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2.3 Transcription et traitement des données des entretiens avec 4 femmes

2.3.5 Synthèse des entretiens avec les 4 femmes

Dans cette synthèse, pour marquer les convergences et les divergences, nous prenons en compte, d’abord, l’expérience religieuse des répondantes en Haïti, la violence sociale et la violence intra-ecclésiale, en soulignant les sentiments ressentis quand les répondantes parlent de cette violence intra-ecclésiale, parce que cette situation, à notre avis, choque la sensibilité de

toutes les personnes croyantes. Ensuite, nous mettons en relief les facteurs de la violence contre les femmes dans les Églises, tels qu’identifiés par les femmes répondantes, ainsi que les propositions qu’elles adressent aux hommes et aux membres du clergé, le rôle qu’elles entrevoient pour les Églises dans l’amélioration de la situation des femmes et les relations que ces femmes répondantes espèrent entre les hommes et les femmes dans les communautés chrétiennes. Finalement, nous étayons les réactions et les prises de position des répondantes face à la violence masculine à l’égard des femmes et nous identifions des convergences et des divergences dans les entretiens avec les 4 femmes ayant trait aux limites de ceux-ci.

2.3.5.1 Expérience religieuse des répondantes en Haïti

Deux des 4 femmes interviewées disent avoir fait une expérience religieuse non profitable. Il s’agit de Micheline et d’Agnès et les deux ont donné les motifs de leur bilan. Le premier motif (formulé par Micheline) concerne le fait que toutes les tâches domestiques reposaient sur ses épaules et donc elle était trop fatiguée physiquement pour aller souvent à l’Église ; cela est déjà, selon ses propres termes, « une violence physique ». Le second motif (formulé par Agnès) concerne la domination exercée par la majorité des hommes sur la majorité des femmes dans la communauté. Cette domination est accentuée par la misogynie du prêtre et est teintée par une convoitise sexuelle qui débouche sur une agression sexuelle, épisode où Agnès ne reçoit aucun soutien de sa mère. Les actes d’agressions sont des actes de violence multiple : sexuelle, verbale, physique, psychologique et économique.

2.3.5.2 Violence sociale et violence intra-ecclésiale

Toutes les répondantes ont fait un lien entre la violence sociale et la violence intra- ecclésiale. Pour Micheline et pour Odette, la violence sociale se nourrit de la violence intra- ecclésiale. Selon Anita et Agnès, elles ont le même contenu (sexe, domination et exploitation) et elles se manifestent quotidiennement dans les églises comme dans les foyers. Fait notable, toutes les femmes interviewées affirment que la violence à l’intérieur de l’Église est courante et quotidienne.

2.3.5.3 Le sentiment ressenti du fait de parler aujourd'hui de la violence masculine à l’égard des femmes dans les Églises en Haïti.

Trois répondantes (Micheline, Anita et Agnès) sur 4 déclarent que le fait de parler de la violence masculine à l’égard des femmes dans les églises en Haïti provoque chez elles un sentiment de soulagement. Odette éprouve surtout de la tristesse en parlant de cette violence au cours de l’entretien, car le sujet lui rappelle des souvenirs douloureux.

2.3.5.4 La question de la violence contre les femmes dans les communautés chrétiennes en Haïti

Toutes les répondantes affirment que la violence contre les femmes à l’intérieur de l’Église est courante et quotidienne. Les récits abondent et composent un portrait choquant. Viols (Odette et sa cousine, récit d’Agnès, etc.), chantage afin d’obtenir des faveurs sexuelles (Micheline), agressions sexuelles contre des religieuses, marginalisation des victimes pouvant aller jusqu’à l’exil, pressions pour accepter un avortement (récit d’Odette), etc. Ces actes dénotent des dynamiques de pouvoir et de contrôle. Ces 4 entretiens nous dévoilent aussi d’autres aspects de la violence des hommes envers les femmes : cléricalisme, despotisme, hypocrisie du côté des agresseurs, isolement, humiliation, précarisation, dilemme moral et réduction au silence du côté des victimes. Nous nous posons les deux questions suivantes : comment un prêtre peut-il harceler sexuellement une paroissienne en toute impunité ? Qui lui a donné ce droit ?

2.3.5.5 Rôle des Églises dans la situation des femmes en Haïti

À propos du rôle des Églises pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, les 4 répondantes interviewées insistent sur le rôle des prêtres et des pasteurs. C’est le cas, d’un côté, lorsque Micheline affirme que les Églises ont pour rôle d’exhorter les hommes à ne pas exercer de violence envers les femmes, mais plutôt à lutter contre cette violence. À cet effet, elle évoque une interprétation répandue de la lettre aux Éphésiens souvent évoquée dans la prédication. D’un autre côté, Anita, Odette et Agnès affirment que les Églises ont pour rôle de secourir en priorité les personnes les plus vulnérables (les femmes sont directement concernées ici) et de créer un espace pour que les femmes mènent leur vie dans la dignité et en toute liberté. Elles mentionnent la possibilité pour les femmes d’accéder aux postes de prises de décisions, car cela leur

permettraient d’améliorer leurs conditions de vie tant sur le plan ecclésial que sur le plan social. En évoquant le rôle des Églises dans la situation des femmes, les répondantes interpellent directement les membres du clergé (pasteur, prêtre et évêque). Cela attire notre attention sur la compréhension des femmes interviewées à propos du rôle des Églises et de celui des membres du clergé, car, selon elles, ces deux rôles sont interreliés.

