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Identification des acteurs des recherches

1.1. La formation de paradigmes distincts sur les effets des médias

1.2.3. Télévision et politique : un outil d’influence

En France, notamment à partir du moment où elle acquiert une dimension collective64 jusqu’à l’éclatement de l’ORTF en sociétés indépendantes au moins (1974), la télévision a été utilisée par les gouvernements successifs pour transmettre des informations, voire des messages politiques. Les autorités espéraient que le média ait une influence sur les individus plutôt que de la craindre. D’une part, ceci s’est traduit par une ingérence forte dans le fonctionnement et les contenus de la télévision, afin d’avoir un contrôle optimal sur ce qui était diffusé, i.e. ce qui allait influencer les français. L’intervention de l’État a adopté des formes plurielles, d’autant qu’elle s’est manifestée à l’égard de la télévision successivement à des années d’ingérence dans les journaux de presse65 et à la radio : nomination de personnalités proches du gouvernement à des postes clefs (directeur de l’information, directeur de la RTF66 puis

63 Pour une présentation de J. Oulif, voir l’article écrit par son successeur J. Durand (2004).

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En 1953, le succès de la diffusion, en direct, du couronnement de la Reine d’Angleterre confère à la télévision une qualité supplémentaire : « Le média […] permet la participation d’une multitude à un même événement » (Bertho Lavenir, 2000 : 217).

65 À la Libération, l’action de l’État sur le paysage de la presse a été perçue de manière positive, dans la

mesure où elle s’est inscrite dans un projet consistant à rebâtir l’information ; par exemple, il s’agissait de supprimer les journaux qui avaient supporté Vichy, i.e. servi les intérêts des occupants et trahi la France (voir d’Almeida, Delporte, 2003 : 139-145).

66 En 1959, aux débuts de la Ve République, une ordonnance définit juridiquement le monopole de la RTF

de la RDF), pratique de l’autocensure (déférence à l’égard des hommes de la majorité, lecture sans commentaires de communiqués émanant des pouvoirs publics, présentation des programmes aux représentants de l’État avant diffusion), rattachement du journal télévisé au service de l’information (1956), coups de fil réguliers des ministres au directeur de la RTF, rappels à l’ordre voire éviction de journalistes, suppression d’émissions. En 1963, cette série d’actions se traduit par la création du Service de liaisons interministérielles pour l’information (SLII), « chargé de centraliser les exigences des différents ministères en matière d’information à la RTF et de donner chaque matin des consignes formelles aux responsables de la radio et de la télévision, convoqués au ministère de l’Information » (d’Almeida, Delporte, 2003 : 192). Si, au début, cet ensemble d’actions est perçu par l’opinion publique de manière positive – « Dans le contexte de la Libération et du rejet de Vichy, c’est sur l’action de l’État républicain que les hommes de médias comptent pour reconstruire l’appareil médiatique français » (ibid. : 150) –, celle-ci se dégrade à mesure de l’ingérence croissante des gouvernements. Ce, au point d’entraîner un déficit d’intérêt et de légitimité – l’information n’est plus considérée comme objective – pour la télévision, généralisé à l’ensemble de la population à partir de la fin des années 60 (voir le chapitre 3).

D’autre part, les hommes politiques ont véritablement utilisé la télévision à des fins d’influence de l’opinion publique. En plus d’interventions fréquentes du président du Conseil puis du chef de l’État, ceux-ci ont monté des campagnes de communication, dont le média audiovisuel était le support privilégié. Fabrice d’Almeida et Christian Delporte (2003 : 183) expliquent comment, à son retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle devait « disposer d’instruments d’information propres à peser massivement sur l’opinion » afin de susciter l’adhésion et la popularité auprès du plus grand nombre. Non seulement le président de la République a alors multiplié les interventions en direct, mais il a aussi appris, rapportent les auteurs (ibid. : 189), ce qu’Eliseo Veron (1983) a nommé « le regard caméra ». La télévision devient alors « la Voix de la France » (Bertho Lavenir, 2000 : 216-217). De plus, l’efficacité de ces transmissions d’information était mesurée via des sondages commandés à l’Institut français d’opinion

du ministre de l’Information, et son directeur comme ses adjoints sont nommés en conseil des ministres, qui veille à désigner des individus politiquement sûrs » (d’Almeida, Delporte, 2003 : 183)

83 publique67 (Ifop). Autrement dit, l’influence de la télévision était considérée a priori et elle était évaluée a posteriori.

