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La guerre entre le Pérou et l’Équateur et la nationalisation des frontières andines (1933-1945)

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-03231331

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03231331

Submitted on 20 May 2021

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La guerre entre le Pérou et l’Équateur et la

nationalisation des frontières andines (1933-1945)

François Bignon

To cite this version:

François Bignon. La guerre entre le Pérou et l’Équateur et la nationalisation des frontières andines (1933-1945). Histoire. Université Rennes 2, 2020. Français. �NNT : 2020REN20032�. �tel-03231331�

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T

HÈSE DE DOCTORAT DE

L’UNIVERSITE

RENNES

2

ECOLE DOCTORALE N°604 Sociétés, Temps, Territoires

Spécialité : Histoire

La guerre entre le Pérou et l’Équateur

et la nationalisation des frontières andines (1933-1945)

Volume 1

Thèse présentée et soutenue à Rennes, le 30 novembre 2020 Unité de recherche : Arènes UMR 6051

Par

François BIGNON

Rapporteurs avant soutenance :

M. Olivier Compagnon,Professeur, Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine/Université Paris 3 Mme Catherine HEYMANN, Professeure émérite, Université Paris Nanterre

Composition du Jury :

Examinateurs : M. Olivier Compagnon, Professeur, Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine/Université Paris 3 Mme Catherine HEYMANN, Professeure émérite, Université Paris Nanterre

Mme Jimena OBREGÓN ITURRA, Professeure, Université Rennes 2 Mme Emmanuelle SINARDET, Professeure, Université Paris Nanterre

M. Clément THIBAUD, Directeur d’Études, Écoles des Hautes Études en Sciences Sociales/Paris Dir. de thèse : M. Luc CAPDEVILA, Professeur, Université Rennes 2

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UNIVERSITÉ RENNES 2 – HAUTE BRETAGNE Arènes UMR 6051

École Doctorale n° 604 - Sciences, Temps, Territoires Sous le sceau de l’Université Bretagne Loire

La guerre entre le Pérou et l’Équateur et la nationalisation des frontières andines

(1933-1945)

Thèse de Doctorat Discipline : Histoire

Volume 1

Présentée par François BIGNON

Directeur de thèse : Luc CAPDEVILA Soutenue le 30 novembre 2020

Jury :

M. Olivier COMPAGNON, Professeur, Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine/Université Paris 3 (Rapporteur)

Mme Catherine HEYMANN, Professeure émérite, Université Paris Nanterre (Rapporteur)

Mme Jimena OBREGÓN ITURRA, Professeure, Université Rennes 2 Mme Emmanuelle SINARDET, Professeure, Université Paris Nanterre M. Clément THIBAUD, Directeur d’Études, Écoles des Hautes Études en Sciences Sociales/Paris

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Remerciements

Au cours de près de sept années de recherche menées dans quatre pays distincts, j’ai nécessairement contracté une immense dette auprès de très nombreuses personne et institutions.

Je remercie en premier lieu mon directeur de recherches Luc Capdevila, qui a toujours fait preuve de disponibilité et qui a su attirer mon attention sur les conflits sudaméricains.

Ce travail n’aurait pas pu être mené sans un séjour de trois années dans la région andine grâce au contrat doctoral fléché de l’Institut des Amériques, dont j’ai été le coordinateur à Lima (2014-2017). Je salue ses membres scientifiques et administratifs, ainsi que le réseau des coordinateurs que j’ai été amené à côtoyer au cours de cette aventure.

Le traitement de la masse documentaire et l’écriture auraient été ensuite demeurés impossibles sans les postes d’Assistant Temporaire d’Enseignement et de Recherche dont j’ai été chargé à l’Université Rennes 2 (2017-2020), qui m’ont apporté le recul scientifique et la patience pédagogique. Je salue ainsi tous les collègues du département d’Histoire et les personnels et chercheurs de l’Université. Les laboratoires du CERHIO puis Arènes (UMR 6051) ont également appuyé cette recherche, ce pour quoi je les remercie, ainsi que l’école doctorale Société Temps Territoires (STT). Je salue également les échanges féconds avec le groupe de doctorants de l’IdA-Rennes, « Escala ».

A Lima, je tiens particulièrement à rendre hommage à la grande famille de l’Institut Français d’Études Andines qui m’a accueilli au sein de ses locaux et de ses projets. Je suis ainsi redevable à tous les chercheurs et personnels de cette institution, en premier lieu aux directeurs Gérard Borras puis Évelyne Mesclier. La sociabilité de l’IFEA m’a mis en contact avec de nombreuses personnes venues d’horizons divers. Je tiens à remercier Kattia Pacheco, Cyriaque Hattemer, Quentin Marchand, Jérémy Robert et Alexandre Surallés, mes camarades de bureaux, ainsi que Nora Araujo, Cécilia et Erika Baldassari Anne-Marie Brougère Miguel Angel Carreño, José Olivera Jésus Guzmán, Vanessa Ponce de León, Charlotte Quinquis, Alina Wong, ainsi que toutes les personnes qui ont gravité de près ou de loin autour des locaux de l’Avenue Arequipa puis de la Casa Brignardello. Le séminaire des jeunes chercheurs que j’ai co-animé a également permis de belles rencontres.

A Lima toujours, de nombreuses personnes et institutions ont contribué à permettre la naissance de ce travail. Je remercie à ce titre les personnels du ministère des Relations extérieures et de ses archives, du Centro de Estudios Histórico-Militares del Perú (CEHMP) et particulièrement de son irremplaçable archiviste d’alors German Matute, de la Pontificia Universidad Católica del Perú (PUCP) et particulièrement Julio Néstor Núñez Espinoza chargé des collections spéciales, de la Bibliothèque Nationale du Pérou, de l’Institut Riva Agüero, des Archives Générales de la Nation, de la Marine de Guerre du Pérou, du Centro Amazónico de Antropología y Aplicación Práctica (CAAAP) ainsi que l’Université San Marcos (UNMSM), particulièrement José Chaupis, et de son centre culturel, l’Institut Porras Barrenechea.

Je salue tout particulièrement les anciens combattants que j’ai rencontrés à travers leur association de Lima, ainsi que le personnel de cette institution et son directeur, le colonel Arias qui a à cœur d’œuvrer à la compréhension mutuelle entre les anciens combattants du Pérou et de l’Équateur. Les vétérans très âgés et leurs familles ont souvent accepté avec enthousiasme de partager avec moi leur histoire. Mauricio Novoa, historien dont l’histoire familiale est intimement liée à la guerre de 1941, m’a apporté son aide indéfectible et irremplaçable.

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A Iquitos, je remercie le personnel de la Bibliothèque amazonienne, un lieu hors du temps et pourtant apte à développer l’histoire de l’Amazonie. Paul Codjia a bien voulu me guider jusqu‘aux terres « Jivaro » à Santa María de Nieva, et a participé à la collecte et au traitement des témoignages amérindiens. Qu’il en soit remercié. À Santa Rosa, petit bourg qui fait face au port colombien de Leticia, Miguel Ramírez m’a généreusement accueilli dans son foyer et m’a conté les histoires de frontières.

