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II. Le livre II du Bellum ciuile

1. Structure du récit dans le livre II

Le livre II se divise en quatre grandes parties de taille proche129. Le livre s'ouvre sur l'évocation des lamentations des Romains à l'approche de César (v. 1-233). Le poète rapporte ensuite une scène qui a eu lieu dans la maison de Caton, scène au cours de laquelle, Brutus et Caton parlent de l'engagement dans la guerre civile avant que Marcia ne les rejoigne pour demander à Caton de la reprendre pour épouse (v. 234-391). Puis le narrateur évoque le déroulement de la guerre civile en Italie à travers le repli de Pompée vers Capoue, l'avancée

126 Cf. Paleit 2011.

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C'est ainsi que, par exemple, la formule cum domino pax ista uenit (Lucain, I, 670) devient « War only gives us peace » dans la traduction de Marlowe. Cf. Paleit 2011, p. 217-218.

128 La thèse selon laquelle le portrait de César dressé par Lucain n'est pas entièrement à charge et peut même susciter la sympathie du lecteur a été soutenue par Master (cf; Master 1992, notamment chapitre 1).

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de César jusqu'à Corfinium et la tentative de résistance de Domitius (v. 392-525). Enfin, le livre II s'achève sur l'épisode de la fuite de Pompée depuis Brindes où César l'a assiégé (v. 526-736). Ces quatre parties principales dans le chant II peuvent être regroupées deux par deux. En effet, les deux premières parties (v. 1-391) évoquent des événements qui ont tous lieu à Rome tandis que les deux dernières parties (v. 392-736) contiennent le récit de la campagne militaire en Italie. Néanmoins, il m'a paru préférable de conserver une division en quatre temps puisque, au sein des deux grands ensembles que je viens de délimiter, il existe une véritable coupure qui marque une nouvelle étape dans le récit130. En outre, la description des réactions à Rome tout comme l'évocation de la campagne militaire en Italie se déroule en deux temps, avec une opposition nette entre les deux moments. C'est ainsi que le tableau de l'agitation des anonymes à Rome contraste fortement avec le calme de la discussion entre Brutus et Caton. De même, les événements rapportés en II, 392-525 tendent à souligner l'imminence d'un combat décisif tandis que la fin du livre II établit définitivement l'arrêt des combats en Italie avec la fuite de Pompée vers Dyrrachium.

Au sein de ces quatre grandes temps du livre II, j'ai défini un certain nombre de sous-parties qui sont les suivantes :

1-233 : Lamentations des Romains à l'approche de César. 1-15 : Interrogations du poète sur la divination.

16-64 : Réactions des femmes et des hommes dans Rome. 64-233 : Les craintes d'un vieil homme.

234-391 : Brutus, Caton, Marcia. 242-284 : Le discours de Brutus. 286-323 : Le discours de Caton. 326-391 : Caton et Marcia.

392-525 : Le recul de Pompée, l'avancée de César, la résistance de Domitius. 405-427 : Les fleuves d'Italie.

439-477 : L'avancée de César en Italie. 478-525 : La prise de Corfinium. 526-736 : La fuite de Pompée.

531-595 : Le discours de Pompée.

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38 610-649 : Pompée à Brindes.

650-679 : César assiège Brindes. 680-736 : La fuite de Pompée.

Contrairement aux quatre parties principales, ces différents sous-ensembles ne recouvrent pas l'intégralité du texte du livre II : j'ai volontairement laissé de côté les passages de transition (où il s'agit le plus souvent d'introduire le personnage qui va prendre la parole131) dans le but de mettre en avant les principaux moments du texte qui marquent une véritable progression dans le récit de la guerre civile entrepris par le narrateur. Pour autant, les vers qui sont absents de ce découpage en sous-parties n'ont pas été laissés de côté dans le commentaire et sont toujours analysés dans le cadre des introductions aux quatre grandes section du livre II ainsi que dans le commentaire linéaire du texte.

Le livre II traite essentiellement de la guerre en Italie. Tout le conflit n'est pas évoqué dans ce seul chant : au livre I, le narrateur a déjà évoqué le passage du Rubicon par les troupes de César132 ainsi que la prise d'Ariminum133 et la fuite de Pompée hors de Rome134. Ce n'est ensuite qu'au chant III que César entrera dans Rome en vainqueur. Cependant, il me semble que l'on peut avancer que le cœur de la guerre civile en Italie est situé dans le chant II : c'est là, en effet, que sont évoquées les principales confrontations entre César et Pompée, d'abord à Corfinium par l'intermédiaire de Domitius135 puis, de façon directe, à Brindes136, même si, dans les deux cas, la confrontation décisive est finalement évitée. Sur le plan chronologique, cela signifie que le livre II correspond à la période qui s'étend du 17 janvier (date du départ de Pompée pour Capoue) au 17 mars 49 (date de la fuite de Pompée depuis Brindes), ce qui contraste fortement avec le rythme du livre I137. Le chant II voit se succéder des scènes rapides et des pauses assez longues. C'est ainsi que les 391 premiers vers du chant II ne correspondent qu'à une journée et une nuit138. A l'inverse, le narrateur fait preuve d'une extrême concision lorsqu'il présente l'avancée de César en Italie jusqu'à Corfinium entre le 17 janvier et le 14 février : ces événements sont rapportés en II, 462-477, en moins de vingt vers. Ces changements de rythme semblent avoir pour vocation de mettre en avant l'action. Or, l'action est assez peu présente dans le livre II : en effet, le narrateur crée l'attente chez le