1.3. Prémisses des recherches sur les téléspectateurs

Avant d’être – et tout en étant – des téléspectateurs, les individus sont des auditeurs de radio, des lecteurs de presse et des spectateurs de films cinématographiques68 (voir Jost, 1999 : 9-11). Comment les interrogations sur les téléspectateurs se sont-elles conjuguées avec les recherches sur les usagers de la radio, de la presse, et du cinéma ? Dans les années 50, la réflexion théorique sur la télévision naît sur le mode d’une « spécificité télévisuelle » établie à partir de démarcations, vis-à-vis de la radio puis du cinéma (Lochard, Soulages, 1998 : 17)69. La question de la réception de la télévision, quant à elle, a émergé à partir d’un terrain existant constitué des travaux sur d’autres pratiques spectatorielles, pré-existantes à celles des téléspectateurs, menés d’abord à l’étranger puis en France. Par exemple, nous avons déjà cité le programme de recherche sur les effets sociaux du cinéma (les Payne Fund Studies) ; signalons aussi l’existence du Bureau de recherche sur la radio aux États-Unis, qui lance le Princeton Radio

Project en 1938, dont la responsabilité est confiée à Paul Lazarsfeld (voir supra)70. Par

67 L’Ifop a été crée en 1938 par J. Stoetzel, professeur de psychologie sociale à la Sorbonne, après que

celui-ci ait pris connaissance de l’institut fondé par G. Gallup aux États-Unis. Peu à peu, l’Ifop a développé un panel d’outils permettant de conduire des sondages et études afin d’évaluer les opinions et les attentes des individus (voir le site www.ifop.com). Notons que, pour J.-C. Marcel (2004), J. Stoetzel est un des importateurs importants de la sociologie américaine en France, dans le mesure où les techniques d’enquête qu’il met en place à l’institut sont directement appliquées de la méthode des sondages de l’américain G. Gallup avec laquelle il se familiarise durant un voyage d’étude à Columbia : « Avec l’Ifop c’est à la fois une méthode d’investigation scientifique, mais aussi de nouvelles façons de penser la société que Stoetzel ramène d’Amérique ».

68 Dans de nombreux cas, les premières réceptions de la télévision ont été des expériences collectives.

Dans les années 50, des programmes étaient diffusés dans des salles de cinéma ou des lieux publics ; des quartiers ou villages finançaient l’achat d’un poste autour duquel les habitants se regroupaient (le phénomène du « Télé-club », voir Michel, 1995 : 20) ; parfois, les habitants eux-mêmes organisaient une souscription pour l’acquisition de l’appareil (Source : Une histoire simple du téléspectateur, documentaire audiovisuel en 2 parties (co-production AMIP-France 5-INA, avec la participation du Centre National de la Cinématographie et le soutien de la Procirep), première diffusion les 26 déc. 2003 et 02 janv. 2004).

69 Sur ce thème, G. Lochard et J.-Cl. Soulages (1998) citent les écrits de P. Benoist (1953), Télévision, un

monde qui s’ouvre ; M. Cassirer (1954), La télévision dans le monde (Éd. Unesco) ; H. Bazin (1954), « Pour contribuer à une érotologie de la télévision », Cahiers du Cinéma, 42, pp. 23-76 ; G. Cohen-Séat, P. Fougeyrollas (1961), L’action sur l’homme : cinéma et télévision (Éd. Denoël).

70 En France, il s’agit surtout d’enquêtes statistiques menées par l’Institut national de la statistique et des

études économiques (Insee, organisme né de la fusion du Service national des statistiques avec les services d'études économiques et de documentation du ministère de l'Économie nationale en 1946), puis

la suite, les publics de télévision ont pu focaliser l’attention des enquêteurs professionnels et des chercheurs, au détriment parfois des autres médias71 ; mais, que ce soit au niveau de l’étude quantitative des audiences ou de celle, qualitative, des comportements, les investigations autour de la radio, la presse et du cinéma ont nourri celles sur la télévision, tant au niveau des méthodes que de leurs résultats (et des réflexions que ceux-ci ont suscité).