En Équateur, mon séjour a été beaucoup plus court qu’au Pérou, mais d’une grande richesse professionnelle et humaine grâce à des personnes de qualité. Je remercie particulièrement Luis Esteban Vizuete Marcillo qui m’a orienté à Quito, et Andrea Bustos et David Bustos, malheureusement décédé le 11 février 2018, qui m’ont accueilli et guidé à Machala et dans la région de El Oro. La consultation des archives militaires m’a été permise grâce à l’entregent du major Jorge Martínez et à l’aide efficace du sergent Adrián Hidalgo. Je dois également remercier le Centro de Estudios Históricos del Ejército Ecuatoriano qui m’a offert de nombreux ouvrages très utiles. La consultation des archives diplomatiques a été facilitée par Fanny Santos Zambrano et Pablo Nuñez qui m’a de surcroit transmis des entretiens inédits d’anciens combattants équatoriens. Je remercie également les personnels de la Bibliothèque Équatorienne Aurelio Espinosa Pólit, des Archives Nationales, ainsi que María Eugenia Tamariz qui s’est si aimablement proposé de me transmettre les archives numérisées du Tena-Archidona, que je n’ai pas été en mesure de traiter cependant.

A Machala, je dois encore saluer Rodrigo Murillo, qui a bien voulu me transmettre ses recherches inédites sur l’occupation de la province et dont la compagnie a été agréable et bénéfique, Oswaldo Borja Idrovo, de l’Archivo municipal de Machala, et Amparito Espinoza de la Casa de la Cultura ecuatoriana de Machala. Les témoins que j’y ai rencontrés m’ont offert de très beaux moments et je garde un souvenir ému du témoignage de Catalina Vélez.

En Colombie, mes remerciements vont à Cristina Moreno, alors coordinatrice du Pôle de l’IdA, qui m’a accueilli lors d’un de mes séjours et m’a permis de découvrir le parlement andin. Carlos Camacho a bien voulu m’éclairer sur les chemins de la guerre amazonienne grâce à son enthousiasme et à son étude fondamentale du conflit de Leticia. Je remercie également le personnel des Archives Générales de la Nation et les étudiants de l’Université Nationale qui m’ont invité pour la grand-messe du congrès des étudiants d’histoire latinoaméricains (ELEH). De même, Carlos Zárate a accepté de me recevoir à la dernière étape de mon périple amazonien dans les locaux de l’Université Nationale à Leticia.

Au Chili, je remercie bien sûr Claudio Tapia pour m’avoir invité à un séjour de recherche et pour m’avoir transmis ses travaux sur les relations du Chili avec l’Équateur et avec le Pérou.

En France, je dois remercier le personnel des Archives du ministère des Affaires Étrangères à Nantes et à La Courneuve, ainsi que celui du Service Historique de la Défense, de même que les collègues qui m’ont invité à m’exprimer au cours d’événements scientifiques fertiles à Bordeaux, Nantes, Paris et bien sûr Rennes.

Les relecteurs de ce travail m’ont apporté une aide incomparable. Paul Codjia, Raphaël Colliaux et Sylvain Leberre m’ont éclairé sur la démarche scientifique. Hervé Bignon a revu une grande partie des traductions grâce à son inoxydable bagage littéraire hispanophone. Caroline Bignon et Jane Guérin m’ont également apporté leur aide précieuse et précise.

Je remercie par ailleurs de nombreux chercheurs et chercheuses qui ont alimenté mes réflexions sur les frontières andines ou sur l’histoire générale au cours d’échanges parfois officiels mais le plus souvent informels, de rencontres éphémères ou au contraire de relations nouées dans la durée. Je salue ainsi Susana Aldana, Víctor Arrambide, Frederica Barclay, Floriane Blanc, Jean-Pierre Chaumeil, Pamela Colombo, Olivier Compagnon, Manuel

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Dammert Guardia, Ombeline Dagicour, Juliette Dumont, Pilar García Jordán, Samuel Gicquel, Morgana Herrera, Annick Lempérière, Lucile Medina, Jimena Obregón, Gustavo Pastor, Karen Poulsen, Silvia Romio, Gilles Richard Juan Carlos La Serna, Jorge Ortiz Sotelo, Lisa Ubelaker Andrade, Eduardo Toche, Yannick Wehrli et tous ceux qui me pardonneront de ne pas pouvoir les citer tous.

Enfin, je n’aurais pu entreprendre un tel projet sans l’appui de mes proches. Je prie ma mère, mon père, mes sœurs et mes amis, d’accepter ces remerciements encore trop généraux, et Brenda d’accepter ma gratitude pour tout le reste.

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Sommaire du volume 1

Remerciements ________________________________________________________________________ 3 Avertissement sur les usages lexicaux et les traductions ______________________________________ 11 Sigles & abréviations __________________________________________________________________ 13

Introduction ... 15

PREMIÈRE PARTIE : DÉFINIR LES FRONTIÈRES _________________________________ 53

Chapitre 1 : L’échec de la délimitation bilatérale (1933-1938) et la culture diplomatique de la frontière ... 55

I- Un détonateur nommé Leticia _____________________________________________________ 56 II- La conférence de Washington (1936-1938), révélatrice d’une culture diplomatique commune

70

III- La schizophrénie andine dans le théâtre diplomatique de l’entre-deux-guerres ____________ 84 IV- Savoir et faire savoir : communication et renseignement comme facteurs de l’escalade ____ 103 Conclusion _________________________________________________________________________ 131

Chapitre 2 : Les États désunis d’Amérique et le laboratoire frontalier (1939-1949) ... 133

I- La route sinueuse du multilatéralisme _____________________________________________ 135 II- Apprendre à maintenir la paix : puissances médiatrices et experts internationaux ________ 169 III- Tracer les frontières _____________________________________________________________ 182 Conclusion _________________________________________________________________________ 196 DEUXIÈME PARTIE : MILITARISER LES FRONTIÈRES ____________________________ 199

Chapitre 3 : Militaires et civils sur le front occidental : la différenciation nationale à l’œuvre (1932-1944) ... 201

I- Contrôler un territoire et sa population ____________________________________________ 209 II- L’impossible nationalisation totale des populations transfrontalières ___________________ 215 III- La colonisation agro-militaire des planteurs de tabac : le brouillage des enjeux militaires et civils 223

IV- Une militarisation tardive mais décisive ____________________________________________ 228 V- La guerre et la mise en œuvre effective de la différenciation nationale __________________ 244 Conclusion _________________________________________________________________________ 251

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Chapitre 4 : Militariser l’Amazonie : les armées nationales face à face sur le front oriental (1933-1942) ... 253

I- Une présence approfondie mais asymétrique _________________________________________ 266 II- Vivre dans une garnison frontalière : les défis quotidiens des armées ____________________ 279 III- Dynamiques d’une escalade _______________________________________________________ 288 IV- Rocafuerte-Pantoja : une ville frontière militarisée sur le Napo _________________________ 299 Conclusion _________________________________________________________________________ 313

Chapitre 5 : Le soldat, le colon et le missionnaire : les armées face aux groupes coloniaux de l’Amazonie... 315

I- Le sabre et le goupillon : nationaliser par l’armée ou par les missions ? ____________________ 316 II- Surveiller, encourager, punir : la nationalisation des colons ______________________________ 324 III- La colonisation militaire __________________________________________________________ 334 Conclusion __________________________________________________________________________ 346

Chapitre 6 : Les armées et la « question indienne » d’Amazonie ... 347

I- La construction d’un problème « indien de la selva » ___________________________________ 352 II- Les « bons » et les « mauvais » indiens ______________________________________________ 360 III- Les réponses à la « question indienne » ______________________________________________ 364 IV- Des politiques couronnées de succès ? _______________________________________________ 378 V- Après la guerre : le processus militaire de différenciation ethnique continue ________________ 383 Conclusion __________________________________________________________________________ 388

TROISIÈME PARTIE : CONQUÉRIR LES FRONTIÈRES ____________________________ 391

Chapitre 7 : Préparer les armées : des projets asymétriques de modernisation militaire ... 393

