• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III. LES IMPACTS DE LA MONTEE EN PUISSANCE DE LA DECENTRALISATION SUR LE SERVICE PUBLIC DE DISTRIBUTION

1) Le choix de l’intercommunalité à maille départementale

(a) L’échec de la régionalisation : les EPRD

La loi de 1946 prévoyait la création d’établissements publics régionaux de distribution. Ceux-ci ne verront jamais le jour. Les articles 2 et 22 de la loi de 1946 organisaient en effet la gestion de la distribution par des « Etablissements Publics Régionaux ».

Dans leur Histoire (s) de l’EDF, Picard, Beltran et Bungener1 rapportent que Marcel PAUL était farouchement hostile à ces dispositions dénoncées comme une visée socialiste de Ramadier. « le morcellement était l’un des éléments de l’outillage d’attaque contre EDF ». Ce sentiment était partagé par la direction d’EDF. Roger Gaspard (directeur général de 1946 à 1962), que les auteurs ont interrogé fin 1980, déclare alors que l’entreprise était « globalement » contre quand bien même le MRP et un certain courant du socialisme était favorable à l’application de l’article 2 de la loi de 1946.

Véritables serpents de mer, ces EPRD ont refait surface à plusieurs occasions. A la fin des années 1940, sous la pression du syndicat Force Ouvrière. Celui-ci voyait dans la régionalisation un moyen de concurrencer la CGT dans ses bastions. Toutes ces tentatives ont été enterrées par une alliance entre la direction d’EDF, de la CGT et du ministère des Finances.

La CGT redoutait de perdre son monopole sur les agents en divisant l’établissement. La direction d’EDF quant à elle craignait de ne pouvoir mettre en place un système de péréquation tarifaire entre des régions aux disparités trop grandes.

Cet argument lui a valu l’appui de la FNCCR qui, paradoxalement, développe un

1PICARD Jean-François, BELTRAN Alain, BUNGENER Martine, Histoires(s) de l’EDF. Comment se sont prises les décisions de 1946 à nos jours, Paris, Dunod Bordas, 1985, 263 p. page 135.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

double discours, « partisans des Etablissements Publics de Distribution, mais ne faisant rien pour qu’ils se mettent en place »1.

La FNCCR a longuement cultivé l’ambiguïté sur ce sujet. Paul Ramadier, le promoteur des EPRD en 1946, était Vice-président de la Fédération. Mais son délégué général, Georges Gilberton, était opposé à toute régionalisation du pouvoir concédant.

L’ancien Président d’EDF, Marcel Boiteux exprime ainsi sont point de vue sur l’attitude du Président de la FNCCR :

« Quelles pouvaient être ses motivations ? Je crois d’abord que sa puissance était directement liée au fait que tout se traitait à l’échelle nationale… notamment sur les questions de tarifs. Deuxièmement – l’article 2 de la loi de 1946 parlait de région – or, Gilberton était attaché au pouvoir concédant, donc à la commune ou au syndicat de communes. Il était contre le département en tant que structure EDF car c’était pour lui la mort du syndicat départemental qu’il avait créé. Il était a fortiori contre la région »2.

A partir des archives des congrès de la FNCCR, François-Mathieu Poupeau a mis en lumière les évolutions des tensions internes de la Fédération relatives à la mise en œuvre des EPRD. C’est à l’occasion du XXème congrès de la FNCCR, tenu en juin 1961à Vichy que la question est la plus nettement posée. Jusqu’alors, la Fédération était officiellement partisane de la mise en œuvre de la décentralisation de la distribution. Or, à cette période commençait à se faire sentir le besoin de réviser les cahiers des charges de concession. Fallait-il attendre en vain la décision de l’Etat de mettre en place les EPRD avant d’entamer les discussions ou fallait-il conforter le pouvoir concédant par d’autres voies, et notamment par celle du financement de l’électrification rurale ? La FNCCR, divisée finit par adopter une attitude pragmatique sous la conduite de Georges Gilberton. Tout en maintenant la demande d’application des EPRD, la FNCCR accepte le principe d’une renégociation locale des concessions.

Dans le même temps, la FNCCR engage des adhérents à se regrouper en syndicats départementaux pour faire face à EDF dans la négociation. Les négociations locales

1 Idem, p. 136.

2 Idid.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

de révision des cahiers des charges n’aboutiront jamais1, les EPRD non plus, mais l’équilibre du pouvoir entre les élus des collectivités concédantes et EDF s’est établi sur cette promesse.