2.3.5.6 Relations entre hommes-femmes dans les communautés chrétiennes

Au sujet des relations hommes-femmes dans les Églises et dans les foyers, toutes les participantes les considèrent comme inéquitables. Elles donnent de nombreux exemples pour appuyer leur critique. Agnès déclare que la majorité des femmes ont pour fonctions principales à l’Église de nettoyer la sacristie et de disposer les lieux pour le service du culte ; alors qu’au foyer, elles ne remplissent que les tâches domestiques, rôle qu’Agnès dit avoir joué durant presque toute sa vie conjugale. Dans cette perspective, nous comprenons que les relations hommes-femmes dans les Églises et dans les foyers sont empreintes de domination masculine qui s’exprime sous diverses formes. Cette domination est souvent empreinte de violences diverses (sexuelle, physique, verbale, psychologique et économique).

2.3.5.7 Réaction et prise de position des répondantes face à la violence masculine Toutes les femmes interviewées ont pris position et ont réagi face à la violence masculine observée et vécue dans leurs églises respectives en Haïti. À ce sujet, le fait qu’elles acceptent de raconter leurs souvenirs est en soi une prise de position. Mais comment ont-elles réagi à la violence au moment où elle survenait ? En premier lieu, Micheline témoigne avoir porté plainte contre son conjoint qui l’avait expulsée de la maison. Même si on ne lui a pas rendu justice, elle a néanmoins surmonté la peur et brisé le silence. Elle a aussi refusé de recevoir une compensation de la part de son conjoint en s’en remettant à Dieu. Pour ce qui est d’Anita, elle a résisté au harcèlement sexuel du prêtre. Se butant à la résistance d’Anita, celui-ci a finalement accepté de lui livrer le document auquel elle avait droit. Odette oriente une jeune fille devenue enceinte du prêtre qui l’a agressée sexuellement. Elle lui dit de ne pas obéir au prêtre qui la presse de se faire avorter : « ‘tu ne sais pas si Dieu t’accordera une autre possibilité, tu dois refuser de le faire’ ». En dernier lieu, malgré la pression de sa mère qui était du côté de

l’agresseur, Agnès a résisté à l’agression sexuelle du prêtre. Toutes les femmes interviewées ont été victimes de la violence masculine et y ont résisté d’une façon ou d’une autre.

2.3.5.8 Limites des entretiens avec les 4 femmes

D’une manière explicite, la dimension culturelle de la violence reste une limite des entretiens avec les répondantes. Il est vrai que l’une d’elles l’a légèrement évoquée dans son récit d’abus de pouvoir de la part du conjoint qui l’a expulsée de la maison après 18 ans de vie commune : « J’ai porté plainte contre lui [conjoint] au tribunal, mais en Haïti, nous avons un problème culturel où le droit du mari prime sur celui de la femme ». Ici, c’est explicite, la dimension culturelle qui serait, selon Micheline, un élément renforçant la domination masculine sur les femmes.

2.3.5.9 Limite des réactions des femmes

Il s’agit ici de spécifier les limites des réactions des femmes à l’époque des faits. Nous notons qu’elles réagissent face à la violence, mais pas assez pour acculer l’agresseur au pied du mur afin de transformer son attitude. En outre, à travers leurs réactions face à la violence, on peut entrevoir chez la majorité des répondantes un certain fatalisme, voire une certaine peur et un certain repli dans le silence. Ainsi, en réponse à son conjoint qui a voulu lui verser une compensation pour l’abus qu’il avait commis, Micheline nous dit : « je lui ai répondu ‘maintenant il est trop tard’, la vie continue malgré tout ». Ce fatalisme découle probablement de l’étendue de la violence au sein de la collectivité haïtienne, mais nous soupçonnons qu’il l’alimente aussi en confortant l’agresseur dans son attitude comportementale.

Un autre exemple à considérer est le cas de la religieuse Odette qui conseille et oriente la jeune fille devenue enceinte du prêtre en lui disant : « ‘non, ce sera ton premier bébé, tu ne sais pas si Dieu t’accordera une autre possibilité, tu dois refuser de faire l’avortement, selon la demande du prêtre’ ». On a l’impression qu’après cette orientation, tout s’arrête là. Une question se pose. Pourquoi après un tel abus sexuel tout devrait-il s’arrêter là ? Pourquoi n’encourage-t- elle pas la jeune fille à dénoncer le prêtre ? À notre avis, dénoncer le prêtre serait un devoir non seulement religieux, mais civique.