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CHAPITRE I. LA DISTRIBUTION PUBLIQUE D’ELECTRICITE EST UN ENJEU DE POUVOIR LOCAL

3) La FNCCR et les acteurs de l’économie concessionnaire

Nous avons évoqué, dans la première partie, les conditions de la naissance de la FNCCR en 1933. Une des figures historiques les plus intéressante de cette Fédération est sans doute Georges Gilberton, ingénieur-conseil des unions de l’Allier, de la Loire et du Puy-de-Dôme, nommé délégué général de la Fédération, devenue FNCCR (Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies) en 1937.

Le portrait en demi-teinte que fait de lui l’ancien Président d’EDF, Marcel Boiteux, illustre la différence des représentations entre celle d’un économiste grand commis d’Etat et celle d’un ingénieur conseil des collectivités locales, appuyé par le pouvoir politique local. Marcel Boiteux rappelle que Gilberton n’était pas un élu mais un ingénieur, dirigeant d’un bureau d’études au service des collectivités concédantes.

Devenu délégué général de la FNCCR, il a été de toutes les négociations tarifaires avec EDF et très présent dans le domaine de l’électrification rurale.

« Lors de la nationalisation, Gilberton s’était démené, avec succès, pour que le régime de concessions subsiste, EDF devenant le concessionnaire obligatoire des 36.000 communes de France.

Toutefois, les régies municipales existantes n’étant pas intégrées à l’EDF, il les avait incorporées dans sa Fédération, devenue

« Fédération des collectivités concédantes et régies ». Ainsi contrôlait-il tout le système : à la base, dans ceux des départements où son bureau d’étude était l’ingénieur-conseil des syndicats de communes, au sommet, comme délégué général de sa Fédération ; et latéralement, par le poids qu’avait ladite Fédération dans les conseils d’administration du fonds d’amortissement et du fonds de péréquation.

L’électrification rurale lui devait certainement beaucoup. Mais sa fortune devait beaucoup aussi à l’électrification rurale, et cela donnait un certain flou à son image ».1

Le léger bémol que Marcel Boiteux apporte au portrait de ce premier directeur de la FNCCR reste ancré dans les représentations d’une partie des cadres dirigeants d’EDF qui, au fond, n’ont jamais tout à fait accepté ou compris le maintien du pouvoir concédant en 1946. Dès lors, ce regard est suspicieux car la représentation du service

1 BOITEUX Marcel, Haute Tension, Paris, Editions Odile Jacob, 1993, p. 79.

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public doit être partagée entre EDF et les élus de la FNCCR. Marcel Boiteux évoque avec franchise cette discorde entre EDF et la FNCCR.

« Les dirigeants compétents d’EDF lui pardonnaient mal [à Georges Gilberton] le maintien artificiel et compliqué du régime des concessions, qu’ils imputaient non sans raison au souci qu’il avait eu de préserver le système en toile d’araignée dont il occupait le centre.

Et d’aucuns se demandaient comment il avait pu réussir à ce que reste en vigueur le régime de l’électrification rurale […] Veiller à la prospérité de ses bureaux d’étude n’y était pas étranger, disaient les mauvaises langues. »1

Les bureaux d’études adossés aux syndicats ou prestataires de ces derniers ont pour une part été intégrés aux syndicats, qui se sont dotés de leurs propres capacités d’expertise. Il demeure cependant quelques bureaux d’études indépendants mandatés par les syndicats pour veiller au contrôle des concessions. Nous ne voudrions pourtant pas laisser croire à une présomption d’intérêts particuliers liés à l’exercice du contrôle de la concession. Le contrôle de la concession est une activité parfaitement encadrée, financée légalement par les redevances de concession. La FNCCR et l’AMF (Association des Maires de France) ont créé un bureau d’études indépendant, l’AEC (Association d’Expertise des Concessions) et Service public 2000 en 1996.

