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CHAPITRE III. LES IMPACTS DE LA MONTEE EN PUISSANCE DE LA DECENTRALISATION SUR LE SERVICE PUBLIC DE DISTRIBUTION

1) Les risques de réactivation du clivage entre rural et urbain

Dans ce débat de nature géopolitique, les clivages entre ruralistes départementaux et urbains partisans du pouvoir d’agglomération sont assez tranchés. La FNCCR défend avec conviction la maille départementale des syndicats intercommunaux.

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« Dans un paysage ainsi bouleversé, ainsi en changement, faut-il que les syndicats d’électricité disent après tout ça ne serait pas plus mal que les compétences soient exercées par les différents organismes de coopération qui se mettent en place. Deux questions se posent alors. La première question est de savoir si oui on non, il est opportun, compte tenu de la nature particulière de la compétence dans le domaine de l’énergie, de confier cela à un organisme spécialisé qui portera son intérêt exclusif sur le sujet. C’est le problème de la capacité d’expertise qui est en cause. Si nous voulons dialoguer utilement avec nos partenaires qui sont aujourd’hui EDF et GDF, il faut que nous disposions d’une capacité d’expertise. Il ne suffit pas d’afficher sur sa plaque tel syndicat d’autorité concédante pour concevoir que le concessionnaire va dire « ce que vous demandez, j’exécute », non. Il faut que nous ayons un dialogue qui soit assis, qui soit calé sur une capacité d’expertise. Et cette d’expertise, me semble-t-il, sera plus aisément acquise si elle détenue, forgée au fil du temps par un organisme spécialisé dans l’organisation du service public des énergies, qu’il s’agisse du gaz ou de l’électricité ou d’autres formes d’énergie. Nous militons donc pour la pérennité de cette forme d’intercommunalité dont l’ancienneté est bien connue, qui a joué un rôle tout à fait moteur dans les groupements intercommunaux, et par conséquent pour que les syndicats puissent continuer de jouer de rôle. […]

La deuxième question que nous devons nous poser à côté de la capacité d’expertise, c’est la capacité de négociation. Elles sont liées bien entendu.

Cette capacité de négociation ne peut s’exercer que dans un territoire que l’on appelle, dans les colloques un peu distingués, un territoire pertinent. Et ici nous devons nous interroger sur le point de savoir si le territoire pertinent ou le territoire le plus adapté à l’exercice de la compétence que nous revendiquons. Par ailleurs, c’est le canton ou le département. Il nous semble qu’aujourd’hui encore, et l’histoire milite en ce sens, vous dire que ce sera comme cela pendant des siècles et des siècles serait bien présomptueux, la maille départementale, comme vous l’a rappelé le Président Pouilly, nous paraît être la plus adaptée. »1

Les partisans du pouvoir syndical « classique » de type FNCCR pointent du doigt les risques de rupture territoriale et de solidarité entre rural et urbain.

A contrario, ce modèle se heurte à la critique de son organisation territoriale liée à la prééminence du rural sur l’urbain. La lecture d’un mémoire universitaire commandé par les service techniques de la ville de Rennes à la fin des années 1980 nous apprend

1 Intervention de Monsieur Josy MOINET, Président de la FNCCR au colloque organisé par le SYDER à l’occasion de son cinquantième anniversaire, le 15 juin 2000 à l’Hôtel du Département du Rhône.

SYDER, Actes du colloque 50ème anniversaire, 15 juin 2000 40 p. Pages 25-26. Notons également que cet extrait du propos de Monsieur Moinet s’inscrit dans le cadre du colloque du SYDER où celui-ci cherche à réunifier en son sein l’ensemble des communes du département du Rhône.

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beaucoup sur l’état d’esprit des ingénieurs des Villes de France (IVF) vis-à-vis des syndicats ruraux.