Trente ans plus tard, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, la décentralisation refait son apparition en matière énergétique. Les partisans de la décentralisation énergétique critiquent vivement la non application par l’Etat des articles de la loi de 1946 concernant les EPRD. Ils datent l’étatisation d’EDF de cet échec.

« Sous la pression du ministère des finances, en 1951, les établissements publics régionaux n’ont jamais été crées (c’est ici que l’Etatisation succède à la Nationalisation).2

De nombreuses initiatives sont engagées par les agents socialistes d’EDF et de GDF. Ceux-ci sont assez partagés entre la tradition centralisatrice de l’entreprise et le mouvement de décentralisation qui anime la gauche. Le groupe socialiste d’EDF-GDF se prononce favorablement à la création des EPRD3. Mais le texte est nuancé, il s’agit d’une régionalisation pour rapprocher les services publics des citoyens et assurer un meilleur contrôle des instruments de l’Etat.

Le gouvernement confie une réflexion d’ensemble à la commission Bourjol4, qui se réunit pendant l’été 1981 pour préparer les grandes orientations de la politique énergétique du gouvernement5. Ces différents épisodes n’ont que très rarement fait l’objet de travaux et de récits. François-Mathieu Poupeau donne une excellente

1 Il faut attendre le début des années 1990 pour que la révision des cahiers des charges aboutisse. Mais cette révision s’est opérée de manière nationale, centralisée, avec un modèle type de cahier des charges.

2 BOURJOL, Maurice, La décentralisation du pouvoir dans le domaine de l’énergie in Les cahiers du CFPC, mai 1982. Citation extraite de NEVOUX, Cécile, Un pouvoir énergétique local ? Etude sur les concessions EDF-GDF et sur la faisabilité juridique d’une régie municipale d’électricité, rapport de stage de maîtrise d’Administration Economique et sociale, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 1988-1989, tuteur : J.P. LAUNAY.

3 Groupe socialiste d’EDF-GDF Deux entreprises au service de la Nation un projet pour l’avenir, Parti socialiste,1984,120 pages, chapitre 4 : Le service public dans les régions.

4 BOURJOL, Maurice et LE LAMER Christian, Energie et démocratie, rapport au ministre délégué auprès du ministre de l’industrie chargé de l’énergie, collection des rapports officiels, Paris, 1982, La documentation française, p. 34.

5 Celle-ci sera présentée par Edmond Hervé, le 6 octobre 1981 à l’Assemblée nationale. En 1981, pour la première fois, est créé un poste de Ministre délégué chargé de l’énergie au sein du Ministère de l’industrie. Ce poste fut confié à Georges Lemoine puis à Edmond Hervé après les élections législatives de 1981.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

description des débats et des acteurs de l’époque1. Par exemple, au sein de cette commission, l’économiste Yves Durrieu défend une option radicale, celle de la régionalisation complète de la distribution. Il propose que les Etablissements Publics Régionaux de Distribution soient directement mis sous tutelle des régions. Divisée en partie sur la place de l’énergie nucléaire et sur les conséquences de ce type de production sur l’architecture des réseaux, le statut quo finit par l’emporter après une période de forte émulation intellectuelle.

« Il convient aujourd’hui de réaliser une véritable décentralisation du pouvoir sans laquelle il n’y aurait que déceptions nouvelles, car pour les français d’aujourd’hui, décentralisation et démocratie vont de pair.

[…]

La décentralisation doit affecter tous les acteurs qui peuvent y concourir. Elle doit comporter dévolution en faveur des collectivités locales, des compétences et des moyens d’une politique locale de l’énergie, tandis que l’Etat conserveraient tout ce qui a trait notamment à la planification ou qui se rapporte au caractère international des problèmes énergétiques […]

Sans préjuger de son caractère opérationnel, la région apparaît comme l’échelon de planification, d’incitation et de contrôle ? les Communes et les Départements étant placés en première ligne en matière d’énergies de substitution et d’économies d’énergie, suivant un partage qu’il conviendra de mieux approfondir».2

Si les conclusions de la commission restent très générales, le rôle de la Région est mis en avant et ce mouvement va perdurer et prendre de l’ampleur.

(b) Les cent-deux centres de distribution d’EDF ou le choix de la départementalisation… inachevée.