(a) Un réseau d’influence discret mais efficace au service du pouvoir concédant local

La FNCCR, depuis sa création, est une force d’influence discrète mais efficace2 dont on a vu comment elle avait su mobiliser les parlementaires socialistes et radicaux à l’occasion de la loi de nationalisation de 1946 pour défendre le rôle des collectivités locales sur le socle partagé de l’électrification rurale. Après une perte d’influence et de visibilité significative à partir des années 1950, la Fédération retrouve peu à peu son

1 Ibid. page 80.

2 J’emprunte cette expression à Michel Lapeyre. C’est en effet en ces termes : « la discrète efficacité des collectivités locales », qu’il intitule le chapitre d’un article consacré au pouvoir concédant dans l’ouvrage de la FNCCR, Les collectivités locales et l’énergie. Economie et politique d’un nouveau service public. Paris, FNCCR, collection service public et pouvoir local, Editions Imprimerie nationale.

2001, 184 p.

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lustre et son influence depuis la renaissance officielle du pouvoir concédant au début des années 1990.

Les objectifs et les principes défendus par la FNCCR sont clairement énoncés dans ses nombreuses publications :

• Défense des responsabilités des collectivités locales concédantes.

• Maintien d’un bon niveau de qualité de l’électricité (lié à la qualité du réseau public de distribution).

• Maîtrise d’ouvrage des investissements en zone rurale.

Un exemple permet d’illustrer la vitalité de la défense de ces prérogatives des collectivités par la FNCCR. A l’issue des dommages causés sur le réseau électrique lors de la grande tempête de la fin décembre 1999, le Secrétaire d’Etat à l’industrie, Christian Pierret, a commandé un rapport au Conseil général des Mines sur la sécurisation du système électrique français. Le rapport de mission, dit rapport Piketty1, publié au printemps 2000, faisait un certain nombre de préconisations, dont le transfert à EDF de la maîtrise d’ouvrage des investissements en zone rurale. Dès sa publication, ces préconisations ont fait l’objet de vives réactions et d’une farouche opposition des représentants de la FNCCR réunis à l’occasion du congrès de Toulouse en septembre 2000.

« Une telle recommandation, si elle était suivie des faits, empêcherait les collectivités de mettre en œuvre des solutions intelligentes, décentralisées et coordonnées. »2

Certains présidents profitent alors de cette contestation pour suggérer que la maîtrise d’ouvrage des travaux soit confiée aux collectivités concédantes pour la moyenne comme pour la basse tension3.

1 Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, secrétariat d’Etat à l’industrie, Conseil Général des Mines, La sécurisation du système électrique français, rapport de mission, Gérard Piketty, Claude Trink, Renaud Abord de Chatillon, mai 2000. 82 pages http://www.cgm.org/rapports/edf/reseau.PDF .

2 Propos de Michel Lapeyre, directeur de la FNCCR, lors du congrès de Toulouse de la FNCCR. P. 22.

Fédération nationale des collectivités concédantes et régies – Les services publics par réseaux et la concurrence – Congrès national de Toulouse 26 au 29 septembre 2000. Paris, bulletin de la FNCCR – n° spécial : mars 2001 ; 262 pages.

3 Monsieur René Massat, président du syndicat d’électricité de l’Ariège, lors du congrès de Toulouse de la FNCCR.

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Plus solennellement, le Président de la FNCCR, Josy Moinet, lors de la séance de clôture du congrès s’adresse directement au secrétaire d’Etat, Christian Pierret.

« Je dois vous avouer qu’une lecture attentive de ce rapport nous fait craindre un retour en arrière, à cette époque où il était courant de penser que seul l’Etat était à même de servir l’intérêt général. Il nous semble que cette époque est aujourd’hui révolue et que le service de l’intérêt général peut être pris en charge par les pouvoirs locaux.

Un réseau de distribution d’électricité est un équipement public de proximité. On ne peut donc pas ignorer que, pour une part essentielle, les décisions doivent se prendre au niveau local, afin qu’elles soient intelligemment adaptées au terrain. Ainsi les décisions publiques concernant la distribution d’électricité peuvent elles être mises en œuvre de manière coordonnée avec celles concernant d’autres réseaux locaux, tels l’éclairage public, la voirie, l’eau ou l’assainissement.