« Paradoxalement, ce sont les communes rurales, habituellement désavantagées par leur taille et leur éparpillement, qui ont su le mieux préserver leurs intérêts. Les grandes villes, elles, après une longue période de léthargie, se réveillent pour s’apercevoir de la perte de leur pouvoir et entendent partir à la reconquête de celui-ci, tant il est vrai que l’enjeu financier est de taille.

Il existe d’autre part un déséquilibre important des compétences juridiques entre les autorités concédantes et les concessionnaires : les concessionnaires disposent d’agents hautement spécialisés en droit, alors qu’il n’existe pratiquement pas de formation sur ces questions juridiques au sein des collectivités et l’information n’y est assurée que dans le secteur rural grâce aux syndicats d’électrification. De nombreux élus urbains ne connaissent vraiment leur pouvoir concédant que lorsqu’ils appartiennent à un syndicat spécialisé ou par le biais de la FNCCR (s’ils sont adhérents)».1

Les collectivités urbaines et regroupées en agglomération font valoir la différence de leurs préoccupations, plus axées sur les questions de solidarité, de politiques globales de réseaux. Les partisans de la nébuleuse des politiques énergétiques locales se rangent traditionnellement parmi les défenseurs du pouvoir urbain. C’est là un trait caractéristique en matière de géographie électorale : l’écologisme de centre-ville est nettement plus dynamique que celui des zones rurales.

« Etant donné le poids politique, la nature et l’étendue des compétences structurantes données par la loi Chevènement, ces communautés [les communautés de communes, d’agglomération et urbaines] semblent pertinentes pour porter une politique énergétique cohérente sur leur territoire. Citons l’exemple de la communauté urbaine de Dunkerque

1 NEVOUX, Cécile, Un pouvoir énergétique local ? Etude sur les concessions EDF-GDF et sur la faisabilité juridique d’une régie municipale d’électricité, rapport de stage de maîtrise d’Administration Economique et Sociale, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 1988-1989, tuteur : J.P. LAUNAY.

Nous rappelons que ce mémoire avait été commandé par J.M. Berthet, ingénieur principal, responsable de la division études générales et développement au service des bâtiments communaux de la ville de Rennes et animateur du groupe de travail Energie de l’association des ingénieurs des Villes de France.

La ville de Rennes s’intéressait alors beaucoup à cette question, sans doute en raison de la personnalité de son maire, Edmond Hervé, qui fut Ministre délégué auprès du Ministre de l’industrie chargé de l’énergie.

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qui s’est vue, en 1998, transférer la compétence d’autorité concédante de la distribution d’électricité et de gaz. »1

L’auteur de ces lignes, Martine Echevin, est directrice de l’agence locale de l’énergie de l’agglomération grenobloise. Cette agence locale, comme on le montrera dans notre étude de cas, est en partie financée par la Métro, la communauté d’agglomération de Grenoble et cherche à s’imposer comme un acteur global de l’énergie. Son raisonnement est donc cohérent avec ses propres aspirations. Mais le cas de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), qui fait office de laboratoire en matière de pouvoir énergétique, reste assez singulier comme on le montrera plus tard.

(a) Vers l’intercommunalité politique ?

L’adoption de la loi Chevènement sur les établissements publics de coopération intercommunale en 1999 a été perçue comme une opportunité et comme un risque pour l’équilibre du système. Le pouvoir des communautés urbaines et d’agglomération en matière de service public en réseau - transport, eau, assainissement - peut-il s’intéresser à la distribution d’électricité ?

EDF s’est beaucoup interrogée sur ces possibles évolutions. Il apparaît que celles-ci n’ont pas été entreprises entre 2000 et 2005. Un certain nombre d’obstacles structurels, culturels et institutionnels, s’y sont opposés. L’engorgement de l’agenda des collectivités locales au cours de ces dernières années – ouverture du marché, 2ème étape de la décentralisation – n’a pas favorisé cette transformation.

1 ECHEVIN Martine, 2002, La politique énergétique des collectivités territoriales in Techni.Cités n° 39, 23 novembre 2002, pp. 20-26.

