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Des sujets qui blessent, « fâchent » ? : thèmes de santé

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 106-109)

Chapitre 4 – DISCUSSION

B. Le thème de la représentation

1. Des sujets qui blessent, « fâchent » ? : thèmes de santé

Certains thèmes de santé sont plus sensibles et entraînent des discordances.

En ce sens, nous n’avons retrouvé ici que le thème de santé « Obésité constituée » en terme de prévention/dépistage, dans notre échantillon de 44 vidéos (N=2 consultations: A023 et A037).

Il s’agit de représentations sociales et individuelles négatives de l’obésité par le médecin,

avec stigmatisation du patient.

Nous avons constaté qu’il s’agit du même médecin, malgré son intentionnalité bienveillante.

Pour lui, inconsciemment, la représentation sociale assortie d’un jugement négatif, stipulant

que « Les patients en situation d’obésité mangent systématiquement trop », se retrouve dans les 2 consultations :

Consultation A023 :

- M « Ben c’qu’y a, faudrait perdre un peu d’poids quoi »

- P « Ben je je…comment voulez-vous que je fasse ?! »

(en levant les deux bras puis en les faisant retomber bruyamment sur ses cuisses, exprimant son impuissance, sa colère et tristesse)

- M « Ouais…non non…Ben manger moins »

Consultation A037 :

- M « Vous mangez beaucoup, vous avez bon appétit ? »

- P « Je mange pas beaucoup »

- M « En quantité, vous mangez pas beaucoup ? »

- P « Non »

- M « Ben alors… ? »

Dans un cas (consultation A023), le patient tente une affirmation de soi : « Ben je

je…comment voulez-vous que je fasse ?! (en levant les deux bras puis en les faisant

retomber bruyamment sur ses cuisses exprimant ainsi son impuissance, sa colère et tristesse) ».

106 Puis il se laisse entraîner et convaincre par cet irrationnel du praticien qui « passe en force ». Nous avons aussi observé d’autres représentations sociales et individuelles négatives associées du médecin :

D’une part, le préjugé sur le patient, sous-tendu du stéréotype « Les patients en situation de surpoids mangent forcément trop vite » :

- M « Faut pas vous précipiter sur c’que vous mangez (…) c’est peut-être que vous mangez trop vite »

- P « Ouais ouais…enfin y a pas qu’moi, ma femme elle est pareille hein »

- M « Oui…hum hum… »

- P « Donc euh on mange vite ? »

- M « Ouais c’est ça hein »

- P « Pourtant on n’est pas pressé hein »

- M « Vous prenez votre temps justement pour manger »

D’autre part, la croyance erronée de santé du médecin qui sous-tend l’inutilité du carnet alimentaire « Ce n’est pas un problème de qualité des aliments ni de quantité, de nutrition » :

- P « Ben eh j’mange de la salade (…) Ben on mange même pas une baguette par jour à deux »

- M « Ah oui. Non…c’est pas d’ça…mais c’est peut-être que vous mangez trop vite »

Enfin, il existe dans ce discours, la croyance qu’ « Il suffit de dire qu’il ne faut pas faire quelque chose pour que le comportement se modifie, sans nécessiter d’accompagnement, de

suivi ». Elle se traduit par les ordres « Ben mangez moins » ou « Vous prenez votre temps

pour manger » :

- M « Vous prenez votre temps justement pour manger (…). Bon ben, c’est tout »

Cela aboutit à l’absence d’évolution de la situation pour ce patient. Il ne lui est pas proposé de carnet alimentaire, de suivi nutritionnel pour une prise en charge adaptée en terme de prévention de l’obésité constituée.

Dans l’autre cas (consultation A037), la patiente fait de l’affirmation de soi plus longuement:

- P « Je ne mange pas beaucoup »

- M « Non ? »

- P « (…) Je vais encore me priver sur autre chose. Et le fromage ? (…) J ’en connais qui mangent deux fois plus que moi, qui sont maigres »

Cela aboutit cette fois à une proposition de carnet alimentaire, même si le médecin la pondère

inconsciemment d’une représentation sociale négative de préjugé d’échec de prévention de

l’obésité constituée, traduite implicitement par la répétition du verbe « essayer » par six fois

en moins d’une minute selon notre analyse :