I- Armer la nation : course aux armements et désignation de l’ennemi ____________________ 394 II- Former les militaires : des armées sous influence ?___________________________________ 412 III- Programmer la guerre : plans secrets et plans fantômes _______________________________ 424 Conclusion _________________________________________________________________________ 441

Chapitre 8 : Une guerre limitée au temps des grands massacres ... 443

I- L’escalade (décembre 1940-juillet 1941) ___________________________________________ 445 II- 5-6 juillet : l’étincelle ____________________________________________________________ 447 III- 7-23 juillet : la mobilisation d’une « Drôle de guerre » ________________________________ 451 IV- 23-31 juillet : la grande offensive __________________________________________________ 468 V- Après le 31 juillet, « coup de main » en Amazonie ____________________________________ 497 VI- Août 1941-janvier 1942 : guerre de basse intensité et après-guerre _____________________ 507 Conclusion _________________________________________________________________________ 516

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Chapitre 9 : L’occupation de El Oro : une annexion temporaire ... 519

I- Un enjeu géopolitique et médiatique continental ____________________________________ 523 II- Organiser l’occupation : enjeux politiques de la logistique occupante ___________________ 535 III- Les Orenses pris en étau _________________________________________________________ 552 Conclusion _________________________________________________________________________ 571 QUATRIÈME PARTIE : IMAGINER LES FRONTIÈRES _____________________________ 575 Chapitre 10 : Contrôler l’opinion, co-inventer la frontière au temps des masses ... 577

I- La part du voisin. La place et le rôle politique de la « question frontalière » ______________ 581 II- La carte et l’espion : deux supports de l’expression patriotique ________________________ 596 III- Contrôler les instruments de l’opinion _____________________________________________ 603 IV- Qui a découvert l’Amazone ? Enjeux géopolitiques d’un débat scientifique et culturel _____ 624 Conclusion _________________________________________________________________________ 641 Chapitre 11 : L’esprit de 41 : le mythe de l’union nationale dans la guerre et son héritage ... 643

I- Véritables mais éphémères unions nationales _______________________________________ 644 II- Digérer la défaite : Le grand débat équatorien d’après-guerre _________________________ 667 III- Pérenniser la victoire : propagande et élections au Pérou _____________________________ 681 Conclusion _________________________________________________________________________ 707 Conclusion générale ... 709

Table des figures, tableaux & encadrés ... 725

Table des matières du volume 1 ... 729

Sommaire du volume 2

Sources ... 741

Bibliographie ... 749

Documents ... 773

Citations originales... 842

Index des noms de personnes ... 899

Table des matières du volume 2 ... 905

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Avertissement sur les usages lexicaux et les traductions

Nous avons fait le choix de traduire systématiquement les citations originales (espagnol, anglais, portugais et wampis) pour permettre la consultation de ce travail par les lecteurs francophones. Sauf indication contraire, les traductions dans le corps et dans les annexes sont de notre fait. On trouvera à la fin du volume 2 l’intégralité des citations originales. Ce faisant, nous avons été amenés à effectuer des choix qui sont par nature perfectibles.

En raison de l’appellation originale de canciller, on utilisera généralement le terme chancelier pour se référer au ministre des Affaires Étrangères, ou encore ministre des Relations Extérieures (Ministro de Relaciones Exteriores) et chancellerie (cancillería) pour le ministère, tandis que ces postes aux États-Unis seront désignés par les termes autochtones de Secrétaire d’État et Département d’État. Le ministère péruvien est souvent désigné comme la chancellerie du Rimac, en référence au fleuve de la capitale, ou encore Torre Tagle, le palais de Lima où siège la diplomatie péruvienne. Son équivalent brésilien est généralement appelé Itamaraty. L’Équateur ne dispose pas de raccourci de ce type. On y fait généralement référence comme la chancellerie de Quito. Pour les représentants diplomatiques, l’appellation de ministre, sauf s’il est entendu qu’il s’agit d’un portefeuille ministériel au sein d’un gouvernement, fait toujours référence à la fonction de ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire. Nous abrégeons dans les traductions la nomenclature des postes officiels de gouvernement : Ministro de Estado

en el Despacho de Defensa sera ainsi ministre de la Défense, Ministro de Gobierno sera le

ministre de l’Intérieur, etc.

La géographie, en particulier amazonienne, comporte de nombreux termes qui ne peuvent systématiquement être traduits car ils renvoient à une réalité singulière. Oriente, littéralement l’Orient, renvoie pour les pays andins aux territoires du bassin amazonien, généralement placés à l’Est de ces États. On préférera souvent Oriente à Orient qui peut faire référence dans le contexte européen à l’Asie et à l’Afrique, ainsi qu’à l’orientalisme décrit par Edward Saïd, quoiqu’il y ait des parallèles entre les imaginaires de l’Oriente et ceux de l’Orient. Une même logique conduira à employer les termes Nororiente ou Suroriente. On utilisera également les termes Amazonie et amazonien pour se référer à la région en général. Dans certains cas, nous avons préféré conserver les termes originaux de Selva et forgé son adjectif « selvatique » pour rendre compte plus spécifiquement du milieu composé d’une forêt tropicale dense.

D’autres éléments géographiques souffrent de leur traduction : ainsi de quebrada, qui désigne une vallée ou un fossé plus ou moins grand formé par un cours d’eau actif ou tari, que l’on préfèrera parfois aux termes ravin, gorge ou défilé. Le terme trocha fait référence à un chemin ouvert en pleine forêt, tandis que le varadero, est un chemin qui relie deux rivières.

Pour faire référence aux cours d’eau d’Amazonie, nous utilisons soit les termes de río (río Santiago, río Napo), soit ceux de rivières ou de fleuve. Ce dernier terme est généralement réservé aux cours d’eau qui débouchent sur la mer, mais son usage nous a paru adapté pour une région où le réseau dense de cours d’eau puissants configure une sorte d’immense delta dont le Marañón et l’Amazone seraient les mers intérieures. Les sources parlent d’ailleurs de la

fuerza fluvial pour désigner la marine amazonienne.

Le vocabulaire militaire comporte également des spécificités. L’armée fera référence à l’armée de terre (ejército), tandis que « les forces armées » incluront la marine (marina,

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par sous-lieutenant. Le Teniente Político a été traduit par lieutenant politique. C’est un maillon de la chaîne administrative de l’Équateur dont il est parfois difficile d’établir le caractère civil ou militaire.

Les termes associés à la frontière comportent eux aussi une richesse qu’il aurait été problématique de simplifier à l’excès. Limítrofe a été traduit par limitrophe, quand bien même une traduction plus classique aurait choisi frontalier. Nous soulignons ainsi la différence entre la frontera et los límites.

Nous avons également souhaité conserver la richesse du vocabulaire latinoaméricain sur des phénomènes essentiels comme le nationalisme. Les termes de nación et nacionalidad, tous deux traduits par nation dans les dictionnaires, comportent en réalité de subtiles différences et nous avons préféré traduire le deuxième par nationalité, sans que cela ne renvoie exactement à l’acquisition juridique de la nationalité dans son sens français. De même, nous avons traduit

conacional par conational, car le terme de compatriote ne nous paraissait pas rendre exactement

compte de cette appellation lourde de sens quand elle est appliquée à des amérindiens. Sur l’usage des termes indiens, amérindiens, sylvicoles, etc., nous renvoyons aux notes du chapitre 6. Nous n’utilisons pas de majuscule à « indiens » afin de ne pas essentialiser leurs trajectoires individuelles.