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Les regroupements des collectivités locales Au 01/01/1999 Au 01/01/2004

Syndicats 18504 nd

Dont syndicats à vocation unique 14885 nd

Syndicats à vocation multiple 2165 nd

Syndicats mixtes 1454 nd

Communautés urbaines 12 14

Communautés d’agglomération - 155

Communauté d’agglomération nouvelle 9 6

Communautés de communes 1652 2286

Tableau 11 : Ministère de l’Intérieur, DGCL, Les collectivités locales en chiffres 2005

Carte 13 : EPCI à fiscalité propre au 1/01/1999. Source : Ministère de l’Intérieur/ DGCL, Les collectivités locales en chiffres 2005 et site Internet de la DGCL.

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Carte 14 : Carte des EPCI à fiscalité propre au 1/01/2004. Source : Ministère de l’Intérieur/

DGCL, Les collectivités locales en chiffres 2005 et site Internet de la DGCL.

Le tableau ci-dessus et les deux cartes illustrent la rapidité du maillage du territoire en EPCI en l’espace de quelques années. Ce mouvement n’est pas sans risque pour syndicats départementaux d’énergie.

La FNCCR fait valoir une distinction entre l’intercommunalité de service ou

« intercommunalité fonctionnelle » et l’intercommunalité de projet. La première est

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celle des syndicats intercommunaux, dont les missions sont précises et thématiques ; la seconde est celle des nouvelles communautés de communes, d’agglomération ou urbaines, dont la fonction démocratique, comme celle de la commune traditionnelle, est plus affirmée.

« L’intercommunalité de projet à fiscalité propre e été initiée par la loi Chevènement. Elle ne doit pas remettre en cause l’intercommunalité de service, dont les syndicats d’électricité ont été les pionniers. Sans que nous ayons besoin de remonter aux origines de l’électricité dans notre pays, l’histoire de la distribution d’électricité montre avec éclat le rôle irremplaçable joué par les syndicats d’électricité. Ils ont permis la modernisation du système électrique français, notamment en matière d’enfouissement des réseaux ».1

La mutation d’une intercommunalité fonctionnelle vers une « supra-communalité » citoyenne est le grand enjeu de l’intersupra-communalité française relevé par Christian Lefèvre (CNRS LATTS) : c’est celui « du passage à la légitimité politique, c’est à dire son aptitude à « fabriquer de la citoyenneté », sans laquelle elle ne saurait prétendre à pouvoir jouer ce rôle éminemment politique qu’est celui du gouvernement »2. Dans un pays caractérisé par l’attachement des Français à leur commune, la rapidité du phénomène de création de structures intercommunales à fiscalité propre est un succès très net pour l’intercommunalité. Bien entendu, ce mouvement n’aurait pas pu se faire sans le maintien des communes en tant que telles.

Le mouvement de mise en cohérence des compétences en matière de services publics locaux sera long ; il sera favorisé par la stratégie des « petits pas » de Jean Monnet qui a caractérisé grand nombre de politiques publiques depuis les débuts de la construction européenne. Nous allons vraisemblablement assister au transfert progressif des compétences les plus stratégiques en matière d’aménagement du territoire et de fonctionnement des grands réseaux structurants aux instances intercommunales. La réduction du nombre de communes, qui est une question

1 Propos tenus par Josy Moinet, président de la FNCCR, lors de la séance d’ouverture du congrès de la FNCCR en septembre 2001 à Toulouse. Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, Les services publics par réseaux et la concurrence, Congrès national de Toulouse 26 au 29 septembre 2000, Paris, bulletin de la FNCCR, n° spécial : mars 2001 ; 262 pages, p. 9.

2 LEFEVRE Christian, De l’intercommunalité fonctionnelle à la supracommunalité citoyenne, article publié dans La décentralisation en France, par l’Institut de la décentralisation aux éditions La Découverte, 1996, pp. 103-112.

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récurrente et dangereuse électoralement pour les gouvernements, ne se posera plus dans les mêmes termes quand les communes n’auront alors comme compétences que celles d’un conseil d’arrondissement.