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académique française

5.2.4. L’interprétation des messages et les psychosociologues

En marge du phénomène décrit supra, et des sociologues et des anthropologues intéressés par la question des pratiques téléspectatorielles (voir infra), les tenants du sous-champ de la psychologie sociale s’attachent alors à traiter la question de l’interprétation des messages médiatiques ; autrement dit, à rattraper le retard français au niveau des études de réception. En effet, dans le chapitre 3, nous affirmions que cette problématique, développée en Angleterre et aux États-Unis, ne l’a pas été dans l’Hexagone173.

Dans le cadre d’un programme de recherche sur les communications langagières engagé au Centre d’analyse des discours (CAD) de l’Université Paris 3, le psychosociologue Claude Chabrol aborde directement la question de l’interprétation des images télévisuelles, ou plutôt des discours témoignant de celle-ci. Le chercheur a pour projet de mesurer empiriquement l’écart entre les perceptions possibles de séquences

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À ce sujet, voir notre entretien avec B. Le Grignou (annexe 8i) où la chercheur fait l’hypothèse que la troisième publication du texte co-écrit avec É. Neveu en 1988 est l’effet d’une carence de textes dans ce chapitre « Les travaux sur la réception ».

173 Dans les années qui suivent, la question de l’influence des médias devient l’apanage d’une approche

télévisuelles identifiées dans une démarche sémio-pragmatique par le linguiste Patrick Charaudeau (qui dirige le Centre) et celles exprimées par des individus. Pour cela, il développe une « procédure quasi-expérimentale » (Chabrol, 1991 : 191), qui se caractérise par l’identification de variables indépendantes et dépendantes. D’une part, il s’agit de constituer des groupes d’étudiants (8x5 dans le cas présenté, soit quarante personnes) à partir du critère sélectionné de « familiarité » au genre « débat littéraire » : à l’aide d’un questionnaire préalablement rempli, le chercheur identifie les sujets via quatre modalités, « chacune définissant un niveau de compétence psycho-socio-langagière (P.S.L.) supposé » (id : 195) et correspondant à des niveaux de familiarité (1) à l’émission Apostrophes et (2) au genre littéraire. Le degré de « familiarité » est aussi construit par le dispositif d’enquête, via la diffusion préliminaire soit d’une séquence de l’émission, soit d’« une émission de débats relevant d’un sous-genre discursif appartenant à la zone de concurrence discursive ». Ainsi dresse-t-il la nomenclature suivante : « familiers », « familiarisation directe », « familiarisation indirecte » et « non familiers ».

D’autre part, la définition de variables sémiolinguistiques et situationnelles permet à l’auteur de distinguer quatre stratégies discursives de l’animateur à partir desquelles il propose deux types de sous-séquences (duelles : « interview » et plurielles : « débat ») ; puis il mobilise la notion de « contrat de communication » développée par Patrick Charaudeau (voir partie 3.1.2) afin de proposer quatre séquences : « Une sous-séquence duelle conforme au contrat communicationnel (sous-séquence typique où l’animateur tient des rôles de questionnant et l’invité des rôles de répondant) et une séquence duelle non conforme (où l’animateur régule, évalue et où c’est l’invité qui propose et gère l’échange). De la même manière, sur les deux sous-séquences plurielles choisies, l’une d’elles s’accorde au contrat communicationnel (où l’animateur joue un rôle de régulant les échanges, les invités prenant successivement des rôles de sujet déclarant, donnant son point de vue, se défendant, évaluant), et l’autre pas »174 (id. : 197). Deux de ces extraits sont diffusés à chaque groupe d’individus, ceux-ci devant évaluer en fin de séance les stratégies de l’animateur à l’aide d’une grille à échelle. La pluralité des variables permet au chercheur de croiser les données obtenues, par exemple : évaluation de la personnalité de Bernard Pivot (animateur) en fonction du degré de familiarité à

174 Les items relevant du contrat de communication sont définis via un questionnaire distribué auprès de

193 l’émission et au genre175 ; jugements sur sa stratégie discursive mis en rapport avec les traits « personnologiques » qui lui sont attribués.

Entre 1982 et 1992, c’est une équipe « Communication-Réception » de l’Institut de recherche en pédagogie de l’économie et en audiovisuel pour la communication dans les sciences sociales (IRPEACS) du CNRS d’Écully qui a travaillé sur les activités complexes d’interprétation, de production de sens et de plaisir des usagers de la télévision. Les chercheurs rattachés à ce groupe préféraient au terme de « réception » celui d’« expérience médiatique » (Belisle, Bianchi, Jourdan, Kouloumdjian, 1992 : 59). Plusieurs d’entre eux, dont Claire Belisle et Marie-France Kouloumdjian sont des psychosociologues. Une partie des travaux est l’objet de l’ouvrage écrit par l’ancien journaliste et chercheur en sciences de la communication Jean Bianchi (Bianchi, Bourgeois, 1992), intitulé Les médias côté public. Le jeu de la réception.

5.3. Développement des recherches en communication

Les années 80 sont aussi les années d’une effervescence autour des recherches sur la communication ; à ce moment, Claude Baltz (1985) évoque « la nébuleuse inforcom ». Une majorité de chercheurs fait le constat de la nécessite d’« ancrer la thématique de la recherche en communication dans l’institution scientifique » (Marhuenda, 1983 : 447), tandis que les premiers représentants des sciences de l’information et de la communication (Sic) poursuivent l’institutionnalisation de la discipline. Ceci entraîne, d’une part, la création de lieux de production et de diffusion des travaux sur la communication. D’autre part, on assiste à la mise en place de programmes de recherche « Communication » dans le cadre du CNRS, au sein desquels la thématique de la réception prend une place importante.

175 Pour exemple, à ce sujet Cl. Chabrol (1991 : 206) conclut : « Les sujets, quel que soit leur degré de

familiarité évaluent de façon homogène chaque trait. L’attitude générale de la population étudiante vis-à-vis de la personnalité de l’animateur est valorisante et uniformisée. On a sans doute ici un effet lié à l’attraction et à la crédibilité de la SOURCE, vedette médiatique "intellectuelle" ».