L’usage de lettres capitales est très courant dans les sources consultées. Il est destiné à souligner certains mots, en général pour indiquer l’importance morale que le locuteur lui attribue (PATRIA, par exemple). Ce procédé rend difficile la lecture de tels textes par le lecteur d’aujourd’hui qui considère ce procédé comme un haussement de ton. Les lettres capitales ont donc été transcrites par des italiques dans la traduction, sauf exception.

Dans les notes, lorsque le nom d’un auteur apparaît en petites majuscules, l’œuvre qui suit a été publiée. Lorsque le nom apparaît en minuscule, l’œuvre suivante n’a été produite qu’à un petit nombre d’exemplaires et fait donc figure d’inédit.

Afin d’alléger les notes de bas de pages, les titres des dossiers d’archives consultés ont été reportés en annexes dans la partie correspondant à la liste des sources.

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Sigles & abréviations

Liste des sigles

ACMRE : Archivo central del Ministerio de relaciones Exteriores (Lima, Pérou) AHMGP : Archivo histórico de la Marina de Guerra del Perú

AHMRE : Archivo histórico del Ministerio de relaciones Exteriores (Quito, Équateur) ALMRE : Archivo de Límites del Ministerio de Relaciones Exteriores (Lima, Pérou) AGNC : Archivo General de la Nación (Bogota, Colombie)

AGNP : Archivo General de la Nación, Sección republicana (Lima, Pérou)

AMAEC : Archives du Ministère des Affaires Étrangères (La Courneuve, France) AMAEN : Archives du Ministère des Affaires Étrangères (Nantes, France)

ANE :Archivo Nacional del Ecuador (Quito, Équateur) APRA : Allianza Popular Revolucionaria Americana

BEAEP : Biblioteca Ecuatoriana Aurelio Espinosa Pólit (Quito, Équateur) BNP : Biblioteca Nacional del Perú (Lima, Pérou)

CEHMP: Centro de Estudios Histórico-Militares del Perú (Lima, Pérou) CPJI : Cour Pénale de Justice internationale (La Haye, Pays-Bas)

ESMIL : Archivo Histórico del Ejército Ecuatoriano, Escuela Superior Militar « Eloy Alfaro » (Quito, Équateur)

FRUS : Foreign Relations of the United States, documents diplomatiques publiés par le gouvernement des États-Unis

IRA Instituto Riva Agüero (Lima, Pérou) PAP : Partido Aprista Peruano

PSE : Partido Socialista Ecuatoriano SDN: Société des Nations

SIN : Service d’Information National (Service de renseignement de l’Équateur) SHD : Service Historique de la Défence (Vincennes, France)

UR : Unión Revolucionaria, parti fasciste du Pérou

Abréviations

Col. doc : COMISIÓN CATALOGADORA DEL CENTRO DE ESTUDIOS HISTÓRICO-MILITARES DEL PERÚ, Colección documental del conflicto y campaña militar con el Ecuador en 1941, Lima, 1978, 7 volumes. Les références renvoient au numéro de volumen (vol.) et au numéro du document au sein du volume (doc. n°). La table des matières de chaque volume permettra de retrouver aisément la page du document.

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Introduction

En 1936, Homero avait 46 ans, tandis que Francisco ne connaissait sans doute pas lui-même son âge.1 Le premier, diplomate blanc de bonne famille, signa cette année-là à Lima un accord

décisif pour la frontière de son pays l’Équateur avec le voisin péruvien, alors que le second, indien shuar guide pour les voyageurs, entrait au service d’une expédition d’aventuriers français dans la zone de la frontière amazonienne contestée entre les deux pays. Le diplomate était né et avait grandi à Ambato, dans la cordillère équatorienne, avant de parfaire ses études à Quito où il reçut le titre de docteur en jurisprudence. Dès ses jeunes années, il s’était rendu à un congrès d’étudiants à Lima où il avait brillé par son éloquence, découvrant ainsi la capitale du voisin problématique. Il avait ensuite suivi une carrière ascendante qui l’avait mené à exercer les fonctions de ministre de l’Instruction et des Affaires étrangères. Le guide indien, qui ne s’appelait pas encore Francisco, était né quant à lui sur le río Pastaza au cœur de la forêt, d’un père Shuar et d’une mère Cocama. Depuis que son chaman de père avait été assassiné à ses côtés par des indiens du Nord, la vengeance avait guidé son existence. Il s’était rapproché sans succès des indiens muratos, ses ennemis héréditaires, pour les mener à l’expédition punitive. Il avait ensuite travaillé avec un blanc qui lui avait donné un nom chrétien, et auquel il avait emprunté pantalon, chemise, et quelques mots d’espagnol. Il travaillait désormais pour les « Péruviens », bien qu’il refusât de prendre l’uniforme de l’armée comme il avait vu d’autres indiens le faire. À partir de 1936, Homero fut une pièce centrale de la diplomatie équatorienne dans son litige frontalier. Il est envoyé en 1939 à Rio de Janeiro pour convaincre les Brésiliens d’intervenir dans la dispute territoriale, ce à quoi il parvient. Il y caresse l’espoir de recruter son ami et partenaire d’échecs le prix Nobel Stefan Zweig pour la cause équatorienne. Au cœur de la guerre de 1941 entre le Pérou et l’Équateur, il est envoyé à Washington pour obtenir des États-Unis qu’ils s’interposent à la force militaire péruvienne. Malgré l’échec, il participe aux premières assemblées des Nations Unies et occupe le reste de sa brillante carrière des postes d’ambassadeurs dans plusieurs pays d’Amérique et d’Europe avant de s’éteindre au Chili en 1976. En 1941, Francisco a pour sa part contribué à la victoire

1 Les développements qui suivent sont une reconstitution des biographies de Homero Viteri Lafronte

(1892-1976) et de Francisco González. Il n’est pas certain que le Francesco décrit par Bertrand Flornoy en 1936 et le Francisco qui aide l’armée péruvienne soient une seule et même personne, mais les caractéristiques des deux (contacts répétés avec les Blancs qu’ils aident, demande de fusil en échange des services, proximité avec l’armée péruvienne) et la même région du Pastaza où ils évoluent nous mènent à penser qu’il s’agit bien de la même personne. En l’état, il faut néanmoins considérer le parcours de Francisco que nous présentons comme une fiction biographique significative de la trajectoire historique des indiens de la région. Sur l’usage du terme « indien », voir le chapitre 6.

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péruvienne en guidant les troupes péruviennes sur le Pastaza. Le lieutenant-colonel qu’il a servi ne tarit pas d’éloges sur son travail et recommande de lui donner ce qu’il demande : un fusil. C’est ce qu’il avait déjà obtenu de l’expédition française cinq ans plus tôt. La trace documentaire de Francisco s’arrête là mais il est vraisemblable qu’il ait suivi la trajectoire régionale d’autres indiens. Il a peut-être participé comme guide une fois encore à la longue et difficile campagne de démarcation frontalière jusqu’à la fin des années 1940, et il aura peut-être été inscrit sur les registres légaux du Pérou comme « péruvien », lui qui était né sans nationalité légale. En tout cas, Francisco et Homero ne se sont sans doute jamais croisés ni de près ni de loin.