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C'est par exemple le cas en II, 234-241 ou encore en II, 526-530.

132 I, 183-222. 133 I, 223-261. 134 I, 466-522. 135 II, 478-525. 136 II, 610-736.

137 Le narrateur y évoque les événements qui se sont déroulés entre le 10-11 janvier et le 17 janvier, à savoir seulement 7 jours.

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lecteur en annonçant un combat décisif139 qui n'aura finalement pas lieu sur le sol italien. César ne rencontre pas de véritable résistance dans sa progression en Italie : le narrateur parle des préparatifs des villes en vue d'un siège140, mais celles-ci se rendent finalement sans combattre141. Domitius, lui aussi, ne livre pas de combat puisqu'il est livré par ses troupes. Somme toute, le seul récit d'une action qui n'est pas avortée se situe à la fin du chant II : il ne s'agit pas à proprement de combats puisque Pompée fuit avec sa flotte en cherchant à éviter les troupes de César. La fuite de Pompée est néanmoins présentée comme étant une forme de combat puisqu'elle constitue une « maigre victoire » pour le général142. Les changements de rythme dans le récit se manifestent donc également par une alternance entre la tension des préparatifs pour le combat et l'absence de bataille. Enfin, la manière dont le récit de la guerre civile en Italie est mené est tout à fait intéressante : dans l'ensemble, le narrateur adopte un regard panoramique, caractéristique du narrateur omniscient, puisqu'il décrit fréquemment des scènes qui ont lieu au même moment143. Ce regard panoramique n'empêche pas le narrateur de concentrer son regard sur certaines scènes bien précises comme les lamentations à Rome ou l'entrevue de Caton et de Brutus. La structure du récit dans le livre II est donc particulièrement complexe : le narrateur alterne entre plusieurs rythmes pour évoquer la guerre civile en Italie, que ce soit en jouant sur la temporalité du récit, les effets d'attente ou sur la focalisation spatiale du regard.

2. La place du livre II au sein du Bellum ciuile

Si cette édition est uniquement consacrée au livre II du Bellum ciuile, il convient d'éviter d'isoler ce chant au sein de l'épopée de Lucain. La Pharsale est une œuvre qui, bien que vraisemblablement inachevée, a fait l'objet d'une composition minutieuse dans laquelle les échos sont nombreux144. Il n'est pas question ici de relever tous les liens entre le livre II et d'autres passages du Bellum ciuile : il m'a semblé préférable de les relever au fil du commentaire à chaque fois qu'un épisode reprenait un élément déjà évoqué par le poète ou annonçait ce qui pouvait suivre. Je n'évoquerai donc ici que les éléments qui lient de façon manifeste le livre II à d'autres livres de la Pharsale : il sera donc évidemment question du 139 Cf. II, 394-395. 140 Cf. II, 447-452. 141 Cf. II, 462-477. 142 Cf. II, 708.

143 Ce phénomène se manifeste dans l'usage de l'adverbe interea : cf. II, 326, II, 392, II, 526.

144 Sur la composition du Bellum ciuile, cf. supra p.26 sq. Les divers jeux d'échos et de reprises dans le Bellum

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livre I et du livre III qui entourent le chant II dans le poème, mais aussi du livre VII qui me semble présenter de nombreux points communs avec le livre II. Je ne développerai pas ici le parallèle entre les chants II et VIII qui est suggéré par F. Elfrieda145. En effet, il me semble que les points communs trouvés dans les deux livres ne sont pas véritablement signifiants : Elfrieda voit un parallèle dans les nombreuses figures de décapitation évoquées dans le livre II, qui préfigureraient la mort de Pompée et notamment VIII, 667-668. Mais l'évocation des têtes coupées n'est pas uniquement présente dans les chants II et VIII : comme le souligne Estèves146, le thème de la décapitation « fait sa première apparition dès le livre I, puis augmente de fréquence aux livres II, VII et VIII, pour atteindre son maximum d'occurrences aux livres IX et X ». L'autre argument majeur d'Elfrieda pour lier les chants II et VIII réside dans le motif du bûcher dans le livre II, qui annoncerait le bûcher de Pompée en VIII, 715-778. Là encore, le livre II n'est pas le livre dans lequel le bûcher est le plus évoqué : le mot

bustum est employé 40 fois dans le Bellum ciuile dont 6 au livre II, 1 au livre III, 2 au livre

IV, 2 au livre V, 7 au livre VI, 3 au livre VII, 12 au livre VIII et 7 au livre IX. Les livres II et VIII entretiennent donc bien des liens, mais ceux-ci ne me semblent pas suffisants pour y voir un véritable parallèle. Enfin, je ne développerai pas non plus les liens entre les chants II et IX qui me semblent trop peu nombreux pour considérer que les deux chants se répondent147.

