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CHAPITRE I. LA DISTRIBUTION PUBLIQUE D’ELECTRICITE EST UN ENJEU DE POUVOIR LOCAL

2) Les syndicats d’électricité : interfaces entre les élus et EDF ?

Les collectivités locales, historiquement réunies en syndicats primaires, se sont progressivement rassemblées à la maille départementale en syndicats départementaux.

Ce regroupement a été incité par le mode de calcul des redevances des nouveaux cahiers des charges de concession. Les syndicats sont des collectivités territoriales au

1 MARTIN, Yves, La Maîtrise de l’Energie, rapport de l’instance d’évaluation du Commissariat Général au Plan, La Documentation française, janvier 1998, 470 p.

2 REVOL, Henri, La politique énergétique de la France : passion ou raison ? Rapport de la commission d’enquête chargée de recueillir des éléments relatifs aux conditions d’élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués. Président : Jacques VALADE, rapporteur : Henri REVOL / Les rapports du Sénat n°439 – 1997-1998.

3 Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, secrétariat d’Etat à l’industrie, conseil général des Mines, La sécurisation du système électrique français, rapport de mission, Gérard Piketty, Claude Trink, Renaud Abord de Chatillon, mai 2000. 82 pages http://www.cgm.org/rapports/edf/reseau.PDF .

4 Dans le chapitre consacré au pouvoir d’influence de la FNCCR page 78.

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sens de l’article L. 5711-1 du Code Général des Collectivités Territoriales : syndicats mixtes, établissements publics de coopération intercommunale. Présidés par des élus, dotés d’un bureau et d’un Président désignés en Assemblée générale, ils sont soumis au contrôle de légalité des préfectures et aux contrôle des chambres régionales des comptes.

(a) Une géographie contrastée

La géographie nationale des syndicats, malgré une décennie de montée en puissance et en compétences, reste assez contrastée. Tous les syndicats n’ont pas les mêmes compétences. Pour les plus modestes, ceux qui ont été créés à l’occasion de la signature des nouveaux cahiers des charges, seul le pouvoir concédant électricité et/ou gaz rassemble les communes dans une structure de petite taille, c’est-à-dire moins de cinq salariés.

La compétence de maîtrise d’ouvrage des travaux de renforcement et d’enfouissement des réseaux apparaît comme le stade de maturité des syndicats. Mais certains n’ont pas encore acquis cette compétence que les syndicats primaires conservent parfois jalousement. Le syndicat départemental de l’Indre (SDEI) a, par exemple, été chargé de négocier une concession départementale avec EDF au nom des sept syndicats primaires qui sont restées autorités concédantes1.

C’est également le cas du département de l’Isère où le SE38 n’avait toujours pas obtenu cette compétence en janvier 2004.

1 Exemple relevé dans le rapport annuel de la Cour des Comptes 2001. Op. cit.

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Syndicat Président Directeur Chiffres-clés (compétence électricité) et

Etienne Andreux 3 millions d’habitants et 81 communes sur le territoire de la concession. 22 salariés en 2002.

EDF avait versé 12.8 M d’€ de fonds de partenariat.

Chiffres 2003: 22.946.608 d’€ de dépenses de fonctionnement et 758.370 d’€ d’investissement.

Daniel Le Razavet Le Sigeif est le plus grand syndicat intercommunal de France mais avec 50 communes concédantes en électricité (contre 168 en gaz). Population de la concession 1,15M d’habitants. Effectifs 16 personnes en 2002. Budget total : 4.6 M d’€. Son bureau compte 5 parlementaires.

Créé en 1937, 542 communes adhérentes

SIEL (Loire)

Bernard Fournier, sénateur UMP.

Daniel Belon Budget primitif 2002 : 53 millions d’€. Le SIEL est un des syndicats les plus en avance sur les actions de MDE et de production décentralisée. Il emploie 41 personnes dont 3 ingénieurs.

SDED (Calvados)

Marcel Restout, maire

Jean-Louis Leclerc 32 millions d'€ de budget dont 80% en travaux, 706 communes adhérentes, 45 agents. Philippe Duron, Président socialiste de la région Basse-Normandie est membre du bureau du syndicat.

Jean-Pierre Carre Le syndicat a été créé en 1923 par le Conseil général des Deux-Sèvres. Le syndicat a créé ensuite la régie du SIEDS en 1927.

Tableau 4 : Caractéristiques de six principaux syndicats d’énergie

1 Patrick Braouzec a cédé son siège de maire de Saint-Denis et a pris la présidence de la communauté d’agglomération Plaine Commune en janvier 2005.

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Carte 6 : Carte des syndicats départementaux d’électricité en décembre 2002.