Les trajectoires comparées du guide indien et du diplomate cosmopolite éclairent à la fois les dynamiques du conflit que nous étudions et l’ambition méthodologique que nous nous proposons d’employer. Elles sont en effet le miroir d’une lutte multisituée et polymorphe qui se déroula autant dans les bureaux ouatés des capitales américaines et européennes que sur les impétueux fleuves serpentants de l’Amazonie et de la côte du Pacifique. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de considérer à la même hauteur le grand jeu des diplomates, que certains des personnages les plus connus de leurs pays déployaient depuis les chancelleries, et les actions non moins significatives des innombrables individus qui vivaient quotidiennement le différend frontalier plutôt qu'ils n’essayaient de le résoudre. Alors que le conflit péruano-équatorien a souvent été dépeint sous les traits d’une bataille d’encre et de papier plus que d’un véritable corps à corps, nous entendons au contraire démontrer qu’il a eu un très profond impact sur l’existence des populations frontalières et sur celle deux nations considérées. Nous souhaitons ainsi démontrer que la séquence conflictuelle qui s’active au début des années 1930 pour se refermer partiellement à la fin des années 1940, et dont la guerre de 1941 est un précipité plus qu’une césure, constitue un moment décisif de la construction des nations péruviennes et équatoriennes. Cette construction se déploie dans un phénomène polymorphe que nous appelons « nationalisation des frontières », qui a eu pour effet de déterminer explicitement l’appartenance nationale des territoires et des citoyens, et dont la première particularité est d’être commun aux Péruviens et Équatoriens. L’objectif de ce travail est d’établir ce constat et d’expliquer les ressorts de cette nationalisation en appliquant une perspective critique autour de la guerre « limitée » de 1941-1942 entre le Pérou et l’Équateur.

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L’impossible récit des origines

Le récit des étapes historiques qui ont conduit à la guerre de 1941 est un enjeu politique. Le discours sur les origines a participé et participe encore du positionnement dans la controverse. Nous montrerons en effet que les négociateurs péruviens et équatoriens procédèrent à une joute historico-juridique qui les a menés à rechercher systématiquement dans le passé les preuves de leurs titres de propriété. Pour cette raison, les événements antérieurs à 1941 se sont obscurcis à tel point qu’il est devenu objectivement impossible d’en faire une synthèse pondérée qui ne bascule pas dans les effets rhétoriques de l’un ou de l’autre camp. Un examen critique des principaux moments historiques de frictions mènerait ainsi à une réévaluation profonde des enseignements comme nous entendons le faire sur la séquence 1930-1950. C’est la raison pour laquelle nous nous refusons à développer outre mesure ces antécédents et nous nous contentons de présenter quelques jalons significatifs. Nous renvoyons pour plus de détails à la synthèse éclairante d’un diplomate français en 1941 (Annexe) ainsi qu’aux volumineux mais partiaux ouvrages d’histoire et de droit territorial des deux pays.2

La simple localisation dans le temps de l’origine du conflit relève de la controverse. Faut-il commencer à l'époque inca dont le Pérou aurait hérité l’impérialisme dans une étonnante continuité historique entre les républiques et la guerre fratricide de Huáscar et d’Atahualpa ? Faut-il au contraire faire surgir la controverse des diverses et contradictoires décisions de la couronne espagnole qui réorganisait les frontières internes de son immense empire selon des critères religieux et politiques incertains ? Faut-il citer plutôt la période de la pré-indépendance et la Cédule Royale de 1802, texte phare des Péruviens, ou la Guerre entre le Pérou et la Grande Colombie et son traité de 1829 favorable à Quito ?

Les racines du conflit sont donc impossibles à définir avec précision. Toujours est-il que le principe général de l’Uti Possidetis appliqué sur le continent américain au moment des indépendances, qui promettait de transformer les limites administratives internes à l’empire en frontières internationales, n’a pas permis de décider avec clarté ce qui revenait à chaque État des immenses territoires impraticables et inexplorés de l’Amazonie et des marécages de la côte du Pacifique.3

2 VARILLAS MONTENEGRO Alberto, Perú y Ecuador. Un antiguo conflicto, diez años después, 2e éd., Lima,

Universitaria, 2008 ; TOBAR DONOSO Julio et LUNA TOBAR Alfredo, Derecho territorial ecuatoriano, 4e éd,

Quito, Ministerio de Relaciones Exteriores, 1994 (1961). On pourra se reporter à ces deux ouvrages complets et pratiques, qui présentent évidemment des positions irréconciliables. D’autres points de vue sont exprimés dans les ouvrages présentés en bibliographie dans la section consacrée au conflit péruano-équatorien en général.

3 Sur la notion d’Uti possidetis, voir KOHEN Marcelo G., « La contribution de l’Amérique latine au

développement progressif du droit international en matière territoriale », Relations internationales, avril 2009, vol. 137, no 1, p. 13-29.

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En 1828-1829, une première guerre oppose le Pérou nouvellement indépendant et la Grande Colombie présidée par Simón Bolívar. Le Libertador considère que les limites naturelles de son État sont constituées au Sud par les fleuves Tumbes et Marañón, et c’est cette position qui a été sans cesse réactualisée par les divers gouvernements héréditaires du défunt État. Après une campagne militaire aux résultats indécis dont les Colombiens revendiquent la victoire, le traité de paix et d’amitié considérait que les frontières entre les deux États ne pouvaient être que celles de la Vice-Royauté, et nommait une commission de démarcation des frontières, mais l’État grand-colombien se dissout avant qu’elle ait pu travailler. L’Équateur nouvellement formé héritait de la controverse. Un traité favorable (Pedemonte Mosquera, 1829) aurait auparavant été signé au bénéfice de l’Équateur, mais le Pérou a toujours affirmé qu’il était

Figure 1 : Les prétentions territoriales péruviennes et équatoriennes

Les territoires controversés sont théoriquement de près de 400 000 km2. Les Équatoriens revendiquent

traditionnellement les territoires s’étendant jusqu’aux cours du Tumbes (occident) et du Marañón (orient), tandis que les Péruviens réclament tous les territoires orientaux jusqu’au piémont andin et le Zarumilla à l’ouest. I.Bowman a légèrement exagéré les prétentions péruviennes dans la région de El Oro, sans doute en raison de la longue occupation de la région (chapitre 9).

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invalide, voire qu’il constituait une pure invention des Équatoriens. Dans les décennies suivantes, les relations sont marquées par des négociations difficiles et saccadées au cours desquelles les deux États campent sur leur position, les Péruviens s’appuyant de plus en plus sur la cédule royale de 1802 qui attribuait Maynas - c’est-à-dire les territoires amazoniens, à la Vice-Royauté du Pérou. L’indéfinition frontalière commençait à sérieusement bloquer le développement des États. La création de la région administrative du Loreto en 1853 était dénoncée par l’Équateur, tandis qu’en 1857, la concession de la part du gouvernement équatorien à une compagnie anglaise d’immenses territoires revendiqués par le Pérou décida de la seconde guerre d’ampleur. Les Péruviens emmenés par Ramon Castilla débarquèrent près de Guayaquil et les intrigues politiques rendirent la situation confuse. Le traité de Mapasingue (1860), pourtant favorable au Pérou qui en résulta ne fut ratifié par aucun des deux pays. L’Équateur de Gabriel García Moreno s’y opposa particulièrement.

