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2.4 Synthèse générale avec les 8 entretiens sélectionnés

2.4.2 Le lien entre la violence sociale et la violence intra-ecclésiale

2.4.2.3 Pourquoi : éléments qui nourrissent cette violence :

- L’interprétation de certains passages bibliques tels que Éph 5 : 23 : « Car le mari est le chef de la femme, tout comme le Christ est le chef de l’Église, […] »

« Vous, de même, femmes, soyez soumises à vos maris, afin que, même si quelques-uns refusent de croire à la Parole, ils soient gagnés, sans paroles, par la conduite de leurs femmes, en considérant votre conduite pure, respectueuse […] C’est ainsi qu’autrefois se paraient les saintes femmes qui espéraient en Dieu, étant soumises à leurs maris : telle Sara, qui obéissait à Abraham, l’appelant son seigneur […] »

- 1 Co 11 : 7-9 :

« L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme. Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme ».

- Rm 13 : 1-2 : « […] Car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu ». Selon ce qui est raconté, tous ces textes sont utilisés par les membres du clergé pour légitimer la domination masculine sur les femmes, une domination qui se manifeste souvent sous diverses formes de violence.

- Le cléricalisme : on ne s’oppose pas à un prêtre, on ne critique pas un prêtre, car c’est l’homme de Dieu. Ainsi, un tel cléricalisme conforte des actes de violence dénotant des dynamismes de pouvoir lié au despotisme, à l’autoritarisme, à l’hypocrisie et à la complicité.

- Le silence de l’entourage des victimes. Un tel silence s’explique, d’une part, par le respect pour l’homme de Dieu et, d’autre part, par la peur des conséquences pratiques, puisque les gens, en majorité, ont peur de perdre leurs privilèges ; ils veulent assurer leurs besoins économiques110 de base et pour cette raison, ils gardent souvent le silence face à la violence que

les victimes subissent.

- La complicité institutionnelle chez les membres du clergé, particulièrement chez les supérieurs ou les évêques, puisque ces derniers auraient suffisamment de pouvoir et d’autorité pour faire justice aux victimes, mais pour des raisons que nous avons déjà soulignées précédemment cela n’est pas le cas.

- La vulnérabilité économique et la croyance religieuse des femmes victimes de violence, leur impuissance et, de par leur position de subalterne par rapport aux hommes, l’impunité des agresseurs et la violence subie dans l’enfance.

Conclusion

Après avoir analysé les récits de vie des huit personnes sélectionnées (4 hommes et 4 femmes) parmi les vingt et une entrevues semi-dirigées effectuées sur le sujet de la violence masculine à l’égard des femmes dans les Églises en Haïti, nous avons une meilleure compréhension de cette violence.

Parmi les éléments qui facilitent cette compréhension, nous mentionnons :

- Un manque de volonté chez beaucoup d’hommes cléricaux et laïcs pour favoriser l’intégration des femmes dans des fonctions décisionnelles, ce qui pourrait contribuer à transformer la théologie patriarcale en un discours à caractère égalitaire et libérateur pour les hommes et pour les femmes, et, en même temps, délégitimer la domination masculine sur les femmes, ce qui constitue un problème sérieux à l’intérieur des Églises, selon les dires des personnes interviewées.

- Plusieurs hommes, en particulier les cléricaux, n’ont presque aucune intention d’améliorer la situation des femmes victimes de violence. Au contraire, ils profitent de leur statut religieux pour exercer toutes formes de violence sur celles-ci. Or, d’après ce qui est raconté, ils légitiment la domination masculine sur les femmes à partir de leur prédication basée sur certains énoncés pauliniens. Par conséquent, ils pourraient aussi contribuer à déconstruire ces prédications afin de créer un espace permettant aux femmes de prendre leur destin en main. En effet, selon certaines répondantes, les hommes cléricaux devraient prêcher par l’exemple.

- La plupart des hommes interviewés évitent de parler d’eux-mêmes au sujet de la violence qu’ils ont subie ou exercée en Haïti. Ils préfèrent émettre des opinions et faire des commentaires à propos des autres acteurs ou actrices qui sont impliqué.e.s dans des épisodes

impliquant cette violence. C’est un point sur lequel il nous faudra revenir.

- On remarque un manque de courage chez beaucoup de femmes pour dénoncer les agresseurs jusqu’au bout afin que, selon la loi en vigueur, ces derniers soient sanctionnés pour

les fautes commises. Des répondantes présentent certains points qui peuvent limiter les agresseurs à commettre des actes violents, à savoir : 1) dénoncer les agresseurs, 2) construire une chaîne de solidarité pour les confronter afin de déboucher sur une égalité de droit, 3) s’entraider, non seulement pour résister contre toutes formes de violence, mais aussi pour revendiquer le droit d’intégration des femmes dans des fonctions décisionnelles qui concerne leur propre vie, dans le présent comme dans le futur, 4) mener un combat pour délégitimer la domination masculine sur les femmes dans les Églises comme dans les foyers.

Tous ces éléments nous outillent pour une meilleure compréhension de la violence masculine à l’égard des femmes dans les Églises en Haïti. À ce stade, il est important de penser à problématiser le phénomène de la violence en prenant appui sur certaines études effectuées, notamment, celle de Jean-Guy Nadeau sur la question de la problématisation, afin d’orienter la suite de la recherche.

Chapitre 3

Problématisation de la violence masculine à l’égard des femmes en Haïti

Introduction

Ce chapitre porte sur la problématisation de la situation globale de la violence masculine à l’égard des femmes dans les Églises en Haïti. La problématisation constitue l’une des composantes de la méthode praxéologique111. Comme le propose Nadeau, elle est considérée

comme un premier niveau d’analyse effectuée à partir de cinq fonctions d’élaboration. Cette analyse débouche sur une étude des causes, des motivations et des facteurs clés de cette violence. À partir de là, nous montrerons les facteurs retenus qui reviendront dans l’interprétation, le deuxième niveau d’analyse.

Ce chapitre a ainsi pour but d’analyser, à partir des cinq fonctions d’élaboration, la violence masculine à l’égard des femmes dans les Églises en Haïti ; de traiter des causes et des motivations de la violence masculine à l’égard des femmes ; et d’identifier les facteurs retenus de la violence masculine.