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La réflexion s’articule autour de quatre parties qui chacune développe un agir particulier, une dimension de la nationalisation des frontières. Chacune porte sur l’intégralité de la période étudiée. Les développements diplomatiques sont présentés en ouverture parce qu’ils ont été les enjeux les plus débattus par l’historiographie et parce que leur examen permet de poser un cadre chronologique au sein duquel les autres dimensions se meuvent. Mais théoriquement, le lecteur pourra commencer par n’importe quelle partie s’il suit l’ordre des chapitres en son sein.

La première partie, « définir » les frontières, aborde donc l’agir diplomatique qui cherche à forger une frontière définitive entre le Pérou et l’Équateur. Le chapitre 1 montre que l’échec de la délimitation frontalière, c’est-à-dire de l’accord entre les deux chancelleries pour définir sur le papier une frontière commune, résulte d’une culture diplomatique commune qui faisait structurellement obstacle à tout accord, tout en participant à l’escalade de la période 1933-1938 qui menait les deux pays à l’affrontement armé. Le chapitre 2 élargit la focale en prenant en compte les nations extérieures sur la période 1939-1949. Il montre que les dysfonctionnements du système interaméricain n’ont pas empêché les diverses puissances impliquées de mener la tâche de démarcation de la frontière, c’est-à-dire de présence physique au sol, et de considérer le petit conflit andin comme un laboratoire du maintien de la paix.

La deuxième partie, « militariser les frontières », décrit l’escalade à la frontière même en mettant en scène les garnisons de frontières et les habitants. Le chapitre 3 effectue ce travail sur le front occidental, c’est-à-dire sur les territoires côtiers et montagneux. Il montre que le renforcement de la présence militaire au cours de la décennie 1932-1942 contribue à différencier des habitants binationaux en deux blocs distincts de Péruviens et d’Équatoriens, tout en participant activement à l’escalade militaire. Les chapitres 4, 5 et 6 effectuent un travail similaire sur l’Amazonie, en approfondissant ce théâtre qui est souvent présenté comme un objet passif de la guerre de 1941. Le chapitre 4 présente le processus de militarisation des orients qui aboutit à une présence inédite de l’État dans ces territoires. Il montre que l’agir militaire étaient relativement commun aux deux pays, malgré les accusations réciproques d’ « invasions » de leur territoire oriental. Le chapitre 5 développe la manière dont les armées entendent désormais constituer le principal bras armé de l’État pour nationaliser les territoires et les habitants orientaux, en particulier contre l’Église. Le chapitre 6 analyse la relation des armées nationales aux indiens d’Amazonie. Alors que le débat sur l’intégration nationale des amérindiens s’était cantonné dans les deux républiques aux populations des montagnes, les nécessités de la présence militaire imposent une question indienne d’Amazonie tout à fait originale qui aboutit à un apprentissage de la nationalité par les indiens qui participe à jeter les bases de leur intégration à la citoyenneté.

La troisième partie, « conquérir les frontières », s’intéresse plus particulièrement aux préparatifs et à la menée des batailles, c’est-à-dire à l’utilisation des armées en temps de guerre. Le chapitre 7 explore les plans de guerre et les programmes de réarmement. Il montre qu’une partie de l’état-major péruvien a en effet mis sur pieds un plan d’attaque mesuré de l’Équateur à partir de 1940, mais qu’en définitive, les deux pays communiaient dans la conviction que la préparation de la guerre signifiait d’abord forger la nation. Le chapitre 8 relate les événements qui ont éclaté en juillet 1941 - les batailles - et dont les échos se poursuivent de nombreux mois. Il montre que l’originalité des opérations réside dans leur caractère limité, qui résulte d’une croyance généralisée dans les bienfaits de la paix américaine. Le chapitre 9, qui aborde un sujet peu étudié, s’intéresse à l’occupation de la province équatorienne de El Oro par les troupes péruviennes pendant plusieurs mois. Il montre que les autorités péruviennes ont connu la tentation de rattacher définitivement ces territoires au Pérou, mais que les événements de 1941-1942 ont finalement contribué à séparer un peu plus les Péruviens des Équatoriens dans cette région.

La quatrième partie, « imaginer les frontières », place la focale sur les dynamiques politiques et culturelles, principalement dans les capitales. Peu de travaux ont mis en évidence

les liens directs entre le conflit frontalier et la situation politique des deux pays. Le chapitre 10 analyse la question des « opinions publiques » en regard du conflit frontalier et montre que, soumis à des injonctions similaires, les gouvernements du Pérou et de l’Équateur ont contribué par leur utilisation instrumentale des opinions à forger incidemment une part importante de l’imaginaire national. Enfin, le chapitre 11 se centre sur les réactions politiques proprement dites aux événements de juillet 1941. Il montre que dans les deux pays, l’esprit d’union nationale a prévalu un court laps de temps. Son rapide délitement au Pérou et en Équateur a cependant transformé cette union nationale en mythe sur lequel gouvernements et révolutionnaires ont capitalisé, l’inscrivant dans le répertoire de la nationalité.

Pour le lecteur qui décide de choisir l’ordre pré-établi des chapitres, nous commençons par explorer le monde d’Homero et son odyssée diplomatique qui met les voiles non vers Ithaque mais vers le petit port amazonien de Leticia.