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communications de masse

Chapitre 4. Les interventions des praticiens dans le champ académique. académique

4.3.2. Des représentants des échanges

Jacques Durand et Michel Souchon sont les auteurs les plus importants de notre corpus : nous recensons 24 et 26 textes, publiés entre 1978 et 1998 pour le premier, entre 1969 et 2003 pour le second (voir les figures 20 et 21, et les annexes 10a et 10b). À première

ORTF

(1964-1974)

J. Durand J. Cazeneuve M. Souchon

CEO (1974-1985) TF1 (publique) (1974-1985) INA (1974-) Médiamétrie (1985-) TF1 (privée) (1985-) Cnet (1944-2000)

France Telecom R&D

(2000-) P. Flichy O. Appé, J. Mauduit (2003) G. Bertrand (1988) D. Boullier (1990) R. Chaniac (1988) Ch. De Gournay (1988) N. Arnal, A. Busson (1993)

vue, il peut sembler étonnant que les auteurs majoritaires d’un corpus de publications académiques soient des praticiens. L’évolution de leur parcours a accompagné l’histoire des interventions des tenants du champ professionnel – notamment de l’industrie médiatique – dans le champ académique (que nous venons de présenter). De témoins du développement des recherches professionnelles, les deux chercheurs ont été positionnés en tant qu’experts de l’audience par les universitaires.

Figure 20. Évolution des textes publiés par Jacques Durand dans le champ académique (1964-2004). 0 1 2 3 4 5 1964 1969 1974 1979 1984 1989 1994 1999 2004 J. Durand

Figure 21. Évolution des textes publiés par Michel Souchon dans le champ académique (1964-2004).

0 1 2 3 4 5 1964 1969 1974 1979 1984 1989 1994 1999 2004 M. Souchon

- Les témoins des recherches professionnelles sur l’audience

Leurs parcours sont assez similaires : ils ont suivi une formation académique, sont titulaires de doctorats mais ont mené des carrières professionnelles au sein de l’industrie médiatique, se côtoyant (ORTF), se succédant, se complétant ou non (voir les entretiens

179 avec les chercheurs, annexe 8f et 8g)164. En parallèle, ils ont participé à l’activité académique (enseignement, membre de comité de revues, voir supra) et à l’enrichissement des savoirs par la publication d’articles, d’ouvrages, de contribution à des ouvrages collectifs, la participation à des colloques et des enseignements (voir les annexes 10a et 10b). Bien qu’ils n’aient pas occupé de poste de « titulaire » à l’université – les deux hommes ont assuré des enseignements à l’Institut français de Presse et à Science Po. – ils semblent avoir joué un rôle au moins aussi important – sinon plus – dans le domaine académique que professionnel, et ils l’affirment eux-mêmes : « Les étudiants trouvent encore mon nom dans les bibliographies, mais dans les milieux professionnels on disparaît de la circulation » (Michel Souchon, entretien, 2 fév. 2005).

Ceci va souvent de paire avec l’affirmation d’une volonté d’interagir entre les deux univers : « C’est comme ça que je suis passé du côté académique au côté professionnel. J’ai toujours eu la nostalgie naturellement de créer des passerelles » (ibid.) ; « Pour moi, et cela va peut-être vous surprendre, toute la partie finale de mon parcours professionnel ne m’a pas plu. Depuis, 1972, lorsque je suis entré à l’ORTF, j’ai l’impression de n’avoir plus rien fait d’intéressant à partir de ce moment-là. J’ai dirigé un service, le CEO, finalement j’ai eu une tâche surtout administrative à ce moment-là, alors qu’au départ j’étais beaucoup plus motivé pour faire de la recherche. […] J’avais l’impression