A. Liens avec le livre I

Les échos et les reprises du livre I au sein du livre II sont nombreux : ils ont déjà été relevés par E. Fantham148, dont l'analyse a été complétée par P. Roche149. Les principaux points communs entre les deux chants se situent entre la fin du chant I (I, 469-695) et le début du chant II (II, 1-468). Ces deux passages sont proches par le vocabulaire employé et les thèmes abordés : c'est ainsi que les propos de Figulus en I, 642-645 trouvent un écho dans l'interrogation initiale du narrateur sur l'existence d'une providence en II, 7-12. De même, l'idée selon laquelle les présages ont pour conséquence d'enlever tout espoir aux hommes est développée en I, 522-524 avant d'être reprise en II, 14-15. En outre, certaines scènes du livre I se trouvent prolongées dans le livre II : la panique des Sénateurs, exposée en I, 486-489, réapparaît à travers le décret du iustitium et le fait que les magistrats cherchent à cacher leur

145 Cf. Elfrieda 1970, p. 59.

146

Cf Estèves 2010, p. 206.

147 Les principaux points communs entre les deux livres sont la présence d'un discours de Pompée pour donner des consignes à ses enfants (II, 632-644 et IX, 87-97) et la présence du personnage de Caton.

148 Cf. Fantham 1992, p. 23-26.

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statut (II, 16-21). Le silence des habitants d'Ariminum (I, 246 sq.) préfigure celui des habitants de Rome et le sine uoce dolor (II, 21). En outre, les plaintes des matrones (II, 28-42) reprennent plusieurs éléments des prophéties de la fin du chant I : tout d'abord, la présence même de ces matrones semble être le prolongement du discours de la matrone en délire qui clôt le chant I (I, 674-695). Mais, comme le remarque P. Roche150, le parallèle le plus frappant provient de l'idée que la guerre civile donne une forme de liberté, idée formulée dans un paradoxe par Figulus (I, 672) et répétée par les matrones qui ne peuvent se plaindre que tant que la guerre civile fait rage et qu'aucun des deux chefs n'a vaincu (II, 40-42). De même, les plaintes des hommes prêts à rejoindre la guerre civile (II, 43-64) forment une reprise des pensées des habitants d'Ariminum (I, 248-257). Le troisième discours du livre II, celui d'un vieillard qui rappelle les massacres du temps de Marius et Sylla, est anticipé à plusieurs reprises dans le livre I, notamment par une allusion aux Mânes de Marius et Sylla (I, 580-583)151. Au delà de ces nombreux détails qui sont présents dans les livres I et II, il me semble que le dernier aspect qui lie les deux chants tient au déroulement de l'action : là où le livre I contenait l'évocation des premiers événements de la guerre civile (passage du Rubicon, prise d'Ariminum et fuite de Pompée)., le livre II conclut ce récit en reprenant des éléments proches. L'avancée de César est à nouveau mentionnée mais non plus par la prise d'une ville mais de plusieurs (Auximum, Asculum, Corfinium et Brindes). De même, le passage du Rubicon trouve un écho dans le franchissement par les troupes de César du fleuve qui protège Corfinium et auquel Domitius cherche à interdire l'accès (II, 481-504). Enfin, la fuite de Pompée réapparaît à deux reprises, d'abord par la seule mention du repli à Capoue (II, 392-393) puis par le long récit du siège de Brindes et de la manière dont les navires de Pompée parviennent à franchir le blocus (II, 680-736). Les éléments parallèles qui unissent les livres I et II sont donc nombreux et ce, pour deux raisons principales : tout d'abord, les deux chants se suivant, il est naturel de voir dans le second la prolongation des événements du premier. Mais, ces échos fréquents dans le chant II s'expliquent également en raison de la volonté du poète d'établir dans les premiers chants de son épopée la tonalité du reste du poème. Les personnages sont donc montrés à plusieurs reprises dans des situations similaires pour que leur caractère apparaisse aux yeux du lecteur152.

150 Cf. Roche 2009, p. 15.

151 Pour les autres éléments de reprise, cf. Roche 2009, p. 16.

152 C'est notamment le cas de César, qui est incapable de freiner sa course en avant et qui recherche volontiers le combat (cf. le commentaire à II, 439-440).

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