L’échec de la constitution des EPRD témoigne de la vitalité du modèle industriel centralisé et « nationalisé » d’EDF. Il n’en demeure pas moins que l’activité d’EDF se décline sur l’ensemble des territoires de France et d’outre-mer et que son organisation

1 POUPEAU, thèse, op. cit, pp. 211-222.

2 BOURJOL, Maurice et LE LAMER Christian, op.cit.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

interne et nécessairement déconcentrée. Ce choix de la maille départementale pour l’établissement des centres de distribution est le fruit d’une longue sédimentation administrative et d’une décision politique et stratégique de l’entreprise que rappelle en détails la thèse de François-Mathieu Poupeau. A la lecture des procès-verbaux des conseils d’administration, on se rend compte d’une part de l’influence et de la participation directe des représentants de la FNCCR et des collectivités locales et en particulier d’Alexis Jaubert et Georges Gilberton et d’autre part de la prégnance de l’opposition entre les partisans de la décentralisation de la distribution et ceux qui prônent une nationalisation-étatisation du dispositif. Depuis le vote de la loi du 8 avril 1946 qui prévoyait la publication de décrets visant à créer des établissements publics de distribution, les clivages sont demeurés sensibles entre les différentes options.

François Mathieu Poupeau apporte une explication à la « défaite » des décentralisateurs ; ceux-ci étaient divisés entre deux projets politiques différents.

« La première, portée par le réseaux des notables locaux, très souvent présidents de syndicats d’électrification ou faisant partie du système d’acteurs de l’électrification rurale, soucieux de renforcer leur assises départementale, soutient la position historique de la FNCCR, qui entend organiser les établissements publics à une maille départementale. Celle-ci serait en effet de nature à élargir les prérogatives des syndicats d’électrification existants, à renforcer leur pouvoir et créer un contrepoids efficace au service National d’EDF.

Aussi, dès la Libération, dans le cadre de cette stratégie, la FNCCR pousse-t-elle bon nombre d’élus locaux influents mettre en place, dans les régions où elles n’existent pas, des structures départementales qui pourront , en temps voulu, se muer en établissements publics de distribution. face à cette thèse, des courants modernisateurs mettent en avant l’idée régionale comme moyen de concilier proximité locale et efficacité économique. […] Partagés, les décentralisateurs ne parviennent pas à surmonter les contradictions qui existent entre les deux courants antagonistes. »1

L’histoire de l’entreprise au cours des années suivantes la conduit successivement à créer des Directions régionales en 1957 auxquelles sont associés des Comités Régionaux de la Distribution (CRD). La portée de ces structures est très réduite, ces tentatives de décentralisation ont fait long feu.

1 POUPEAU, op. cit, p. 73 On peut s’interroger sur la neutralité du terme utilisé “modernisateur” pour qualifier les partisans de l’option régionale. Peut-il exister une option « départementaliste » moderne ?

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

Ce n’est que qu’à l’occasion de la rédaction du nouveau cahier des charges types, au début des années 1990, que le choix de stabiliser l’organisation de la Distribution fut acté, tant du côté des autorités concédantes – syndicat intercommunaux à maille départementale – que de celui du concessionnaire EDF, lui organisé en cent-deux centres EDF-GDF Services de maille départementale1.

Les deux cartes qui suivent illustrent la géographie des centres de distribution mixtes EDF et GDF. Sur la première carte, celle de la France, on observe que le principe général de juxtaposition des frontières entre les 102 centres et les départements métropolitains connaît quelques exceptions, en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais, dans l’Est et dans l’ensemble du quart Sud-Est de la France, sans qu’il soit aisé d’en expliquer les raisons.

A l’occasion de divers entretiens avec des responsables d’EDF, nous avons observé que ces irrégularités de frontières administratives et organisationnelles étaient le plus souvent négligées et réduites à quelques situations locales très particulières dont l’histoire et la mémoire s’étaient perdues au fil des générations successives de directeurs de centres, chaque centre EDF-GDF ayant sa propre histoire et identité. Il faut rappeler que le centre EDF est l’unité de base de l’organisation territoriale de l’entreprise et que cette unité demeure le lieu de commandement et de management des équipes et des agents de la Distribution. Jusqu’à la fin des années 1990, le poste de directeur de centre était une fonction très valorisante et de notabilité locale, le plus souvent occupée par un ingénieur de premier rang. Mais le développement des délégations régionales et des fonctions commerciales et stratégiques en lien avec les unités de production a tendance à affaiblir le rayonnement des centres.

