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CHAPITRE III. LES IMPACTS DE LA MONTEE EN PUISSANCE DE LA DECENTRALISATION SUR LE SERVICE PUBLIC DE DISTRIBUTION

2) Les régions et l’énergie, des compétences en demi-teinte

La « Région » n’est pas une échelle inconnue de la distribution d’électricité. La Région est sans nul doute l’institution territoriale la plus en vogue depuis une décennie. Dans le cadre de l’évolution actuelle de la distribution liée à l’application de la seconde directive européenne et de la loi de décentralisation, certains observateurs suggèrent que les régions puissent expérimenter la création d’agences régionales de distribution du gaz et de l’électricité. Les EPRD referaient-ils surface après des décennies ? Le discours dominant octroie, comme une évidence, que l’échelon régional sera amené à prendre de l’importance. Le chercheur se doit d’interroger la nature de la force idéologique de cette « évidence » et son origine.1

« L’échelon régional pourrait progressivement s’imposer comme constituant un niveau pertinent pour l’organisation du secteur énergétique. A cet égard, les exemples tirés de la situation de plusieurs de nos voisins étrangers peuvent inciter à une évolution en ce sens en France. Ainsi, l’Allemagne a organisé la distribution d’électricité autour de 8 compagnies régionales et les Länder disposent depuis les lois de 1935 et 1957 de larges compétences pour l’organisation de l’ensemble du secteur électrique. Surtout, face au rôle de l’Etat qui devrait rester prépondérant, les régions sont peut-être les mieux à même de coordonner et relayer des politiques énergétiques locales susceptibles d’être prises en compte par lui. »2

Parmi les nombreuses dispositions législatives visant à favoriser l’expression d’un rôle des régions (ou des conseils économiques et sociaux régionaux) dans le domaine de l’énergie, deux d’entre elles, concernant d’une part les observatoires régionaux du service public de l’électricité et d’autre part le schéma de services collectifs de l’énergie, nous paraissent symptomatiques d’un décalage entre le rêve territorial et la réalité institutionnelle.

1 Nous revenons dans la seconde partie de la thèse sur la puissance des représentations positives du modèle fédéral allemand.

2 Préface de Marceau Long, Président de l’Institut de la Gestion déléguée et Vice-président honoraire du Conseil d’Etat, au rapport du groupe de travail Energie de l’IGD.p 18.

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(a) Les observatoires régionaux du service public de l’électricité

La loi de 2000 avait prévu de placer auprès des conseils économiques et sociaux régionaux (CESR) des observatoires régionaux du service public de l’électricité (ORSP)1. Ces observatoires étaient issus d’un amendement communiste au Parlement justifié par les craintes d’un abandon progressif des principes du service public et par le souhait de créer une instance de concertation et de veille locale sur le sujet.

Ces observatoires, qui n’avaient pas été demandés par les CESR, ne devaient leur rattachement à ces conseils qu’au mimétisme territorial, au parallèle du rattachement de l’observatoire national du service public de l’électricité au Conseil Economique et Social. Après une mise en place laborieuse dans moins de la moitié des CESR, les dispositions concernant ces observatoires ont été abrogées au détour d’un amendement, fin décembre 2002, lors de la discussion du projet de loi relatif aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie. La suppression de ces observatoires, qui ne bénéficiaient d’aucun financement, n’a suscité aucune réaction de l’opposition2.

Les comités économiques et sociaux régionaux ont été créés en même temps que les régions le 5 juillet 19723. Ils rassemblent des chefs d’entreprise et professions libérales (35%), des syndicalistes (35%), des « représentants de la vie collective » (tourisme, enseignement supérieur, recherche, associations) et enfin 5% de personnalités qualifiées (nommées par le Premier ministre sur proposition du préfet de région). Les CESR comptent entre 40 et 110 membres. Il y a 1865 conseillers économiques et sociaux régionaux en France et dans les DOM.

Les CESR n’ont qu’une faible lisibilité. Le rapport de la commission Mauroy en 2000 a fait l’impasse sur ces CESR et n’a pas dit un mot sur ces assemblées consultatives. Par ailleurs, ils ont été menacés de « concurrence » par les conférences

1 Le décret précisant la composition et le fonctionnement des ORSP date du 30 avril 2001.

2 L’observatoire national, placé auprès du palais d’Iéna, est maintenu et ses compétences sont élargies au gaz. Décret n° 2003-415 du 30 avril 2003 relatif à la composition et au fonctionnement de l'observatoire national du service public de l'électricité et du gaz.

3 Les comités économiques et sociaux sont devenus conseils économiques et sociaux avec l’adoption de la loi du 6 février 1992.

