduction sequence » (Bleed 2001 ; Shott 2003 ; Tostevin

22

Précisons que plusieurs auteurs anglo-saxons (Bar-Yosef et Van Peer 2009 ; Shott 2003 ; Tostevin 2011) ont tendance à accorder au vocable « chaîne opératoire » un sens plus large qu’en français. En effet, il sert autant à désigner le concept de chaîne opératoire (tel que défini dans ce chapitre) que l’approche technologique dont ce concept est issu. Les propos formulés par ces auteurs alternent ainsi souvent entre les deux sens accordés à ce terme.

2011). Ils se sont penchés sur la comparaison de ces deux outils conceptuels en relatant leurs avantages et inconvénients respectifs. À ce propos, notre position rejoint grosso modo les conclusions de Shott (2003 :103) et de Bleed (2001 :122-123) soulignant que malgré quelques différences, ces deux concepts sont foncièrement semblables et visent des objectifs très similaires23. Même s’il existe des distinctions mineures entre les deux, nous estimons qu’il s’agit d’outils conceptuels flexibles et aptes à s’adapter aux contextes de recherche. À notre avis, la question fondamentale réside plutôt dans la nature et la qualité des analyses mises en œuvre pour reconstituer les maillons de la chaîne opératoire ou le déroulement de la reduction sequence.

Soressi et Genest (2011 :340-341) attribuent également une autre limite à l’analyse technologique, laquelle n’est toutefois pas exclusive à cette méthode. Il s’agit de la difficulté à déterminer si différents processus techniques identifiés sont le fruit d’un même groupe de tailleurs ou plutôt le résultat accumulé de diverses occupations séparées dans le temps. Ils mentionnent que la pratique de remontages est alors un moyen souvent privilégié pour surmonter ce problème et tenter de reconnaître des liens entre différents secteurs d’un site. Dans le cadre de cette thèse, nous avons tenu compte de ce problème et avons cherché à l’atténuer en ne sélectionnant qu’une seule aire par site et en choisissant celle qui semblait représenter une occupation unique (ou du moins un nombre limité d’occupations) afin d’analyser les assemblages les plus homogènes possible (voir le chapitre 2 pour les détails).

Une autre limite attribuée à l’analyse technologique est que certains processus laissent des traces très évidentes à reconnaître alors que d’autres sont beaucoup plus discrets. Les chaînes opératoires ne présentant pas d’éléments diagnostics évidents sont ainsi plus difficiles à étudier et pourront être interprétées à tort comme des phénomènes anecdotiques. Dans d’autres cas, différentes chaînes opératoires ont tendance à engendrer des produits similaires ne permettant pas de les rattacher explicitement à leur trajectoire technologique respective. Ce problème n’est cependant pas exclusif à l’analyse technologique et le recours aux remontages

23

Tostevin (2011 :352) explique cependant que le concept de chaîne opératoire est appliqué à toute une variété de matériaux et d’activités techniques, alors que celui de reduction sequence se limite à la pierre taillée.

et à des assemblages les plus homogènes possible constituent là aussi des moyens pour l’atténuer (Bar-Yosef et Van Peer 2009 :107-108; Soressi et Geneste 2011 :341).

Certains reprochent également aux technologues de ne pas présenter assez explicitement les critères diagnostics de leurs classifications technologiques. Cela rendrait ainsi plus ardue la compréhension de ces éléments, tout en restreignant l’évaluation objective des recherches et la possibilité de les reproduire. Également, le manque de définition de critères technologiques limiterait la justesse des « remontages mentaux » et entraînerait des risques de constructions abstraites n’ayant pas forcément de liens tangibles avec la réalité préhistorique. On attribue aussi à certaines analyses technologiques des a priori relatifs aux intentions et choix des tailleurs qui n’ont pas toujours fait l’objet de démonstrations convaincantes. Également, dans certaines études on reproche aux technologues d’utiliser les chaînes opératoires lithiques comme une nouvelle forme de typologie. Un type d’industrie, comme le débitage Levallois par exemple, est souvent employé comme taxon servant à circonscrire une culture archéologique avec les dangers qu’une telle généralisation peut parfois entraîner. Ces risques sont d’autant plus présents si on ne tient pas assez compte des variances entre les productions regroupées sous une même méthode de taille. (Bar-Yosef et Van Peer 2009 :107-108, 113-114; Shott 2003 :100; Tostevin 2011 :355-360). Enfin, quelques auteurs ont aussi déploré le peu de place accordée aux analyses quantitatives et statistiques dans les analyses technologiques issues de la tradition française (Soressi et Geneste 2011 :339-340; Tostevin 2011 :359-360).