164En résumé, les trajectoires professionnelles des deux chercheurs : J. Durand a fait son entrée à Publicis

en 1962 au service « recherche sur les médias ». En parallèle, il suivait les séminaires du Cecmas à l’École pratique des hautes études : « À l’époque je suivais les cours de Roland Barthes. J’avais connu l’enseignement de Roland Barthes assez tôt, à l’École pratique des hautes études. […] [L’EPHE] était extrêmement vaste, encore aujourd’hui on pourrait y suivre des cours sur n’importe quoi. On se trouvait à 4 ou 5 à suivre un enseignement qui était un séminaire, on y participait, c’est une formule que je trouve très bonne. […] À partir de là j’ai suivi le séminaire de Georges Friedmann, dans lequel il y avait Roland Barthes, Edgar Morin, tous ces gens-là ». Entre 1972 et 1974, il dirige le Service des études d’opinion de l’ORTF. Sa carrière se poursuit au CEO (directeur adjoint, 1975-1983, puis directeur, 1983-1985), puis à Médiamétrie (directeur de la recherche et du développement, 1985-1990). Ce faisant, il participe aux activités d’institutions et organismes de recherche, en lien avec la publicité (au Centre d’étude des supports publicitaires de 1962 à 1992, à l’Institut de recherche et d’études publicitaires depuis 1970), il est membre puis chairman du Group of European Audience Researchers [Groupe des chercheurs européens sur l’audience], etc. Devenu docteur en sociologie en 1969, M. Souchon fait son entrée dans les études d’audience industrielles et exerce la profession d’audience researcher au sein de l’ORTF (responsable d’études au service des recherches, 1970-75), puis à l’Ina (directeur du groupe d’étude des systèmes de communication, 1975-85), peut-être par manque d’opportunité professionnelle au sein du champ universitaire. Il est aussi directeur des études à TF1 (1985-1987) puis à Antenne 2 (1987-1989), enfin consultant à la présidence de France Télévisions (1990-1995). Pour autant, il ne rompt pas avec le milieu académique : « Une fois la thèse passée, j’ai eu envie de continuer à suivre les séminaires du Cecmas encore quelques années et j’ai eu envie de continuer à faire des études empiriques, cela me semblait intéressant et important ».

que c’était impératif que quand on était professionnel, on ait en parallèle une activité soit de recherche soit d’enseignement, j’ai tenu pendant des années à avoir cette double activité » (Jacques Durand, entretien, 2 fév. 2005).

Entre les années 60 et les années 90, à eux deux, Jacques Durand et Michel Souchon évoluent parmi les différents lieux de la recherche professionnelle sur les publics des médias : celui de la production quantitative de données sur les comportements téléspectatoriels (ORTF, CEO, Médiamétrie) et celui de leur exploitation (Ina, chaînes de télévision) (voir la figure 22). Ainsi sont-ils des témoins de cette lignée de travaux.

- Deux experts des publics de télévision

Leur position haute dans le champ professionnel165, ajoutée à des compétences reconnues dans le champ académique (rédaction de textes à destination d’un public de chercheurs ou d’étudiants) ont fait de Jacques Durand et Michel Souchon les personnes de référence des chercheurs en quête de définition, d’explication et de réflexion sur le thème de la connaissance des publics de télévision. Jacques Durand (1993) signe une contribution intitulée « Audience – Définition et méthodes de mesure » pour le

Dictionnaire critique de la communication dirigé par Lucien Sfez, dans lequel Michel

Souchon (1993b) écrit sur les « Publics de télévision » ; ce dernier publie également « "Le vieux canon de 75". L’apport des méthodes quantitatives à la connaissance du public de la télévision » en tant que Texte[s] essentiel[s] des sciences de l’information

et de la communication (Bougnoux, 1993).

165 Les fonctions directoriales et les positions occupées par les deux hommes dans différents organismes

Figure 22. Les parcours professionnels de Jacques Durand et Michel Souchon depuis les années 60. CECMAS (1960-1973) Séminaires 1960 2000 Médiamétrie Dir. recherche&dévlpmt. (85-90) INA

Dir. gpe étude des syst. de com.

