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académique française

5.3.1. Création de revues de communication

- Une inscription explicite dans les recherches sur la communication

Corrélativement à un engouement général pour la problématique de la communication, les années 80 se caractérisent par la création de plusieurs revues scientifiques centrées sur l’étude des médias et/ou des communications de masse : Réseaux, en 1983,

Médiaspouvoirs et Les dossiers de l’audiovisuel deux ans plus tard, Quaderni, en 1987

et Hermès en 1988. Elles sont fondées par et pour les chercheurs en communication. Trois d’entre elles émanent directement de foyers scientifiques dont l’axe principal se constitue de ces thématiques : en 1983, Réseaux est créée sous l’égide du Centre national d’étude des télécommunications ; elle est fondée et dirigée par Patrice Flichy, directeur du laboratoire de sociologie du Cnet, et Paul Beaud. Ce dernier, professeur de sociologie à l’université de Lausanne, vient alors de publier un ouvrage dans lequel il prône le renouvellement des études sur les médias : « L’étude des médias doit […] se replacer dans la perspective des transformations de la structure sociale, des rapports sociaux, des rapports de classe » (Beaud, 1982 : 332). Le périodique a pour objectif de diffuser de savoirs dans le domaine de la communication et souhaite multiplier les genres de discours scientifiques : « Réseaux se propose de rendre compte du renouveau de la recherche sur la communication. […] Alors que les sciences de la communication sont éclatées, Réseaux ne veut pas les unifier mais les faire communiquer, en mettant des textes en circulation, en suscitant des débats dans son séminaire. Réseaux s’intéresse aussi bien aux approches et aux apports théoriques nouveaux qu’aux résultats des recherches » (Présentation de la revue en quatrième de couverture des livraisons). Bien qu’éditée par le Cnet, la revue n’a pas eu pour vocation d’en être l’outil, elle devait être un espace d’écriture pour les chercheurs académiques, comme le précise Patrice Flichy (entretien, 20 sept. 2006) : « Il faut bien comprendre que Réseaux n’était pas la revue du Cnet au sens "lieu de publication du Cnet". Réseaux s’est positionnée très vite comme la revue de référence de la communication ».

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Les dossiers de l’audiovisuel est fondée à l’initiative de l’Ina : la création s’inscrit dans

les activités de recherche confiées à l’Institut en 1974176 ; la revue a pour ambition d’être un « outil de travail et de référence pour tous ceux qui s’intéressent aux médias et aux nouvelles technologies » et de « faire un point régulier sur les mutations de l’audiovisuel » (www.ina.fr/produits/publications/)177. En 1988, la fondation du Laboratoire communication et politique par Dominique Wolton178 (voir infra) s’accompagne de celle de la revue Hermès, véritable outil de diffusion des problématiques développées dans le cadre de ce dernier. D’emblée, le périodique s’inscrit explicitement dans la tendance de l’étude de la communication : « Un nouveau paradigme mobilise aujourd’hui la communauté des chercheurs : celui de la communication. Au-delà des effets de mode, il mérite d’être pris au sérieux. Tel est le pari scientifique de la revue » (D. Wolton, éditorial, 1993).

Médiaspouvoirs et Quaderni se positionnent elles aussi dans le domaine de la

communication ; la première, lancée en 1985, s’adresse alors « à tous ceux dont l’activité ou la curiosité touche à la communication » et est présentée par son éditeur, le groupe Bayard Presse comme une « revue de réflexion sur la communication » (www.difpop.com)179. De même, la seconde fait le pari « d’explorer un champ encore en jachère : la communication et ses rapports essentiels avec les technologies et le pouvoir » (www.quaderni.univ-paris1.fr) ; elle est dirigée depuis 1987 par Lucien Sfez, chercheur en science politique180.

- Des revues pérennes, mais une reconnaissance contrastée

Ces revues connaissent une pérennité depuis, qui a dépassé la décennie d’engouement pour les recherches en communication pourrait-on dire, à l’exception de

176 Depuis cette date, le directeur de publication de la revue est le directeur de l’Ina. En 2002, celle-ci est

rebaptisée Les nouveaux dossiers de l’audiovisuel.