Jusqu’à présent, la dispute s’était déployée dans une relation bilatérale. Mais en 1887, à la faveur d’un contexte favorable à cette technique, Quito et Lima souscrivaient un accord pour l’arbitrage de la part du Roi d’Espagne. Un arbitrage est une solution extrême et volontaire, car les parties se dessaisissent de la question et le jugement rendu par un tiers doit s’appliquer de toutes les façons. C’était le début de la multilatéralisation de la controverse. Malgré cette décision, des négociations bilatérales aboutissaient au traité de 1890, favorable à l’Équateur, mais non ratifié par le Pérou. La Colombie et le Brésil intègrent alors la danse dans le partage de l’Amazonie et fixent leurs frontières avec chacun des deux pays. À Madrid, les meilleurs juristes sont sollicités par la Couronne et par les deux États pour rendre des études, mais le processus prend un retard structurel. Ce n’est qu’en 1910, soit vingt-trois ans après avoir été sollicité, que la Royauté s’apprête enfin à rendre son verdict. Les Équatoriens qui en prennent secrètement connaissance le perçoivent comme trop favorable aux intérêts péruviens, et ils manœuvrent pour que la décision ne soit pas rendue publique, ce qui met les deux pays au bord de la guerre. L’Équateur d’Eloy Alfaro et le Pérou d’Augusto Leguía mobilisèrent franchement leurs troupes qui se concentraient à la frontière occidentale. Cette fois comme d’autres, le destin des territoires orientaux se décidait sur la lointaine côte pacifique. Les Équatoriens en conservèrent le slogan transparent « Túmbez-Marañón ou la guerre ! ». La tension s’était d’ailleurs récemment manifestée sur le terrain entre les deux États qui commençaient à s’installer militairement dans la région amazonienne. Les incidents de 1904 et 1905 résonnèrent fortement dans les opinions publiques, de même que le combat de La Pedrera (1911) entre le Pérou et la Colombie rappelait que la question se discutait au moins à trois.

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proposèrent une médiation commune avec le Brésil et l’Argentine, qui ne régla pas la question mais inaugura le rôle récurrent de ces pays dans l’affaire, et éclipsait définitivement la royauté espagnole comme puissance morale tutélaire. La situation de normalisa entre le Pérou et l’Équateur, mais les frontières avec l’Équateur furent les seules que le Oncenio de Leguía (1919-1930) ne parvînt pas à fixer, tandis que l’épineuse question chilienne était réglée. Un protocole était cependant accordé, qui prévoyait l’arbitrage du Président des États-Unis après une phase de négociations directes, mais il ne fut pas appliqué pour le moment. En revanche, le traité Salomón-Lozano demeuré secret entre le Pérou et la Colombie livrait au Pérou des territoires revendiqués par l’Équateur, et indisposa donc ce dernier contre son allié historique. Les habitants péruviens du Loreto concevaient aussi du dépit contre le cadeau du trapèze amazonien à la Colombie permettant à ce dernier un accès direct sur l’Amazone, et c’est une petite camarilla de notables et de militaires qui lança une expédition destinée à reprendre le port de Leticia en 1932. Le gouvernement péruvien ne put que suivre le mouvement et cet événement réactiva la controverse péruano-équatorienne qui était somnolente depuis deux décennies.

Ces éléments rapidement développés montrent d’une part que la controverse n’avait pas attendu que leurs fronts de développement internes entrent en collision pour de se diriger vers l’affrontement armé, ce qui montre à notre sens que la lutte tenait plus de l’imaginaire que de l’intérêt matériel à court terme. D’autre part, le processus de négociation était rendu difficile non seulement par les désaccords entre les deux puissances mais surtout par le dispositif diplomatique : des signatures qui ne sont pas ratifiées par les parlements, des interlocuteurs qui varient en fonction des crises politiques, des concessions qui deviennent impossibles. La non résolution avait une origine structurelle plutôt qu’elle ne découlait d’intérêts politiques particuliers. Nous entendons justement explorer ces raisons structurelles.

La décennie des années 1930 engendra une escalade entre les deux Républiques sœurs. Le Pérou comptait alors un peu plus de sept millions d’habitants dont la majorité rurale vivait encore dans la sierra (montagne) où la langue majoritaire est le Quechua.4 Mais ce n’était pas 4 Les informations suivantes sont extraites du grand recensement de 1940 qui constitue un excellent outil pour

appréhender la société péruvienne à cette date. Le Pérou n’avait pas recensé sa population depuis le XIXe siècle.

REPÚBLICA DEL PERÚ, Censo nacional de población y ocupación 1940. Primer volumen, resumenes gererales,

Lima, Ministerio de Hacienda y Comercio. Dirección Nacional de Estadística, 1944. Sur l’histoire générale du Pérou dans cette première moitié du XXe siècle, on pourra se reporter en raison de leur caractère récent ou

patrimonial, à CONTRERAS Carlos et CUETO Marcos (dir.), Perú. Mirando hacia dentro. Tomo 4 (1930/1960),

Madrid, Taurus (coll. « América latina en la historia contemporánea »), 2015 ; CONTRERAS Carlos et CUETO

Marcos, Historia del Perú Contemporáneo, 5ème édition., Lima, Pontificia Universidad Católica del Perú, 2013 ; KLARÉN Peter F., Nación y sociedad en la historia del Perú, Lima, Instituto de Estudios peruanos, 2004. COTLER

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une société figée. Un nombre croissant de Péruviens vivait désormais sur la côte dans les grandes agglomérations, en particulier à Lima et Arequipa où l’industrie était devenue dominante sur les activités agricoles. Dans ce monde changeant, la majorité de la population s’identifiait désormais comme « blanche et métis » (52%), tandis que les indiens qui avaient longtemps constitué l’écrasante majorité ne représentaient plus que 45% de la population et les asiatiques et afro-américains 1% à eux deux. Le pays exportait du coton, du textile et un peu de pétrole. Le boom du caoutchouc et plus encore celui du guano n’étaient plus qu’un lointain souvenir. Le pays était sorti de la longue période de modernisation autoritaire du Oncenio d’Augusto Leguía par une crise de deux ans qui s'apparentait à une guerre civile. Le capitaine métis de l’armée Miguel Sánchez Cerro s’était emparé du pouvoir et lutta à mort contre le grand parti progressiste, l’APRA. Son assassinat en 1933 propulsa dans le fauteuil présidentiel le général Oscar Benavides qui se maintint jusqu’en 1939 au prix de l’annulation des élections de 1936 et d’une authentique dictature militaire entre 1936 et 1939 pour barrer la route à l’APRA. En 1940, le général fit élire son dauphin, Manuel Prado, un banquier de bonne famille qui perpétua l’héritage militaire tout en s’en distançant subtilement. Au cours des années 1930, le Pérou présentait donc le visage d’un pays à la stabilité autoritaire et cherchant à moderniser l’économie du pays pour couper la route au péril rouge, qui menaçait constamment de faire basculer le pays dans la guerre civile.

Le visage de l’Équateur était tout autre. Il n’existe pas d’informations aussi fiables que pour le voisin, car l’Équateur n’avait pas recensé la population depuis de très nombreuses années, mais le pays comptait sans doute autour de 3.2 millions d’habitants, soit moitié moins que le voisin.5 La majorité indienne de cette population parlait quechua et vivait aussi sur la cordillère.