(75-85) France Télévisions Consultant (90-95) G p e B ay ar d C E S P (6 2 -9 2 ) IR E P (7 0 -) IF P en se ig n em en t (6 7 -8 3 ) IE P J. Durand ORTF

G. Friedmann Dir. thèse (1968)

M. Souchon

Séminaires conseil scientifique

Resp. d’études service recherches (70-75)

Dir. service études d’opinion (72-74) enseignement Publicis Dir. adj. dépt. recherches (61-69) CEO Dir. adj. (75-83) Dir. (83-85)

TF1 Dir. des études (85-87)

Foyer d’activité

Non seulement ces praticiens ont été beaucoup sollicités au sein du champ scientifique : ils affirment avoir rédigé la plupart de leurs textes en réponse à une demande émanant du champ universitaire. Mais, ils ont aussi voulu et su jouer le jeu de la publication académique : « Dès le début de mon activité, en même temps que je faisais mon travail, j’avais le souci de publier des articles » (Jacques Durand, entretien, 2 fév. 2005). Ils ont adopté les pratiques d’écritures académiques : on peut penser que les textes écrits par des praticiens sont identifiables de ceux d’universitaires parce qu’ils ne comportent pas de citation en référence, de modèle théorique, de problématisation ; ils sont davantage sur le mode du récit, parfois sur celui de l’entretien (e.g. Cottet, 2003 ; Mougeotte, 2003). Les publications de Jacques Durand et de Michel Souchon correspondent aux modes d’écritures académiques (introduction, conclusion, argumentation, citations, etc.)166. Par ailleurs, si l’on suit les conceptions de l’activité scientifique telles qu’énoncées par les sociologues des sciences167, les auteurs se sont adaptés aux nécessités de la recherche à chaque publication et ont produit des énoncés en fonction : dans les années 70 et 80, on peut imaginer les lecteurs en quête de chiffres, de résultats d’enquêtes, de données sur les téléspectateurs, tandis qu’à partir des années 90 et avec la multiplication des travaux un besoin de modélisation se présente ; dès lors, les auteurs proposent des définitions, bilans, voire modélisations autour de la notion et la mesure de l’audience168.

Ceci dit, les sollicitations de directeurs de dossiers de revue, d’ouvrages collectifs confèrent un statut de spécialiste à un auteur, dans la mesure où ce dernier n’est pas soumis au schéma de « lecture/expertise/corrections avant accord pour publication »

166

Ce, au point que, face aux nombreuses sollicitations, M. Souchon reprend des problématiques publiées en d’autres lieux ; en note de bas de page d’une contribution à un ouvrage collectif, il précise : « Cet article reprend et développe deux contributions à la revue Réseaux : "Les programmateurs et leurs représentations du public", n° 39, p. 93-108 ; "Le point sur l’audience de la télévision", n° 49, p. 129-134. Ce texte, inédit en français, a été publié en anglais dans l’édition britannique de Réseaux » (Souchon, 1998b : 47).

167 On se réfère ici à une conception anthropologique de l’activité scientifique proposée notamment par D.

Pestre (1996 : 38) qui nous conduit à prendre en compte le contexte de pratique de la science : « Si la pratique des sciences est bien une activité de connaissance, elle se mène dans des espaces toujours spécifiques. Ses praticiens sont insérés dans des systèmes culturels et politiques donnés, ils participent d’univers sociaux multiples – et ce n’est qu’en recomposant la variété de ces espaces qu’on peut appréhender ce qui est capital ».

168

En début de parcours, les praticiens livrent les résultats des études qu’ils ont menées dans le cadre de leurs fonctions professionnelles (en ce sens ils alimentent les connaissances empiriques et factuelles) ; ils occupent ensuite des rôles de témoin (d’un système de mesure de l’audience télévisuelle qui est en train de se perfectionner), qui prend tantôt le caractère expert (d’un outil de mesure, de sa pertinence) ou d’historien (des travaux menés).