C’est également au niveau local que peuvent être mises en œuvre, avec réalisme et efficacité, des politiques responsables de production d’électricité décentralisée et de maîtrise de la demande. Le rapport

« Piketty » ne se contente pas de préconiser un modèle centralisé dépassé. Il conseille des dispositions s’attaquant à la solidarité – principe qui se situe au cœur même du service public –, c’est-à-dire au FACÉ.

M. le Ministre, je pense que vous nous rassurerez sur le fait que les orientations préconisées dans ce rapport ne seront pas suivies d’effet.

On imaginerait mal que soient prises des décisions contraires aux dispositions d’une loi sur l’électricité qui confirme avec éclat le rôle des collectivités locales dans la nouvelle architecture du système électrique français et le rôle éminent dévolu au FACÉ en tant qu’instrument de solidarité entre les territoires. Notre proposition consiste donc en ce que ne soient pas retenues les conclusions du rapport d’étape qui vous a été remis en juin dernier, en ce qu’elles concernent la maîtrise d’ouvrage et le FACÉ. Nous proposons au contraire que les crédits du FACÉ soient ajustés à l’avenir pour tenir compte de la progression des besoins d’investissement des collectivités maîtres d’ouvrage »1.

La réponse du secrétaire d’Etat est immédiate :

« Je vous rappelle qu’il ne s’agit que d’un rapport d’étape. Nous aurons donc l’occasion d’approfondir les très intéressantes questions qu’il soulève. […]

1 Ibid, p. 232.

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L’analyse de ce rapport doit permettre de formuler des orientations aboutissant au rapport définitif. J’attends ce dernier pour la fin de l’année 2000. Je souhaite que cette étape finale soit menée dans la plus grande concertation avec toutes les parties concernées, notamment les collectivités concédantes. Je vous précise que j’ai bien entendu vos préoccupations. Je tiens ici à être très clair. Nous ne prévoyons aucune recentralisation des procédures, aucune réduction du rôle du Facé ni aucune remise en cause de son existence. Recevez ces assurances comme un engagement de la part du Gouvernement. J’avais d’ailleurs pris ces engagements lors des discussions préalables sur la loi relative à l’électricité, avant même de recevoir le rapport Piketty. Je les réitère solennellement devant votre aréopage. Je partage votre souhait : les orientations générales doivent être mesurées et concertées. Je pense que mon propos vous engagera à être confiants quant aux perspectives relatives aux services publics de l’électricité et du gaz »1.

Les préconisations du rapport final n’ont pas été reprises, le système de l’électrification rurale n’a pas été atteint et une tranche spécifique du FACÉ a même été créé en 2004 pour la sécurisation des réseaux aériens en fils nus (dite tranche S : tranche Sécurisation).

(b) Relais parlementaires

A l’instar d’autres fédérations d’élus locaux ou de collectivités locales, la FNCCR dispose de relais d’influence au Parlement et dans les administrations centrales. Dès 1946, les intérêts des collectivités locales adhérentes à la FNCCR étaient défendus par divers députés, emmenés par Paul Ramadier et sensibilisés par leurs responsabilités locales dans les entreprises locales de distribution ou les syndicats d’électrification.

Ces relais se sont renouvelés de législature en législature.

Le conseil d’administration de la FNCCR qui s’est renouvelé le 5 mai 2004, compte cinquante membres. Il est composé de sept sénateurs, cinq députés, un Président de Conseil général, huit Vice-présidents, six conseillers généraux2, trois anciens sénateurs et trois anciens députés.

1 ibid. p. 238.

2 N’est recensé que leur mandat principal. Un certain nombre des sénateurs et députés sont également conseillers généraux.