La seconde carte est un zoom à plus grande échelle sur la région Rhône-Alpes qui fait apparaître la complexité institutionnelle liée à des frontières discordantes. Le centre Vienne-Pays-du-Rhône est ainsi partagé entre quatre départements et il est l’interlocuteur d’au moins quatre syndicats d’énergie. Ces disparités sont la source de

1 Dans certaines zones de faible densité, le centre est à cheval sur deux départements (ex. Drôme-Ardèche) ; dans les très grandes agglomérations, un centre peut leur être dédié exclusivement (Lyon-Métropole). Mais les frontières entre les centres et les départements ne sont jamais strictement communes, ce qui est un élément de plus dans la complexité des jeux d’acteurs territoriaux.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

complexité et de faiblesse dans l’établissement de relations stables avec les collectivités locales, élus, syndicats ou autorités administratives.

Carte 11 : Centres EDF-GDF (en couleur) et frontières départementales en France métropolitaine.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

Carte 12 : Carte des frontières institutionnelles et organisationnelles d’EDF en Rhône-Alpes.

Source : données EDF, réalisation G. Bouvier.

Ce choix de la maille départementale, même s’il souffre de plusieurs exceptions, répond d’abord à des arguments d’ordre politique et institutionnel. Le mode de recrutement du personnel politique investi dans les syndicats d’électrification est lié aux communes, cantons et conseils généraux. Ce personnel politique ne souhaite naturellement pas abandonner ses outils pour une structure de taille supra-départementale. Mais plus largement, la maille départementale reste l’échelle identitaire et fonctionnelle de très nombreuses structures publiques et associatives.

C’est le cas des services déconcentrés de l’Etat - des préfectures aux directions départementales des ministères – comme celui des fédérations sportives ou des associations caritatives d’envergure nationale.1

1 Nous revenons plus bas sur la force des représentations territoriales et celle des « bonnes échelles ».

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006

Pour autant, cette « départementalisation » est inachevée. La plupart des bourgs-centre et des villes moyennes n’adhèrent pas aux syndicats départementaux d’électricité. Cela tient en partie à l’histoire de leur électrification - assurée directement par des compagnies privées et sans qu’il fût besoin de se regrouper. Cette autonomie s’explique aussi par des aspirations différentes et en particulier par le fait que les syndicats intervenaient principalement dans l’électrification rurale – les villes les plus importantes ne se sentaient pas concernées par cette activité. Cette représentation est en partie tronquée, les fonctions d’un syndicat allant bien au-delà de la maîtrise d’ouvrage en zone rurale.

Il n’en demeure pas moins qu’à l’occasion de la signature des nouveaux cahiers des charges de concession au cours de la première moitié des années 1990, près de 1000 communes ont signé directement leur cahier des charges avec EDF sans passer par l’intermédiaire d’une structure intercommunale. Ces 1000 communes représentent un quart des usagers français. Dans la moitié des départements métropolitains, les villes centres (préfectures ou chef-lieu) n’ont pas adhéré au syndicat départemental.

Seuls 30 syndicats départementaux ont la totalité des communes de leur département comme adhérents.

Nous rappelons pour mémoire que si les syndicats intercommunaux tendent à atteindre l’échelle départementale, ceux-ci n’ont pas de liens organiques avec les conseils généraux. A l’exception notoire des départements de la Sarthe et du Loiret, dont l’autorité concédante est le Conseil général en tant que tel1, les autorités concédantes sont des communes ou des groupements de communes. C’est donc le département en tant qu’échelle territoriale et non institutionnelle qui s’est défendu dans les évolutions des dernières années ; le modèle adopté étant bien celui d’une intercommunalité de service à maille départementale.

1 « L’article 188 de la loi de finance du 16 avril 1930 a prévu que les départements pouvaient être également autorités concédantes mais uniquement à la place des communes défaillantes. Compte tenu de ce caractère subsidiaire de la compétence communale, deux départements seulement (le Loiret et la Sarthe) sont autorités concédantes dans certaines communes de leur ressort ». Source : Institut de la Gestion Déléguée, février 2001. La place de la gestion déléguée dans le secteur de l’électricité au lendemain de la loi du 10 février 2000. page 54.

tel-00011905, version 1 - 9 Mar 2006