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régionales d’aménagement et de développement du territoire (CRADT) prévues par la loi Voynet (décrets d’application le 19 septembre 2000) auxquelles les conseillers économiques et sociaux sont invités à participer. Au cours des dernières années, il semble pourtant que les CESR aient gagné en influence auprès des conseils régionaux.

Dans le domaine de l’énergie, les CESR sont des lieux d’échanges et de proposition comme en témoignent les exemples des CESR d’Alsace et de Rhône-Alpes.

Le conseil économique et social régional de la Région Rhône-Alpes est le premier à avoir adopté à une très large majorité, en juin 2003, un avis favorable à l’implantation du « premier réacteur EPR sur l’un des sites appropriés dont la région dispose »1. Cet avis est en fait une confirmation de l’avis adopté en 1999 par le CESR et repris par le conseil régional sous la précédente majorité.

(b) Le schéma de services collectifs de l’énergie (SSCE)

La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999, dite loi Voynet, a prévu neuf schémas de services collectifs, considérés comme des documents cadres nationaux de planification élaborés à un horizon de vingt ans. Ces neuf schémas, qui n’ont été approuvés par le gouvernement Jospin que le 18 avril 2002, recouvrent un ensemble de problématiques territoriales.

Ont ainsi été approuvés les schémas de services collectifs culturels, sanitaires, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de l’information et de la communication, de l’énergie, des espaces naturels et ruraux, du sport ainsi que les schémas multi-modaux de services collectifs de transport de voyageurs et de transport de marchandises. Le site Internet de la DATAR rappelle que la méthode d’élaboration de ces schémas a privilégié :

« les trois niveaux territoriaux sur lesquels s’appuie la rénovation des politiques d’aménagement du territoire :

1 Avis du conseil économique et social régional sur les enjeux pour Rhône-Alpes des filières de production d’électricité, rapport n° 2003-08. Assemblé plénière du CESR du mardi 24 et du mercredi 25 juin 2003.

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Les espaces vécus quotidiens, que sont notamment les pays et les agglomérations ; là où se recomposent les nouvelles pratiques résidentielles et économiques ainsi que les mobilités des concitoyens et où se nouent les liens de solidarité ; ces espaces sont un cadre privilégié d’organisation des services de proximité ;

Le niveau régional, où s’organisent les réseaux de croissance et de solidarité permettant d’optimiser les atouts et les spécificités des territoires locaux ;

Le cadre interrégional, où peuvent s’organiser les services le plus rares et les plus stratégiques ainsi que les grands équipements nécessaires au développement des différentes métropoles régionales françaises, insérées dans l’espace européen ».

Du passé territorial, faisons table rase. Dans cette conception idéologique du territoire, il n’est jamais question de communes, de départements ni de Nation ; c’est à l’échelle de l’espace vécu du « pays » ou de l’intercommunalité d’agglomération que s’exerceraient les services de proximité et c’est à l’échelle régionale que la solidarité et la croissance s’organiseraient. L’Etat-nation serait fondu dans un espace européen où les différentes métropoles régionales françaises, en compétition avec leurs homologues européennes, pourraient tout de même avoir parfois besoin d’un cadre inter-régional. Le schéma de service collectif national est issu d’une synthèse des contributions régionales, élaborées par les différentes régions après 1999 sous la double responsabilité du préfet de région et du Président du conseil régional. La lecture des différentes contributions régionales permet de mesurer l’implication des régions dans le champ énergétique et de cerner leurs priorités dans les trois domaines retenus par le cahier des charges d’élaboration des SSCE1 : la maîtrise de la demande d’énergie, le développement des énergies renouvelables et de la production décentralisée, le transport, le stockage et la distribution des énergies.

1 Ce cahier des charges avait été adopté par le CIADT du 15 décembre 1998 puis transmis par circulaire des ministres de l’industrie et de l’environnement le 26 décembre 1998.

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Une lecture parallèle des avis des délégations à l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale et du Sénat1 met en évidence les approches politiques de deux types d’acteurs parlementaires. Le rapporteur pour la délégation de l’Assemblée nationale de l’avis sur les SSCE, Jean–Michel Marchand, député-maire de Saumur, apparenté au groupe parlementaire des « Verts », se félicite que ce schéma soit le premier document affirmant l’importance du volet territorial et du rôle des collectivités locales dans la politique énergétique mais regrette qu’il ne « tire pas toutes les conséquences du rôle dévolu aux collectivités territoriales ». Et pourtant, jamais il n’évoque le rôle ou même l’existence des syndicats d’électricité et, tout en approuvant « le choix de l’échelon régional comme pivot essentiel des services collectifs concourant à la maîtrise de l’énergie, à la valorisation des énergies renouvelables et à l’organisation optimale des infrastructures de stockage et de transport », il indique qu’il « conviendrait de mentionner l’exigence de complémentarité et de coordination entre le niveau régional et l’implication des collectivités locales infra-régionales, notamment les villes, les communautés de communes et les communautés d’agglomération. ».