- M « Bon on va essayer (…) pour essayer de mieux faire quand même (…) ce que vous pouvez, essayez euh, la prochaine fois qu’vous venez, une semaine avant de venir, vous me marquez tout ce que vous mangez, simplement pour que je vois si y a des erreurs ou pas. Vous marquez tout ce que vous prenez et comme ça, j’verrai, si y a des grosses erreurs ou pas. Vous marquez tout ce

107 que vous prenez et comme ça j’verrai (…) Hein, comme ça on va essayer de se rendre compte un peu (…) On va essayer de voir, de reprendre donc vous me faites ça sur une semaine d’affilée quand vous voulez et vous le me rapportez (…) On va essayer de voir »

Soulignons que nous avons également observé que ce thème de santé de la prévention de

l’obésité constituée, se retrouve aussi dans les situations d’alliance, car elles sont alors

exemptes de représentations assorties de jugements négatifs.

Cette stigmatisation de certaines pathologies, comme l’obésité constituée, s’explique par le

fait qu’elle s’inscrit dans des représentations sociales négatives sociétales (correspondant ici

au diktat de la mode avec apologie de la maigreur). Rappelons que « la médecine fait partie

de toute évidence de la culture » et qu’elle ne « pourrait être affranchie des représentations

de la société dans laquelle elle s’inscrit »75

.

Selon P. Cornet, à propos des représentations assorties de jugements négatifs des médecins

concernant les patients en obésité, le « surmoi hippocratique » est un « fantasme nécessaire

qui ne tient pas face au réel »76.

Il ajoute dans son travail que « la forte prévalence de l’obésité nous assure qu’aucun médecin

ne peut échapper à la question de l’accueil de patients qui en souffrent. L’affichage renouvelé des initiatives des politiques publiques vient renforcer la responsabilité du médecin généraliste qui se trouve en première ligne de la prévention et des soins. Un grand nombre d’individus, une responsabilité professionnelle accrue, qu’en est-il des représentations des uns et des autres, et des uns sur les autres ? Nos enquêtes sur le terrain ont permis de mettre en lumière les principaux constituants des représentations des médecins à propos de leurs patients en obésité. Si ces derniers imaginent une forme de neutralité, à défaut de bienveillance, de la part de leur médecin, nous avons vu combien ces patients étaient en

réalité une source de discrimination »77.

Le « surmoi hippocratique » est pourtant ce vers quoi nous devons tendre, en tant que

médecin : « Je respecterai toutes les personnes (…) sans discrimination. J’interviendrai pour

les protéger si elles sont menacées dans leur intégrité ou leur dignité (…). Je ferai tout pour

soulager les souffrances »78.

75

Laplantine F., Op. cit., p 300

76 Cornet P. (2016). Communication orale « Corps obèse et société, regards croisés entre médecins et patient – Regards de médecins… ». Congrès de Médecine Générale France, 31 Mars au 2 Avril 2016, Palais des Congrès, Paris.

77 Cornet P. (2015). Corps, obésité et société – Regards croisés entre médecins et patients, thèse de doctorat d’Université en sciences humaines et sociales, spécialité Sociologie. Faculté Paris-Est

78

Serment d’ Hippocrate

108

Ces résultats apportent un éclairage pour notre pratique.

Tout malade est souffrant, quel qu’il soit. Les patients sont déjà malades.

En tant que médecin, nos jugements négatifs à type de stigmatisation de leur pathologie (en

partie voire pleinement inconscients), contraires à la déontologie médicale, rajoutent à leur souffrance en ravivant leurs blessures, en lien avec leur histoire personnelle et celles que leur impose la société.

De plus, le fait que cela provienne du médecin lui-même, « sachant » et investi de « pouvoirs » dans la relation de confiance médecin-malade, a un impact négatif psychologique majoré sur le patient.

Il semble utile alors d’apprendre à se remettre en question pour déconstruire nos

représentations sociales et individuelles délétères avec jugement négatif « a priori ».

L’objectif est d’aller plus loin vers un mieux-être pour le patient et pour la relation de soin.

Il apparaît important d’en prendre conscience, voire, « si besoin de savoir ‘passer la main’

lorsque l’empathie est inhibée »79

.

Dans le document DOCTORAT EN MEDECINE (Page 106-109)