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Le premier lien entre les chants II et III tient à la continuité du récit fait par le narrateur : le chant II se termine sur l'évocation de la fuite de l'armée pompéienne par la mer depuis Brindes et le chant III s'ouvre précisément sur l'évocation de la flotte de Pompée153. Ce rapprochement entre la fin du livre II et le début du livre III est aussi assuré par la mention de la destinée de Pompée : le narrateur annonce au livre II que Pompée ne viendra plus en Italie et mourra loin de cette terre (II, 728-736) tandis que le livre III débute avec les derniers regards lancés par Pompée en direction de l'Italie (III, 4-7). Enfin, dans ces deux passages, le fait que la Fortune de Pompée a changé est mis en évidence (II, 725-728 et III, 20-21). Si les liens entre les livres II et III proviennent en partie du fait que les deux livres se suivent immédiatement, il convient néanmoins de constater qu'un certain nombre d'éléments parallèles apparaissent également entre les deux chants, sans que cela soit uniquement lié à la continuité du récit. C'est ainsi que le récit d'un présage au début du livre III, l'apparition en rêve de Julie à Pompée, fait écho aux premiers vers du livre II : les présages doivent, à chaque fois, être interprétés comme des marques de l'hostilité divine (ira en II, 1 ; dei quamuis

cladem manesque minentur en III, 36). En outre, l'apparition de Julie a pour but d'enlever tout

espoir à Pompée, ce que le narrateur reproche précisément aux pratiques divinatoires au début du livre II (II, 4-6). Enfin, le fait que Julie rappelle le rapide remariage de Pompée après sa mort (III, 21-23) peut former une reprise du motif du mariage durant un veuvage, déjà illustré par les noces de Caton et Marcia (II, 326-337). La description de la peur à Rome dans le première section du livre II trouve également un écho dans le livre III, lorsque César rentre dans Rome, urbem attonitam terrore (III, 97-98) : le silence décrit en III, 100-103 rappelle notamment la douleur silencieuse du livre II (sine uoce dolor, II, 21). Un autre lien entre les chants II et III apparaît dans le catalogue des alliés de Pompée en III, 169-297 : l'évocation du nombre de ses alliés et de l'étendue des territoires occupées par ses clients rappelle les deux discours de Pompée où le général rappelle ses succès (II, 576-594 et II, 632-644). Enfin, les derniers rapprochements entre les livres II et III touchent aux scènes de siège et de bataille. En effet, les préparatifs en vue d'un siège des villes du Latium (II, 447-452), le siège de Corfinium (II, 505-506) et celui de Brindes (II, 650-679) préfigurent le long siège de Marseille dont le narrateur fait le récit au chant III (III, 298-496). En outre, la fin des deux chants est assez similaire puisque tous deux s'achèvent sur une bataille navale, qu'il s'agisse de

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la prise de deux navires pompéiens qui ne sont pas parvenus à franchir le blocus de César à Brindes (II, 709-719) ou de la grande bataille de Marseille (III, 509-762).

C. Liens avec le livre VII

Le dernier chant qui me semble entretenir un rapport étroit avec le chant II est le chant VII, dans lequel se situe le récit de la bataille de Pharsale. Ce lien est notamment assuré par le retour de certains personnages du chant II, absents jusque là dans l'épopée. Brutus, dont l'entretien avec Caton occupe une large part du chant II (II, 234-325), est présent lors de la bataille de Pharsale et le narrateur souligne alors le rôle qui sera le sien par la suite (VII, 586-596). L'autre personnage important qui réapparaît au livre VII est Domitius : le lien entre les deux scènes est particulièrement étroit puisque Domitius doit à deux reprises affronter César. Le narrateur rappelle d'ailleurs au livre VII la précédente confrontation entre les deux hommes154. En outre, les deux scènes s'articulent autour d'une joute verbale des deux protagonistes : au livre II, Domitius répond à César par la pensée (II, 494-499) tandis qu'au livre VII il peut prononcer quelques mots dans son dernier souffle (VII, 610-615). Outre ces deux personnages, d'autres éléments tissent des liens entre les chants II et VII : il s'agit tout d'abord de la représentation du deuil public suivant la mort de Pompée en VII, 37-42. L'évocation des hommes (iuuenis), des vieillards (senex) et des femmes (femineum... uulgus) rappelle les trois groupes de personnes qui ont pris la parole lors du iustitium au début du livre II. C'est ensuite le discours de Pompée à ses troupes qui est un écho du livre II : en VII, 57-123, Pompée parle à ses soldats à Pharsale et cherche à repousser le combat. Le poète inverse ainsi le discours du chant II (II, 531-595), dans lequel le général tentait de convaincre ses troupes de la nécessité du combat. Dans les deux cas, le discours se révèle infructueux, et ce pour le malheur de Pompée, contraint à la fuite dans un premier temps puis à livrer une bataille qu'il perdra dans un second temps. Enfin, le principal point commun entre les chants II et VII me semble résider dans le comportement de Pompée : le narrateur décrit à deux reprises la fuite du général. En outre, la présentation même de cette fuite est assez semblable dans les deux livres puisque le narrateur s'efforce de ne pas la présenter comme un acte de lâcheté et il tente même de la magnifier. C'est ainsi que la fuite de Brindes est présentée comme une exigua uictoria (II, 708) tandis que sa fuite à Pharsale apparaît comme un geste de protection envers ses soldats et Cornélie (VII, 671-677). Enfin, le narrateur conclut le récit de la fuite de Pompée par une considération sur le lieu qu'il fuit : si le départ depuis Brindes est