En dépit d’une ancienneté et d’un pouvoir d’influence qui offrent aux syndicats départementaux la place centrale qu’ils méritent d’occuper auprès des collectivités dont ils sont issus, certains acteurs feignent d’ignorer leur existence ou ne leur reconnaissent pas la capacité à conduire des politiques énergétiques locales de production décentralisée ou de maîtrise de l’énergie.

L’homologue au Sénat de Monsieur Marchand, le sénateur socialiste de la Drôme et ancien conseiller général, Bernard Piras, aborde son avis d’une autre manière. Plusieurs présidents de syndicats et le directeur de la FNCCR ont été auditionnés ; le rôle des autorités concédantes a été mis en avant et le sénateur se félicite quant à lui que « la relance de la politique de MDE - Maîtrise de l’Energie - et des actions en faveur des ENR - Energies renouvelables - ne s’effectue pas au dépens

1 Assemblée nationale, doc n° 3162 – 20 juin 2001. Rapport d’information fait au nom de la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire portant avis sur le projet de décret mettant en œuvre les schémas de services collectifs prévus aux articles 10 et 11 de la loi n°99-533 du 25 juin 1999 par M. Philippe DURON, Président. Au Sénat - doc. n° 395 – 20 juin 2001 - la délégation était présidée par Jean-Pierre Raffarin.

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des grands choix de la politique énergétique française. Au premier rang de ceux-ci figure la préservation des acquis qui résultent du programme électro-nucléaire ».

Il faudrait bien sûr analyser ces dispositifs régionaux au regard de leurs réalisations effectives… mais on retiendra le parti pris idéologique de penser la région comme le niveau pertinent pour conduire des politiques énergétiques alors que c’est l’Etat qui décide de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI), que l’ensemble des acteurs liés à la distribution et au service public agissent à la maille communale, intercommunale ou départementale et que la plupart des entreprises concernées sont multinationales.

Fidèle à sa tradition de prudence et de consensus, la FNNCR tente la synthèse entre département et région.

« Celle-ci instaure [la loi Voynet] l’élaboration d’un schéma de service collectifs de l’énergie qui ne sera pas sans conséquences sur l’action des collectivités locales en leur qualité d’autorités concédantes de la distribution d’électricité et de gaz. L’impact de ce schéma sur l’organisation de la distribution d’électricité et sur l’environnement est d’autant plus important que nos concitoyens y sont de plus en plus sensibles. Cet impact doit conduire les collectivités locales compétentes à s’investir au niveau régional. Cela suppose dans chaque région une coopération permanente entre les syndicats à vocation départementale. »1

1 Josy Moinet, idem.

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B. DE LINTERCOMMUNALITE FONCTIONNELLE AU POUVOIR DAGGLOMERATION : VERS LA PRISE DE COMPETENCE « ENERGIE » PAR LES COMMUNAUTES URBAINES OU DAGGLOMERATION ?

Le paysage institutionnel et administratif des territoires français n’échappe pas aux évolutions sociales et géographiques. L’organisation territoriale du service public de la distribution n’est pas figée ; des recompositions sont en cours entre villes et campagnes, espaces péri-urbains et rural profond.

Les monographies du département du Rhône et de l’agglomération de Grenoble donnent un aperçu de ces mouvements à l’œuvre.

Dans le Rhône, trois autorités concédantes sont ainsi constituées : la ville de Lyon - qui n’a jamais adhéré au syndicat départemental -, le syndicat départemental

« classique » - le SYDER -, et le SIGERLY - syndicat qui regroupe la plupart des communes de l’agglomération lyonnaise (hors Lyon).

Dans l’Isère, le syndicat SE 38 ne couvre pas l’intégralité du territoire départemental. Certaines communes ont préféré ne pas adhérer ; d’autres sont sur la zone de desserte de régies municipales.

Ces territoires fragmentés n’appellent-ils pas à une clarification et à une mise en cohérence ? C’est ce qui apparaît en première analyse. Pour autant, les résistances sont fortes et ces évolutions se font attendre. Deux questions méritent alors d’être posées.

Ces évolutions sont-elles nécessaires ? En quoi apporteraient-elles une amélioration tangible ? Dans chacun des cas observés de discontinuité du territoire ou d’exceptions, il y a des hommes et des femmes, du pouvoir, des inerties et le plus souvent un statu quo d’équilibre.