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2.4 Synthèse générale avec les 8 entretiens sélectionnés

2.4.1 Occurrences des épisodes de violence

2.4.1.5 Comment : points saillants des entretiens sélectionnés

Dans les 8 entretiens sélectionnés109 (4 hommes et 4 femmes), nous retenons 3 points

saillants qui pourraient nous aider à approfondir notre compréhension de la violence masculine à l’égard des femmes afin de mieux contribuer au changement social et religieux dans les Églises en Haïti.

2.4.1.5.1. Différents déterminants de la violence masculine envers les femmes, tels que mentionnés par les personnes interviewées retenues

109 Nous rappelons que nous avons effectué 21 entretiens, soit 12 femmes et 9 hommes. En raison des

répétitions d’un entretien à un autre, et qu’en raison des réponses laconiques à propos du sujet, nous avons décidé de sélectionner 8 d’entre eux qui sont les plus substantiels et les plus pertinents.

2.4.1.5.1.1 L’interprétation biblique :

- L’interprétation de beaucoup de prêtres et de pasteurs de certains énoncés pauliniens légitimant la domination masculine sur les femmes qui apparaît tantôt subtile, tantôt flagrante. Une telle interprétation par beaucoup de prêtres et de pasteurs devient souvent une incitation qui pousse les hommes de culture chrétienne à contrôler les femmes et à les considérer comme leurs subalternes.

2.4.1.5.1.2 Le statut du clergé :

- Une croyance religieuse qui incite les fidèles à obéir aveuglément aux membres du clergé, sous prétexte que ces derniers sont des représentants de Dieu. En effet, les entretiens contiennent une abondance de récits mettant en scène des communautés chrétiennes incapables de réagir aux abus de leurs pasteurs et des membres du clergé qui profitent de cette docilité pour se permettre des abus sexuels. Lorsque ces abus débouchent sur des grossesses, les femmes victimes paient un prix supplémentaire (exil par exemple) afin d’épargner les privilèges et la réputation du prêtre ou du pasteur fautif ainsi que la réputation de l’institution. Cependant, à travers cette abondance d’histoires sordides, quelques récits témoignent de réactions de résistances : dénonciation publique, intervention d’un autre membre du clergé ou d’une religieuse.

2.4.1.5.1.3 Les deux types de silence :

- Le silence à l’époque des faits rapportés, c’est-à-dire le silence quand on assistait autrefois à la violence masculine en Haïti ; et le silence (le laconisme) quand on s’exprime lors de l’entrevue, tant du côté des hommes que des femmes.

Le silence à l’époque des faits rapportés :

- Du côté des hommes, par exemple : le silence de l’évêque face à la violence d’un prêtre envers une religieuse ; le silence de Martial qui n’a rien dit quand la jeune fille avec qui il comptait se marier est tombée enceinte d’un pasteur ; le jeune homme qui s’est laissé imposer un mariage avec une fille qui est enceinte du pasteur.

- Du côté des femmes, les faits rapportés sont nombreux : les femmes missionnaires qui se sont résignées à l’exil collectif, en gardant le silence, par le pasteur supérieur de la

communauté, et cela à cause d’une agression qu’elles avaient subie par l’un des pasteurs de l’institution ; la religieuse qui s’est laissée expulser par l’évêque après avoir été harcelée par un prêtre de l’Église ; la mère qui a réprimandé sa fille parce qu’elle a dénoncé le prêtre ; les religieuses qui se sont laissées violenter sexuellement par les prêtres comme si cela était un fait normal, qui soi-disant, était lié à leur croyance religieuse ; la conjointe qui s’est laissée violenter verbalement par son mari « je parle, ferme ta gueule, j'ai fini de parler qu'est-ce que tu as à dire, tu n'as pas le droit » ; la femme qui s’est laissée torturer à mort par son conjoint (voir l’entretien avec Anita).

Le silence pendant l’entrevue, plusieurs années plus tard : le laconisme

- Du côté des hommes, par exemple : Romain, Martial et Patrick qui ont répondu à certaines questions avec laconisme, qui ont fait des arrêts et qui ont hésité à pénétrer dans leur monde intérieur, dans leur subjectivité pour nous raconter ce qu’ils ont vécu et observé à propos de cette violence ;

- du côté des femmes : Micheline qui a fait un arrêt et qui a marqué un moment de silence au début de son récit sur l’agression sexuelle du pasteur de son Église. Ce moment de silence semble impliquer une certaine crainte liée à sa croyance religieuse.

Dans l’ensemble, le silence au moment où la violence survient est beaucoup plus frappant chez les hommes que chez les femmes. Comme on le constate durant les faits rapportés à propos de cette violence, souvent, les hommes se trouvaient dans des situations où ils gardaient le silence, soit à cause de leur sentiment d’impuissance ou par peur, particulièrement pour un motif de préserver certains petits avantages économiques. Pour les femmes interviewées, c’est souvent l’inverse.

De plus, même pendant l’entretien, plusieurs répondants gardaient le silence et évitaient de parler de la violence qu’ils avaient observée et expérimentée, cherchant plutôt à émettre des opinions à propos de cette violence plutôt que d’aborder les faits. Quant aux femmes, la majorité d’entre elles sont beaucoup plus ouvertes pour raconter la violence qu’elles ont subie et vécue. En somme, d’un côté, les hommes ont tendance à garder davantage le silence face à cette violence et, majoritairement, les femmes en parlent plus. De l’autre côté, certes, il y a des

femmes qui font des arrêts en gardant le silence et qui hésitent pendant l’entretien, mais un tel comportement est plus fréquent chez les hommes.

2.4.1.5.1.4 Dans la continuité des déterminants, on peut noter aussi :

- L’impunité des agresseurs qui est alimentée par le silence et par la complicité des personnes mentionnées plus haut. Une telle impunité est un fait quotidien qui consolide la violence masculine à l’intérieur comme à l’extérieur des Églises en Haïti. Elle constitue l’un des facteurs et l’une des sources de pérennité de cette violence. On se pose la question : comment les agresseurs peuvent-ils violenter les femmes de diverses manières, en toute impunité, dans les Églises comme dans les familles ? Par exemple, le supérieur hiérarchique de l’église à laquelle Micheline appartenait qui avait expulsé le groupe de femmes missionnaires, le conjoint de Micheline et celui de sa sœur. De même, le pasteur qui met une femme dans une situation d’exil, dans la honte et qui détruit en même temps les projets de Martial en lui infligeant une blessure intérieure permanente.

- Le problème culturel que Micheline a soulevé en soulignant qu’en Haïti : « le droit du mari prime sur celui de la femme ». Voilà un déterminant potentiel de cette violence dont nous devons tenir compte dans cette recherche qualitative, même si la répondante l’a seulement évoqué.

- La violence subie dans l’enfance. Par exemple, Jérôme qui avait subi la violence physique d’un prêtre tout au début de sa jeunesse après qu’il se soit désisté de participer à la chorale de sa paroisse. De même, Agnès qui à l’âge de douze ans a été violentée par un prêtre verbalement, physiquement et psychologiquement, puis deux ans plus tard, harcelée sexuellement par ce même prêtre.

- Plusieurs conséquences des violences ressortent telles que le traumatisme dont Micheline a souffert de façon chronique après avoir été expulsée de la maison par son conjoint; la honte et la peur de plusieurs victimes, en particulier les deux jeunes filles qui ont été violentées sexuellement, l’une par un pasteur et l’autre par un prêtre, les deux étant obligées de quitter le pays pour aller vivre ailleurs.