Source : données EDF, réalisation G. Bouvier.

La carte des syndicats intercommunaux d’électricité met en lumière les efforts de regroupement syndical à la maille départementale. Si toutes les communes d’un même département ne sont pas adhérentes du syndicat - comme on le voit à travers les petites enclaves locales -, le territoire de la plupart des départements est entièrement couvert par son syndicat. On retrouve les mêmes zones de morcellement que sur la carte des concessions. L’analyse de cette carte n’est pas aisée, chaque syndicat et chaque département ayant sa propre histoire et donc ses propres explications à sa situation et

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le plus souvent la mémoire de ces spécificités ne s’est pas transmise. L’axe Nord-Sud qui va du département du Nord au bassin parisien correspond à la traversée de la Picardie, caractérisée par ses nombreux distributeurs non nationalisés sous forme de SICAE. Dans le Nord-Est de la France, l’influence germanique explique la présence de plusieurs régies locales, ce qui ne favorise pas le regroupement syndical. Enfin, dans le Sud de la France et sur le pourtour méditerranéen (Aude et Vaucluse), il semble que la coopération intercommunale y soit traditionnellement plus complexe qu’ailleurs.

Il n’en demeure pas moins que les syndicats sont aujourd’hui des lieux de pouvoirs et de réseaux dont le rôle ne cesse de croître.

(b) Catalyseurs ou interfaces ?

De par leur caractère thématique, les syndicats départementaux ont naturellement un rôle de « spécialistes » auprès de l’ensemble des élus du département. Cette spécialisation et cette expertise comportent un risque d’interfaçage entre l’ensemble des élus et les opérateurs (EDF). Compte tenu de la complexité et de l’étendue des compétences communales, les élus ne peuvent être informés de tous les dossiers. Ils confient délibérément, ou par consentement passif, cette expertise à ceux d’entre eux qui ont le temps, les affinités ou le goût de s’y investir. L’essentiel des assemblées générales de syndicats est constitué de simples élus, souvent sans délégation. Dans les petites communes, les délégations sont parfois accordées par le conseil municipal (une délibération est nécessaire) à des citoyens non élus de la commune. On retrouve parmi les élus représentants des communes quelques agents d’EDF-GDF1.

Les conséquences de la « spécialisation » de quelques élus et de la mise à l’écart des autres, très peu au fait du fonctionnement global de l’économie concessionnaire, sont inéluctables, comme dans tant d’autres domaines techniques de la vie publique.

Avant l’ouverture des marchés, EDF paraissait s’occuper de tout et les syndicat discrètement du reste.

1 Le personnel d’EDF, actif ou retraité, est assez bien représenté dans les assemblées territoriales.

L’association des agents élus compte plus de 2000 adhérents.

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Quelles sont les motivations qui orientent les élus vers telle ou telle délégation ? Comment se font les choix politiques de s’investir dans ces structures ?

Jean Gaubert, actuel député socialiste, Président du syndicat des Côtes d’Armor et ancien membre du conseil d’administration d’EDF, nous a raconté les conditions dans lesquelles il s’est impliqué dans son syndicat départemental : jeune élu municipal depuis 1977, il n’avait aucun lien avec l’énergie ni avec EDF quand il s’est retrouvé 1er Vice-Président du syndicat départemental d’électrification. Un « parrain » politique lui avait demandé de s’y investir pour des raisons politiques en 1983 (le département était alors majoritairement à gauche). La présidence était alors tenue par un Vice-président du Conseil général. A la mort de celui-ci, Jean Gaubert a décidé d’en prendre la présidence. Il raconte s’être enfermé pendant 15 jours dans les archives du syndicat pour se mettre à niveau. Il avait bien perçu que le syndicat était un enjeu politique et d’aménagement du territoire et que la gauche voulait le contrôler.1

Ce type de parcours est relativement classique pour les « grands » élus de l’électrification. Pour eux, le syndicat est un outil de pouvoir et d’influence personnelle. Que cette intention soit déclarée ou non, la présidence d’un syndicat représente toujours une opportunité vers la conquête d’un mandat départemental au Conseil général, voire national au Sénat.