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Tableau 5 : Présidents de syndicats d’énergie ayant un mandat parlementaire

DPT Nom du Président Parti

pol. Parlement Mairie Conseil général

Membre du CA de la FNCCR (20-12-01), réélu au premier tour des cantonales 2004 avec 68,35% des voix

10 AUBE Micaux Pierre UMP député

Membre suppléant du conseil sup. de l'élec et du gaz, membre du CA de la FNCCR (20-12-01)

16 CHARENTE Arnaud Philippe UC sénateur Blanzac

Jacky Betrand, VP du syndicat, est membre du CA de la FNCCR (21-12-01)

Le CG bascule à gauche en 2004 22 COTES

D'ARMOR Gaubert Jean PS député Pluduno

(c.m) V-P Membre du CA de la FNCCR (20-12-01) agriculteur, ancien suppléant de M. Josselin 26 DROME

(SDED) Besson Jean PS sénateur CG Membre du CA de la FNCCR (20/12/01) Le CG bascule à gauche en 2004 33 GIRONDE Pintat Xavier UDF sénateur Soulac sur

Mer Membre du CA de la FNCCR (20-12-01)

Ancien député et conseiller général, membre de la Fédération départementale de l'énergie.

Membre du CA de la FNCCR (20-12-01)

72

V-P ex CR réélu au premier tour des cantonales 2004 avec 56,22% des voix

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L’observation attentive des discussions au Parlement, à l’occasion de l’examen des quatre dernières lois relatives au service public de l’électricité,

• loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité,

• loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie,

• loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et entreprises électriques et gazières,

• projet de loi d’orientation sur l’énergie (juin 2004 et avril-mai 2005 en deuxième lecture),

permet de mettre en évidence l’influence de la FNCCR.

Exemples d’interventions au Parlement

A l’occasion de la discussion en décembre 2002 de la loi sur les marchés énergétiques, un certain nombre d’amendements ont été présentés par des membres du conseil d’administration de la FNCCR. Celui que nous citons en exemple modifie l'article L. 3232-2 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« Quand, dans un département, existe un établissement public de coopération constitué dans le domaine de l'électricité et réunissant tous les maîtres d'ouvrage pouvant bénéficier des participations du Fonds d'amortissement des charges d'électrification, la répartition des dotations de ce fonds est réglée par cet établissement public. »

Ainsi, les fonds du FACÉ sont répartis par le syndicat départemental lorsque celui-ci réunit tous les maîtres d’ouvrage pouvant bénéficier de ces fonds. Si cet article ne modifie pas véritablement la situation antérieure - dans les départements où tous les maîtres d’ouvrage étaient regroupés dans un syndicat départemental, le Conseil général recevait l’argent et le reversait en totalité – , il conforte le rôle des syndicats d’électrification. Au Sénat, à l’occasion de la première lecture, deux amendements similaires ont été présentés par les sénateurs Pintat et Pépin.

L’amendement Pintat, soutenu par le rapporteur puis par le gouvernement, a reçu également le soutien du sénateur socialiste Jean Besson, par ailleurs Président du

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syndicat d’électricité de la Drôme. L’argumentation invoque « la volonté des communes de renforcer l’aspect décentralisateur » et la simplification des procédures.

Seule la sénateur communiste Marie-France Beaufils exprime en séance un point de vue contradictoire, suffisamment rare pour devoir être rapporté :

« J’ai été amenée à constater que, depuis quelques temps, les syndicats d’électricité avaient tendance à ne plus se consacrer simplement à l’extension de l’électrification, qu’ils élargissaient petit à petit leurs compétences et que les fonds qui normalement auraient dû être destinés à ce seul objet ne l’étaient plus totalement »1

La remarque de Mme Beaufils illustre une des critiques qui peut être apportée au système, celle d’une translation discrète des pouvoirs de l’Etat ou de ses établissements publics vers les autorités locales. La culture traditionnellement jacobine des communistes, de la CGT et d’une partie importante des ingénieurs de sensibilité gaullienne d’EDF, se heurte à cette transformation.