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L’étude des médias occupe une place conséquente dans les recherches en communication telles qu’elles sont présentées durant les années 80 ; c’est pourquoi nous insérons la revue Les dossiers de l’audiovisuel dans cette perspective, bien que son ciblage sur l’étude des médias lui confère un statut particulier.

178 Nous verrons infra que D. Wolton a joué un rôle important dans le développement des recherches en

communication en France.

179 Pour une présentation de l’histoire de la revue, voir Pélissier, 2005 : 159-162.

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Médiaspouvoirs dont la publication a été arrêtée en 1998. En 2006, deux d’entre elles

sont reconnues par le Conseil national des universités (CNU) comme des revues scientifiques insérées dans le champ des sciences de l’information et de la communication : Hermès et Réseaux181. Ces dernières sont aussi reconnues par le CNRS : elles apparaissent comme des outils de référence. Toutes figurent au sommaire d’un « annuaire des revues en Infocom » réalisé par Daniel Bougnoux et Paul Rasse (2002) à l’occasion d’un colloque, parrainé par la SFSIC, sur les « Place et enjeux des revues pour la recherche en Infocom » (manifestation tenue à l’université de Nice Sophia-Antipolis en 2002). Aussi, Les dossiers de l’audiovisuel et Quaderni ne bénéficient pas de la reconnaissance institutionnelle mais de celle des chercheurs. Ce, d’autant plus lorsque Daniel Bougnoux et Paul Rasse (ibid. : 8) rapportent les résultats d’une enquête menée en 2001 par Philippe Jeannin sur la notoriété des revues en sciences de l’information et de la communication : ceux-ci indiquent que, sur une liste de 263 revues recensées en Infocom au plan mondial, « 17 seulement son connues d’au moins un chercheur sur deux ». Hermès, Réseaux et Quaderni figurent parmi celles-ci.

Il est à noter que, parmi les deux revues qui ne sont pas directement produites dans le champ académique, i.e. Les dossiers et Réseaux, la seconde y est unanimement reconnue (CNU, CNRS, chercheurs), tandis que la première l’est moins182 : elle apparaît comme une revue professionnelle. Il semble que la revue ait davantage laissé la place aux chercheurs universitaires dans ses premiers numéros (e.g. la livraison 51 comporte un dossier sur « Les approches du téléspectateurs », composé de 8 articles de praticiens sur un total de 15), mais, est plus proche aujourd’hui du format et du contenu d’un magazine à destination de professionnels, via la présence de publicités, de nombreuses photographies et illustrations, de textes courts (une demie à deux pages par article pour la livraison de 2006183), d’interviews de professionnels, d’articles de journaliste… Cela peut aussi être reliée aux politiques éditoriales des revues. Par exemple, dès ses débuts,

181 Afin d’évaluer dans quelles mesures ces revues ont réussi leur pari d’être des revues de référence pour

les recherches sur la communication, il conviendrait de prendre en compte les critères d’évaluation du CNU (rattachement disciplinaire des membres du comité de rédaction ? des auteurs ? problématiques développées ?).

182 Au-delà d’une distinction entre les revues du champ académiques (produites par et à destination des

acteurs du champ) et celles du domaine professionnel, nous considérons ces revues comme scientifiques, dans la mesure où toutes participent à l’alimentation des connaissances dans le champ académique (elles sont citées par les chercheurs universitaires), ainsi qu’à l’activité de ces derniers (qui y publient). Nous verrons infra comment certaines constituent des relais entre les deux champs.

183 Dans cette huitième livraison (la numérotation a repris lors du changement en Nouveaux dossiers), 1

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Réseaux s’est positionnée comme la revue de référence dans le domaine de la

communication ; ses liens étroits avec le GDR Communication CNRS puis le Centre d’étude des mouvements sociaux (laboratoire CNRS) (voir notre entretien avec Patrice Flichy, annexe 8j) lui ont attribué un pouvoir, une autorité dans le champ académique, qui s’est traduit par une notoriété importante : « Dans le bilan fait il y a deux-trois ans par le CNRS, qui s’est livré à un travail bibliométrique, on s’aperçoit que Réseaux est de très loin la première revue sur la communication » (Patrice Flichy, entretien, 20 sept. 2006). Par souci de clarté, le tableau12 répertorie les caractéristiques de ces cinq revues.