(c) Le syndicat entreprise ou la diversification des compétences

Etablis comme une force institutionnelle et financière dans le département, ayant accompli leur objectif initial d’électrification du territoire, les syndicats se sont peu à peu engagés dans l’élargissement de leurs compétences. Le rapport de la Cour des Comptes précité relève que les syndicats observés s’étaient investis dans des domaines aussi variés que ceux de :

« la distribution de gaz, de l’éclairage public, des feux de signalisation, de l’eau et de l’assainissement, de la collecte et du traitement des ordures ménagères, des réseaux câblés, des relais hertziens, de la voirie, de la télédistribution, de la digitalisation du cadastre, de génie

1 Entretien personnel avec Jean Gaubert, le 11 février 2004.

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civil des télécommunications ou de la gestion d’équipements collectifs et touristiques. »

Le rapport ajoute : cette diversification, qui témoigne du dynamisme de ces syndicats, s’est réalisée d’autant plus facilement que les statuts, anciens, étaient rédigés en termes imprécis. Toutefois, pour la moitié des syndicats départementaux évoqués, le champ de leur action a débordé les limites de leur domaine statutaire ou bien s’est développé dans des directions que les compétences des syndicats primaires ne les autorisaient pas à emprunter ».

C’est ainsi que le syndicat intercommunal d’électricité et d’équipement de la Nièvre (SIEEN)1 s’est doté en 1997, entre autres, des compétences de transport des déchets ménagers, compétences qui n’appartenaient pas à ses adhérents, les syndicats primaires !

Cet appétit de compétences est sans doute guidé par l’idée vertueuse d’utiliser les ressources disponibles. Il en est ainsi avec les cadastres et les systèmes d’information géographique (SIG), dont les syndicats ont besoin pour tenir à jour les travaux de réseaux, informations qui peuvent être partagées avec les communes. Mais une lecture plus critique insiste davantage sur le rôle des tandems directeurs-Présidents et sur ce que nous appelons la mutation de la collectivité locale vers la collectivité entreprise.

Dans le fonctionnement des syndicats, le rôle des directeurs est fondamental. On observe depuis une dizaine d’années une « dérive » économico-administrative des collectivités territoriales, phénomène qui se cantonnait jusqu’à présent aux sociétés d’économie mixte. Certains directeurs, sous l’œil bienveillant de leurs Présidents, considèrent la collectivité dont ils ont la direction comme une entreprise privée dont le développement passe par la prise de nouvelles compétences, la croissance de ses effectifs et de son budget. Cette dérive n’est pas propre aux syndicats d’électricité.

Dans un contexte de mondialisation et de libéralisme, certaines collectivités locales, et notamment les grandes métropoles, se considèrent désormais en concurrence avec d’autres collectivités locales européennes ou mondiales2.

1 Il regroupe 24 syndicats primaires et les villes de Nevers et Fourchambault.

2 C’est notamment le cas de l’agglomération lyonnaise. Les maires de Lyon, de Raymond Barre à Gérard Collomb rappellent régulièrement que la capitale régionale de Rhône-Alpes mérite un

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Dans le cas des syndicats d’électricité, c’est en général sous l’effet du dynamisme d’un « couple » Président-directeur, légitimement ambitieux, que les syndicats cherchent à accroître leurs compétences. Ces compétences, ces services qu’elles vont pouvoir offrir à leurs adhérents, sont comme des marchés et des atouts pour fidéliser et justifier leur existence auprès de leurs adhérents – clientèle.

Il s’agit là d’un processus parfaitement naturel que nous considérons comme parfaitement naturel en géopolitique des organisations : chacun tente d’accroître son territoire de pouvoir.

Jean Gaubert distingue ainsi « deux types de couples de Président-directeur dans les syndicats et deux types de Présidents : les Présidents qui sont choisis par leurs directeurs et les Présidents qui président » 1.

Dans les duos Présidents-directeurs, la répartition des rôles est scénarisée à la manière des romans policiers les plus communs. A l’occasion de ses discussions avec EDF, le syndicat présente deux faces : l’une combative et l’autre plus conciliante.

Souvent le directeur est le plus agressif et le plus revendicatif pour faire monter la pression sur la négociation quand le Président apaise les échanges au nom de l’intérêt général et conclut plus sagement l’affaire.

Malgré des situations locales extrêmement diverses en termes de rapports de force, le modèle de fonctionnement des syndicats est encore largement centralisé, sous l’influence de la FNCCR. Face à une question un peu plus politique ou prospective, les Présidents des syndicats renvoient volontiers la balle vers la Fédération, véritable enceinte de « fabrication » du discours des concédants.

La montée en puissance des syndicats a parfois mal été perçue par les cadres dirigeants d’EDF : il s’agit là d’un conflit évident de légitimité. Mais cette « montée en puissance » des syndicats peut aussi être analysée comme celle d’une digue face à des évolutions plus brusques et plus néfastes de l’entreprise.

rayonnement international et doit faire partie des quinze villes « leader » en Europe comme Barcelone, Milan et Liverpool.

1 Entretien personnel avec Jean Gaubert le 11 février 2004.

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