• Aucun résultat trouvé

Postures politiques locales et/ou nationales des élus locaux face à la libéralisation

CHAPITRE II. LE SYSTEME ELECTRIQUE FRANÇAIS FACE A L’OUVERTURE DES MARCHES DE LA FOURNITURE

1) Postures politiques locales et/ou nationales des élus locaux face à la libéralisation

Les élus locaux, réunis au plan national au sein de la FNCCR ou localement dans les syndicats départementaux, sont très nombreux - à l’image de leurs administrés - à ne pas avoir saisi les raisons profondes de la modification d’un système stable et satisfaisant.

De 2002 à 2004, l’ouverture des marchés a donné lieu à de nombreuses réunions locales, régionales ou nationales pour tenter de répondre aux questions de fond ainsi qu’aux questions pratiques sur la mise en œuvre effective du marché (appels d’offres, types de contrats, achats groupés). Dans chaque réunion, on pouvait entendre les mêmes propos et les mêmes interrogations : « Mais pourquoi donc changer une organisation dont personne ne se plaignait ?! » Face à des élus sceptiques quant aux avantages attendus de l’ouverture des marchés, des économistes, dont certains cèdent à leur tour aux doutes, sont invités à expliquer et/ou à justifier les politiques européennes.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

C’est ainsi qu’à l’occasion d’une audition devant le conseil d’administration de la FNCCR en juillet 2003, le professeur Jean-Marie Chevalier (Université Paris-Dauphine) rappelait que « tout ce qui nous arrive était déjà inscrit dans le traité de Rome ». Celui-ci portait l’idée que la création d’un espace économique unique en Europe était la meilleure façon d’éviter les guerres, la concurrence étant la règle de droit commun partout où cela est possible, même dans les activités de réseaux.

« Cela se justifie parce qu’en principe et en théorie la concurrence amène une espèce d’aiguillon permanent qui conduit à une baisse des coûts et à faire des gains d’efficacité, et ce, au profit du consommateur final. Il résulte de cette baisse des prix une augmentation du pouvoir d’achat bénéfique pour la croissance ».

Le raisonnement théorique est séduisant par sa simplicité et son automatisme.

Pour autant, dans un domaine aussi complexe - en raison de la multiplicité des acteurs techniques et politiques - et aussi sensible que l’énergie - un bien fondamental qui fait appel à des échelles de temps et d’investissements sans commune mesure avec les biens disponibles sur d’autres marchés -, il semble que les mécanismes économiques soient également plus complexes. D’un point de vue politique, il faut la force d’une idéologie pour révolutionner un système intégré dont la réussite était presque unanimement saluée et pour conduire cette transformation dont le parachèvement est l’ouverture du capital des entreprises EDF et GDF.

(a) Options politiques et idéologiques

A quelques exceptions près, et en particulier celle de Jean Gaubert, député socialiste des Côtes d’Armor, et de Jean-Jacques Guillet, député UMP des Hauts-de-Seine, les parlementaires présidents de syndicats et membres du conseil d’administration de la FNCCR n’ont pas forcément une vision politique des enjeux nationaux liés à l’énergie. Il se dégage des entretiens avec les responsables élus des syndicats départementaux l’impression que la dimension politique nationale des évolutions des entreprises et du secteur leur échappe le plus souvent. Ils nous renvoient bien volontiers vers les prises de positions nationale de la FNCCR. Mais celles-ci n’existent pas, la Fédération n’ayant pas vocation à émettre des points de vue

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

partisans. La plupart des responsables relaient les incompréhensions de leurs collègues locaux ; dans le même temps, ils acquiescent sans enthousiasme à ces transformations au nom d’une certaine « raison » venue des autorités européennes ou gouvernementales.

Les transformations du secteur s’imposent ainsi d’elles-mêmes par la complexité des mécanismes et par le consentement tacite des élus qui font confiance aux discours techniques « d’évidences ». Dans ces conditions, les oppositions sont perdues d’avance tant la rupture intellectuelle nécessaire à l’élaboration de scénarii alternatifs parait difficile à conduire. La plupart des élus ne souhaitent pas prendre le risque d’être marginalisés dans le camp des opposants classiques et radicaux aux réformes.

La seule question politiquement correcte n’est alors plus celle du pourquoi mais celle du comment s’accommoder au mieux de cette nouvelle situation ?

Jean Gaubert a beaucoup participé à la bataille parlementaire des socialistes à l’occasion de l’examen de la loi sur le changement de statut d’EDF et de GDF. Au sein de la majorité, Jean-Jacques Guillet s’est félicité de la réforme du statut d’EDF, celle-ci, dit-il, « favorisera le développement et offrira même un moteur à notre politique industrielle ». Dans le même temps, le Président du SIGEIF évoque deux incertitudes qui demeurent : d’une part, l’impératif de séparer plus nettement les réseaux de transports, les réseaux de distribution et les activités commerciales, et d’autre part, l’avenir de l’économie concessionnaire et du rôle des collectivités locales.