Tableau 12. Cinq revues de communication créées durant les années 80.

Reconnaissance

Revue Direction Institut de

rattachement Éditeur Chercheurs

(2002) CNU (2006) CNRS Réseaux [1983-] P. Flichy Cnet/France

Télécom R&D Cnet O O O

Les dossiers de l’audiovisuel [1985-] Directeur de l’Ina Ina La documentation française O N N Médiaspouvoirs [1985-1998] J.-M. Charon (1990-1993) - Bayard Presse - - - Quaderni [1987-] L. Sfez - Éditions Sapienta O N N Hermès [1988-] D. Wolton Laboratoire communication et politique CNRS éditions O O O

- Premiers dossiers sur les téléspectateurs

Il est important de retenir que trois de ces revues (Les dossiers de l’audiovisuel,

Réseaux et Hermès) sont étroitement liées à l’évolution d’autant de foyers d’activité de

recherche sur les téléspectateurs (Ina, Cnet et laboratoire Communication et politique). De fait, elles figurent parmi les acteurs principaux du réseau qui se met en place au début des années 90, au sein duquel les recherches sur les téléspectateurs se sont développées majoritairement (voir infra). Notamment, leur rôle s’y manifeste par la publication des premiers dossiers sur le thème des téléspectateurs : entre 1988 et 2005184, 12 sont édités (voir le tableau 13 et l’annexe 3)185. Un dossier de revue a une

184 Afin d’être exhaustifs, nous dépassons la période étudiée dans ce chapitre. Mais, 1988-1992 constitue

valeur structurante : il peut réunir des approches, des points de vue différents ou non autour d’une problématique ; il représente un état des lieux polyphonique des recherches. La réception d’une livraison, e.g. le nombre de citations en référence, est un outil d’évaluation de cette caractéristique.

Par ailleurs, la publication de ces dossiers est soutenue par leur recension dans d’autres revues, notamment Quaderni. Cette dernière joue un rôle pour le retour des téléspectateurs, non pas tant par la diffusion d’articles, mais par la mise en visibilité de textes dans une rubrique « Revue critique des revues ». Ce, en particulier à l’initiative de la chercheur en science politique, membre du comité de rédaction de Quaderni, Brigitte Le Grignou (1991, 1992, 1994). Elle commente les livraisons 21 et 22186 de

Médiaspouvoirs ainsi que le dossier « À la recherche du public » publié dans Hermès en

1993 (voir le chapitre 7), dans des termes qui invitent à parcourir ces recueils d’articles et mettent l’accent sur l’intérêt de la « réhabilitation des publics » : « Hermès prend le temps et l’espace pour ouvrir un riche débat sur le public des médias de masse et plus particulièrement la télévision ». Le dossier « L’invention du spectateur » publié dans

Réseaux est également l’objet d’un compte rendu dans Quaderni, écrit par Laurence

Allard et Philippe Chanial (1991). Ces textes augmentent la visibilité et la légitimité des articles – et des chercheurs qui les ont écrits – dont il est rendu compte ; leurs auteurs en prescrivent la lecture, tout au moins, ils les mettent en circulation dans le champ académique187. Ceci contribue également à inscrire Quaderni et Brigitte Le Grignou dans le réseau d’acteurs des recherches sur les téléspectateurs au tournant des années 90.

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Si l’on ajoute les dossiers sur le thème des médias qui comportent une partie importante sur le versant réception (ce que nous faisons en annexe 3), le total passe à 18.

186 En 1992, Médiaspouvoirs publie, à la suite du dossier « Les médias et leurs publics » (Charon, 1991)

un retour sur les théories de la réception sous la forme d’un article de « discussion » écrit à quatre mains (Belisle et al., 1992).

187 La réception des « comptes rendus » est difficilement évaluable dans la mesure où il est rare qu’un

auteur cite ce type de texte en référence. C’est pourquoi nous insistons ici sur leur rôle de mise en visibilité et de légitimation.