183 souvent en vigueur dans les revues scientifiques (Ségur, 2004). L’effet est accentué lorsque les publications sont régulières et adoptent un caractère systématique : à chaque dossier de revue son ou ses articles de Jacques Durand et/ou Michel Souchon (voir le tableau 11). L’ensemble attribue également une forme de reconnaissance académique aux auteurs, qui se traduit notamment par la publication, en 2004 dans la revue Le temps

des médias, d’un entretien entre la chargée de recherches CNRS Isabelle

Veyrat-Masson et Michel Souchon, où ce dernier fait le récit de son parcours.

Tableau 11. Contributions de J. Durand et M. Souchon aux principaux dossiers de revue sur les téléspectateurs.

1988

« Télévision. La mesure de l’audience », Les dossiers de l’audiovisuel, 22

Grandcoing C., Souchon M., Delecour B., Chaniac R., « Sondages et programmes »

1990 Réseaux, 39 Souchon M., « Les programmateurs et leurs représentations du

public »

199s1 « Les médias et leur public »,

Mediaspouvoirs, 21

Durand J., « L’évolution des audiences de la radio et de la télévision

au cours des quarante dernières années » ; Souchon M., « Où va la télévision française ? » ; Souchon M., « Audience cumulée, audience moyenne audience totale »

1993

« Les approches du

téléspectateur », Les dossiers de l’audiovisuel, 51

Durand J., « Mesurer l’audience : le cas de la télévision »

1993 « À la recherche du public »,

Hermès, 11-12

Durand J., « Les jugements des téléspectateurs. L’évaluation des

programmes de télévision » ; Souchon M., « "Le vieux canon de 75". L’apport des méthodes quantitatives à la connaissance du public de la télévision »

1997

Chapitre 6 Les travaux sur la réception, Réseaux HS Sociologie de la communication

Souchon M., « L’audience de la télévision »

1998

« Les publics, généalogie de l’audience télévisuelle », Quaderni, 35

Durand J., « Les études sur l’audience de la radio-télévision en

France » ; Souchon M., « Histoire des indicateurs de l’audience »

2003

« L’audience. Presse, radio, télévision, internet », Hermès, 37

Souchon M., « Pour une utilisation complète de l’audimétrie »

2004

« Psychologie sociale, traitements et effets des médias », Questions de communication, 5

2004 « Public, cher inconnu ! », Le

Temps des Médias, 3

Durand J., « Rencontre avec Jean Oulif (1909-1987) »

« Michel Souchon, du Cecmas à France Télévisions, un itinéraire » (Propos recueillis par I. Veyrat-Masson)

2004 Figures du public, Réseaux,

126

Jacques Durand et Michel Souchon ont eu une activité de « passeurs » – via la diffusion de savoir-faire dans le champ académique, la mise en circulation du savoir académique auprès de praticiens, la présentation de praticiens à des directeurs de revue, d’ouvrages

– au sein d’un réseau d’acteurs professionnels constitué au cours de leurs trajectoires professionnelles. La représentation (figure 23) de celles-ci permet de situer plusieurs des auteurs (praticiens) figurant dans notre corpus (noms en italique sur la figure).

Figure 23. Un réseau de praticiens autour de Jacques Durand et de Michel Souchon.

En résumé, la constitution d’un réseau entre les champs académique et professionnel accompagnée de la circulation d’idées et d’hommes ont entraîné les interventions des praticiens, présentées dans ce chapitre. Les études d’audience, qui en sont l’apanage, constituent une entrée disponible pour le retour de l’objet, sur une scène académique elle aussi alors disponible pour cette problématique.

IREP CESP Médiamétrie F. Mariet H. Chavenon E. Fraisse O. Appé J. Mauduit ORTF M. Souchon J. Cazeneuve M. Demaison INA TF1 France Télévisions J. Aglietta R. Chaniac B. Givadinovitch C. Grandcoing A. Le Diberder J. Durand Foyer d’activité Affinité coopérative Acteur rattaché à

185

Chapitre 5. Le retour des téléspectateurs sur la scène