« Il faut accentuer la séparation entre les activités régulées et les activités commerciales. En effet , quelle que soit la bonne volonté des hommes, toute entreprise qui a une vocation commerciale doit tendre à réduire ses coûts : la tentation sera forte de réduire les investissements sur les réseaux de transport. C'est vrai pour le réseau concerné par le projet, et ce sera vrai demain pour les gestionnaires des réseaux de distribution - point d'autant plus important que c'est le service public local qui est ici en jeu. Dans les collectivités locales, nous avons la volonté de renforcer les réseaux de distribution et de les intégrer dans l'environnement.

La dernière incertitude porte sur l'avenir de l'économie concessionnaire et le rôle des communes et des collectivités locales.

Vous avez ouvert une piste en suggérant que les collectivités pourraient entrer dans le capital d'EDF et de Gaz de France, en apportant leurs réseaux. C'est une piste à explorer, mais avec prudence, car il n'est pas

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

certain que ce soit dans l'intérêt général. Le rôle des collectivités locales en effet, notamment par le biais des EPCI, est un rôle de contrôle et de garantie du service public local. Mais du jour où elles seront actionnaires, ce souci sera concurrencé par celui de voir rentrer les dividendes. Les collectivités locales ont aujourd'hui un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire, et assurent nombre de maîtrises d'ouvrage, notamment dans l'électrification rurale : il faut être vigilants pour que leur entrée dans le capital des deux entreprises ne supprime pas ce rôle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). »1

Le dernier aspect évoqué par le député Guillet a fait l’objet d’une prise de position très nette de la FNCCR au début de l’année 2004. Cette piste avait été explorée, entre autres, dans le cadre d’une réflexion d’ensemble sur l’avenir de la distribution. Pour la FNCCR, il n’est pas souhaitable que les collectivités entrent au capital des entreprises en échange de leurs réseaux. Ceux-ci doivent rester le patrimoine des communes.

La ligne politique de la FNCCR se résume à une posture de défense du service public en général et du pouvoir concédant en particulier. Les publications de la FNCCR vont toutes dans le même sens. Le livre que la Fédération a édité en 2001, Les collectivités locales et l’énergie, économie d’un nouveau service public, dévoilait en quatrième de couverture ce programme :

« C’est aussi un plaidoyer pour une ouverture à la concurrence respectant le développement du service public et le recours à la concession. Ce mode de gestion a, en effet, pour caractéristique essentielle de concilier économie et politique. »2

Ce type de posture politique est un trait d’union entre une position politique, voire idéologique, et une position pragmatique de maintien et de renforcement d’un pouvoir et de prérogatives.

1 Extrait des propos de Jean-Jacques Guillet en séance publique à l’Assemblée nationale, le 15 juin 2004.

2 FNCCR, Les collectivités locales et l’énergie. Economie et politique d’un nouveau service public., Paris, FNCCR, Collection Service public et pouvoir local, Imprimerie nationale. 2001, 184 p.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

(b) Options pragmatiques : le renforcement d’un pouvoir local ?

Les élus locaux investis dans les syndicats d’énergie et dans l’organisation du service public local de la distribution ont rapidement compris que l’ouverture des marchés à la concurrence constituait une menace sur l’équilibre du système ainsi que sur le contenu du service public doublée d’une opportunité de renforcer leurs pouvoirs en occupant le terrain que les entreprises publiques en monopole ne manqueraient pas d’abandonner.

Pour certains d’entre eux, l’idée a peut-être été de jouer la libéralisation pour se parer des atours des ultimes garants du service public. Cette posture est politiquement très astucieuse ; elle s’appuie sur l’adage selon lequel la politique a horreur du vide et impose le rôle d’interface des collectivités locales en tant qu’autorités organisatrices et protectrices du service public. Cette rhétorique s’inscrit dans le mouvement de plus long terme de réveil des collectivités locales que nous avons évoqué plus haut et que nous datons de la signature des « nouveaux » cahiers des charges au début des années 1990.

La sécurité et l’accès des tiers au réseau concédé restent les premiers éléments exposés par les élus locaux.

« Il existe un enjeu supplémentaire en matière d’électricité, qui est celui de la sécurité, et plus largement du bon fonctionnement des réseaux de transport et de distribution. Les collectivités locales concédantes ont la responsabilité du contrôle du service public en matière d’électricité et en particulier du bon fonctionnement des installations de distribution publique. L’enjeu de ce double rôle de contrôle du service et des installations évolue inévitablement au fur et à mesure de l’ouverture à la concurrence. Les collectivités seront placées plus directement face à leurs responsabilités par les citoyens et par les opérateurs concurrents de l’opérateur public. Comment réagir à un déplacement de la demande de sécurité des citadins, ou de protection du paysage ? Comment orienter l’évolution du réseau alors que des contraintes techniques peuvent être opposées par l’opérateur public à une demande nouvelle d’accès. »1

1 Institut de l’économie urbaine, L’évolution du service public de l’électricité. Un défi pour les territoires. Etude réalisée pour l’Association des Maires des Grandes Villes de France, février 1999.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006