Dans les villes et sur la côte se concentraient les 25% de blancs et métis et les 15% d’afroéquatoriens restants. La capitale Quito (215 000 habitants) trônait de son prestige historique dans les hauteurs. Elle était la place forte des conservateurs, mais subissait la

5 Les informations suivantes sont extraites du rapport général du FBI de 1942 sur la république équatorienne. Les

chiffres officiels étaient rares, mais la qualité des informations du Bureau est souvent vérifiée, grâce à un réseau d’informateurs de plusieurs dizaines d’individus dans le pays. Les données présentées sont néanmoins à considérer comme des ordres de grandeur plutôt que comme des informations établies. FEDERAL BUREAU OF INVESTIGATION

(FBI), « Ecuador... Today », juin 1942. D’autre part, alors qu’il existe d’excellentes études sur des points ponctuels et des contributions collectives de qualité, que nous citerons au fil de ce travail, il est difficile de trouver des synthèses récentes et complètes sur l’histoire contemporaine de l’Équateur. On se reportera à AYALA MORA

Enrique, « Ecuador since 1930 » dans BETHELL Leslie (dir.), Cambridge History of Latin America, Vol. VIII, Latin

America since 1930. Spanish South America, Cambridge University Press, 1999 (1991), p. 687-726 ; AYALA

MORA Enrique (dir.), Nueva historia del Ecuador, Quito, Grijalbo ecuatoriana LTDA, 1990, vol.10 ; LARA Jorge

Salvador, Breve historia contemporánea del Ecuador, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 2011 ; NÚÑEZ

SÁNCHEZ Jorge, El Ecuador en la Historia, 2e ed., Santo Domingo, Archivo general de la Nación (República

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concurrence de sa rivale Guayaquil (200 000 habitants) à la forte croissance urbaine. Mais l’expansion économique de la côte avait favorisé une bourgeoisie agroexportatrice, la

bancocracia guayaquileña qui accompagnait son exubérance économique par la domination

politique du parti libéral. Cependant, après le boom du cacao au début du siècle, la baisse des cours puis la crise des années 1930 avaient durement touché cette économie de grandes plantations. Les années 1920 avaient vu surgir la révolution socialiste aux mains des petits officiers de l’armée au cours de la Révolution Julienne, et les années 1930 et 1940 se caractérisèrent par une extrême volatilité politique entre les libéraux qui souhaitaient conserver leur hégémonie, les conservateurs qui pouvaient la faire basculer, et les socialistes qui étaient devenus la troisième force du pays en représentation des secteurs intermédiaires émergents. Il est fréquemment souligné à ce titre que l’Équateur a connu presque une vingtaine de chefs d’État sur la période qui nous concerne, sous diverses formes juridiques, ce qui est généralement désigné comme l’une des faiblesses de l’Équateur dans son différend avec le Pérou. En réalité, comme on le montrera, cette instabilité politique a été largement compensée par l’inertie administrative. En 1940, le chef de file des libéraux, figure de l’élite de Guayaquil, gagna les élections qui furent immédiatement dénoncées comme frauduleuses par les partisans du très populaire Velasco Ibarra. Le mandat de l’avocat Arroyo del Rio fut irrémédiablement attaché à la guerre de 1941 et la construction mémorielle du conflit le désigna comme coupable d’avoir perdu cette guerre.

Guerres américaines et question nationale

La qualification de « guerre » pour se référer aux événements de 1941 ne va pourtant pas de soi. Dès les événements, les protagonistes en ont rejeté l’usage pour des raisons diplomatiques et conceptuelles. Il n’y a eu de déclaration de guerre dans aucun camp. Il ne pouvait y avoir guerre, car cela aurait signifié que le Pérou avait conquis, ce qui était interdit par le droit international. Il ne pouvait y avoir guerre, car les Équatoriens auraient dû reconnaître qu’ils avaient été piteusement vaincus. Il ne pouvait y avoir de guerre, car le sentiment américaniste interdisait qu’elle existât sur le continent américain. Ce rejet s’est transmis à la mémoire du conflit qui qualifie le plus souvent les événements de « campagne victorieuse » au Pérou, désignant une opération logistique bien menée, et « d’invasion péruvienne » en Équateur, en soulignant le déséquilibre des forces et par conséquent l’absence de « guerre » symétrique. Ce n’est que vers la fin du XXe siècle que certaines études ont commencé à employer explicitement

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quantité négligeable face aux « 150 ans de négociations ».6 Cette ambiguïté a conduit à ce que

cette guerre n’ait pas de nom consensuel, comme la Grande Guerre ou la Guerre du Pacifique. L’étalement sur deux fronts empêche de la désigner par son théâtre d’opération comme la guerre du Chaco, sauf à parler de « Zarumilla-Marañón » comme D. Zook, mais aucun combat n’a eu lieu sur le Marañón.7 Il faudrait en toute rigueur parler de « la guerre Pérou-Équateur de

1941-1942 », mais l’on trouvera souvent dans cette étude, pour des raisons de commodité, l’appellation « Guerre de 1941 ».

Nous considérons en effet les événements comme une véritable guerre et même une guerre de dix ans, si l’on prend en compte l’état de guerre larvée entre 1932 et 1942 qui a été résolu par la bataille de 1941. Il s’agit bien d’une lutte armée entre États qui provoque des victimes depuis le début des années 1930, même si les batailles sont saccadées et circonscrites dans le temps. Nous proposerons même de la qualifier de guerre limitée et d’expliquer les facteurs qui ont conduit à cette singularité.

C’est aussi une guerre parce que les phénomènes qui s’y déroulent partagent de nombreux traits communs ou points de comparaison avec d’autres guerres, dont les apports historiographiques permettent de renouveler la vision du conflit andin. Les réflexions en France sur les deux guerres mondiales, sur les occupations allemandes ou les guerres coloniales ont développé un solide cadre analytique du phénomène guerrier, de même que les War Studies dans le monde anglo-saxon.8 Les multiples et parfois âpres débats portant sur les causes du

déclenchement de la guerre, sur les cultures et les expériences de guerre, sur le rôle des civils et des sorties de guerre ou sur les mémoires conflictuelles invitent tout chercheur à dépasser le cadre strictement militaire de la narration de la bataille pour prendre en compte les approches sociales, économiques et culturelles que cet événement total porte en lui. Toutes les leçons de ces conflits souvent envisagés dans leur dimension européenne ou nord-américaines ne sont

6 YEPES Ernesto, Tres Días de Guerra Ciento Ochenta de Negociaciones, Lima, Universidad del

Pacífico/Universidad Nacional La Molina, 1998. Dans un travail précédent, nous avions participé à cette impression en proposant l’appellation de « Guerre du Protocole » qui mettait l’emphase sur le résultat diplomatique de la guerre, le traité de frontières, tout en suggérant que cette guerre avait fait couler plus d’encre que de sang. Cette vision nous paraît désormais téléologique. Elle occulte précisément la véritable mobilisation des sociétés autour du conflit, qui va bien plus loin que le résultat diplomatique. BIGNON François, La Guerre du

Protocole. Le conflit péruano-équatorien de 1941-42 et son règlement diplomatique, Mémoire de Master 2,

Université de Rennes 2, 2013.

7 ZOOK David H., Zarumilla-Marañón. The Ecuador-Peru Dispute, New York, Bookman Associates, Inc.,

1964.

8 Les références sont nombreuses et nous les citons plus précisément dans le corps de la démonstration. Pour

leur caractère récent et représentatif des études européennes et anglosaxonnes, on pourra consulter les références suivantes, dont la première a constitué un outil indispensable malgré la cruelle absence de l’Amérique latine autre qu’à travers le foco revolucionario. CABANES Bruno (dir), Une histoire de la guerre - Du XIXe siècle à nos jours,

Paris, Le Seuil, 2018 ; KÖNIG Mareike et ROYNETTE Odile, « Relire les expériences de guerre franco-allemandes

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pas transposables sans adaptation à la situation latinoaméricaine, mais elles permettent de décloisonner les questionnements.