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considéré comme salutaire puisqu'il permet d'épargner l'Italie (II, 734), la bataille et la fuite de Pharsale font de la Thessalie une terre maudite (VII, 847-872). Pour conclure cet aperçu des liens qui unissent les livres II et VII, il importe de souligner que cette proximité entre les deux chants ne doit pas surprendre le lecteur. En effet, plus que la marque d'une structure dans laquelle chaque livre de la première moitié de l'épopée trouverait un correspondant dans la seconde moitié155, il me semble qu'il faut considérer que, jusqu'au chant VII, le poète multiplie les préfigurations de la défaite de Pharsale et de la mort de Pompée. Le chant II n'est donc pas le seul à entretenir un rapport étroit avec le chant VII156.

3. Les personnages du livre II

Pour achever la présentation du livre II du Bellum ciuile, il convient de présenter les différents protagonistes qui y apparaissent. En effet, le livre II est particulièrement intéressant puisqu'il laisse la parole aux trois personnages principaux du Bellum ciuile, César, Pompée et Caton. Ces trois personnages peuvent être répartis en deux groupes : d'un côté, Pompée et Caton sont mis en scène presque exclusivement à travers leurs discours, de l'autre côté, César, lui, parle peu mais est le véritable moteur de l'action au sein du livre II. J. Soubiran157 estime que ces trois personnages jouent dans l'épopée des rôles complémentaires : selon lui, ils illustrent les trois fonctions primitives, religieuse pour Caton, militaire pour César et civique pour Pompée. L. Thompson158 préfère voir dans chacun des personnages l'incarnation d'une valeur : Caton serait la pietas et la uirtus, César le furor et Pompée l'amor. Ces deux théories ont pour principal intérêt de mettre en évidence la manière dont les personnages du Bellum

ciuile sont présentés. Au delà de leur rôle dans l'action, les personnages représentent certaines

valeurs ou certaines passions de façon symbolique. C'est l'existence de ce système de valeur qui a pu rendre délicate la tâche des commentateurs cherchant à comprendre qui étaient les héros de la Pharsale159. Le but de ces présentations n'est pas de faire une analyse complète de la manière dont Lucain met en scène les divers personnages dans le Bellum ciuile ou de

155 C'est notamment la théorie d'Elfrieda 1970 qui suppose l'existence d'une double structure, le chant I correspondant au chant VII, le chant II au chant VIII et ainsi de suite. Cette première structure serait redoublée d'une construction en miroir autour du chant VII, le chant VI annonçant le chant VIII, le chant V préfigurant le chant IX...

156 Roche 2009 étudie notamment les liens entre les chants I et VII (p. 17-19).

157 Soubiran 1967, p. 59-60.

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Thompson 1984, p. 207.

159 Sanford 1934 montre que ce débat existait déjà au Moyen-Âge puisqu'on en trouve des traces dans les manuscrits. Un manuscrit du Xème siècle présente ainsi une note dans laquelle un commentateur estime que les héros sont César et Pompée tandis que, dans un manuscrit du XIIème siècle, Caton et Curion font leur apparition au sein des personnages principaux.

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chercher à déterminer qui est le héros de l'épopée mais plutôt de voir comment ces personnages apparaissent dans le livre II, tout en tentant de resituer rapidement le livre II au sein de la Pharsale. Enfin, je présenterai brièvement les autres personnages historiques qui participent à l'action dans le livre II, à savoir Brutus, Marcia et enfin Domitius.