Ce faisant, alors qu’un certain discours voudrait voir dans l’Amérique latine un continent sans véritable guerre où les armées privées de conflits extérieurs se tourneraient vers la politique pour se donner une raison d’exister, de nombreux travaux notamment français ont contribué à y relier le phénomène guerrier à des thématiques innovantes, et particulièrement pour notre propos à la question nationale et la création des identités collectives. Des travaux ont ainsi interrogé la genèse des Républiques à l’aune de la composition des armées de l’indépendance.9 La mémoire de la « guerre totale » a pu être considérée comme matricielle de

l’identité du Paraguay.10 La construction ethnique et l’intégration coloniale ont été mis en

évidence dans le cas de la guerre du Chaco.11 Le conflit de Leticia a été expliqué au prisme

d’une sociologie de la formation militaire et des transferts internationaux.12 Même les guerres

éloignées, comme la Première Guerre mondiale, ont activement participé à la construction d’identités nationales propres s’émancipant de la tutelle morale de l’Europe.13 Ces études

francophones et celles venues du monde latinoaméricain et anglo-saxon ont ainsi contribué à nuancer et préciser des renouvellements historiographiques qui ont émergé à la faveur des commémorations des indépendances dès les années 1970 pour porter l’attention sur les « subalternes » – en particulier les amérindiens, les afro-américains ou encore les femmes – et à questionner les récits officiels.

La guerre de 1941 n’a pas encore véritablement intégré cette réflexion. Elle constitue ainsi un angle mort historiographique de l’étude mondiale de la guerre. Il faut sans doute en chercher la cause dans sa réduction à une simple lutte diplomatique et à une petite opération armée sans grand panache.14 Il faut aussi souligner le refus des deux belligérants de qualifier les 9 THIBAUD Clément, Républiques en armes : Les armées de Bolívar dans les guerres d’indépendance du

Venezuela et de la Colombie, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

10 CAPDEVILA Luc, Une guerre totale, Paraguay, 1864-1870 : Essai d’histoire du temps présent, Rennes,

Presses Universitaires de Rennes, 2015.

11 CAPDEVILA Luc et al., Les hommes transparents : Indiens et militaires dans la guerre du Chaco, Rennes,

Presses Universitaires de Rennes, 2010.

12 CAMACHO ARANGO Carlos, El conflicto de Leticia (1932-1933) y los ejércitos de Perú y Colombia, Bogota,

Universidad Externado de Colombia/Centro de Estudios en Historia (CEHIS), 2016.

13 COMPAGNON Olivier, L’adieu à l’Europe : l’Amérique latine et la Grande Guerre. Argentine et Brésil,

1914-1939, Paris, Fayard (coll. « L’épreuve de l’histoire »), 2013 ; COMPAGNON Olivier et al., La Gran Guerra

en América Latina, Mexico, Centro de Estudios Mexicanos y Centroamericanos (CEMCA)/Institut des Hautes

Etudes de lʼAmérique Latine (IHEAL)/Centre de Recherche et de Documentation des Amériques (CREDA), 2018.

14 Deux exceptions ont intégré cette guerre au récit général des guerres et de armées du continent, mais elles

constituent des synthèses plus que des travaux inédits approfondis : SCHEINA Robert L., Latin America’s Wars

Volume II: The Age of the Professional Soldier, 1900-2001, Potomac Books, 2003, p. 114-125 ; DE LA PEDRAJA

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événements de guerre. D’ailleurs, les Péruviens même ne s’intéressent guère sauf exception à ce conflit oublié qu’ils confondent généralement dans l’ensemble mal identifié du « différend avec l’Équateur » de l’indépendance à la fin du XXe siècle. Une récente contribution collective

à l’étude du phénomène guerrier au Pérou s’est ainsi arrêtée de manière symptomatique aux années 1920.15 Après cette date, seule la « guerre interne » des années 1980 semble mériter ce

qualificatif qui dialogue alors avec les conflits du XIXe siècle dans une curieuse ellipse

temporelle qui passe sous silence le ventre mou du XXe siècle.16 Les Équatoriens qui ont en

partie forgé leur identité sur 1941 s’y intéressent bien moins qu’avant depuis la paix.17 Enfin,

c’est évidemment l’ombre de la Seconde Guerre mondiale qui a recouvert le petit conflit andin, qui a pourtant fortement impliqué les chancelleries d’Amérique. Les deux conflits entretiennent des liens polymorphes que nous avons proposé d’établir dans un travail précédent.18

L’ambiance de la guerre mondiale a manifestement contribué à déclencher les opérations armées de 1941, tandis que le Pérou et l’Équateur ont habilement su tirer parti de l’empressement de Washington à présenter un hémisphère parfaitement uni au moment de son entrée en guerre. Mais dans les rares cas où la Seconde Guerre mondiale fait l’objet de synthèses, la guerre andine est présentée comme un phénomène marginal.19

En élargissant le spectre chronologique des quelques semaines de bataille active en 1941 à la guerre larvée de dix ans, il devient pourtant évident que le conflit péruano-équatorien partage de nombreux points de convergence avec les conflits de son époque, à commencer par la guerre du Chaco (1932-1935) entre la Bolivie et le Paraguay et le conflit de Leticia.20 C’était déjà la 15 MCEVOY Carmen et RABINOVICH Alejandro M. (dir.), Tiempo de guerra. Estado, nación y conflicto en el

Perú, siglos XVII-XIX, Lima, IEP Instituto de Estudios Peruanos, 2018. Plus ancien et moins critique, on pourra

aussi se reporter à BARRA Felipe DE LA, La Historia militar peruana, Lima, Centro de Estudios Histórico-Militares

del Perú, 1959.

16 MÉNDEZ G. Cecilia et GRANADOS MOYA Carla, « Las guerras olvidadas del Perú: formación del Estado e

imaginario nacional », Revista de Sociología e Política, juin 2012, vol. 20, no 42, p. 57-71. Il faut cependant

souligner que le sociologue Eduardo Toche a approfoindi les relations entre armées et construction nationale au XXe siècle au Pérou : TOCHE Eduardo, Guerra y democracia: los militares peruanos y la construcción nacional,

Lima, Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales, CLACSO, 2008.

17 Une exception notable étant GÁNDARA ENRÍQUEZ Marcos, El Ecuador del año 1941 y el Protocolo de Río:

Antecedentes, hechos subsiguientes : Arroyo y su tiempo, Quito, Centro de Estudios Históricos del Ejército, 2000.

Une somme problématique à bien des égards.

18 BIGNON François, « Jeux d’échelles dans les Andes : le conflit péruano-équatorien de 1941-1942 et la

Seconde Guerre mondiale », Relations internationales, 27 août 2015, n° 162, no 3, p. 63-78.

19 La première référence consacre d’intéressants développements à la guerre de 1941 mais le présente comme

un fait isolé. MASTERSON Daniel M. et ORTIZ SOTELO Jorge, « Peru: International Developments and Local

Realities » dans LEONARD Thomas M. et BRATZEL John F., Latin America During World War II, Lanham, Md,

Rowman & Littlefield Publishers, 2007, p. 126-143 ; HUMPHREYS Robert Arthur, Latin America and the Second

World War: 1942-45 v. 2, London, Atlantic Highlands/N.J/Continuum International Publishing Group - Athlone,

1982.

20 Sur la guerre du Chaco, la plus récente référence en français est plutôt militaire : THIERRY Noël, La Guerre

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perspective de B. Wood dans son ouvrage classique et trop peu connu en France, même s’il y adopte un raisonnement avant tout diplomatique.21 Ce n’est pas non plus un hasard si un des

historiens anglo-saxons qui a été le plus pertinent sur la guerre de 1941, a également écrit sur la guerre du Chaco.22 Les trois conflits sont indiscutablement liés et constituent les éléments

d’un triptyque américain qui aboutit dans les années 1930 et 1940 à refermer la page des litiges frontaliers du continent par la guerre.23 Notre étude qui porte uniquement sur le conflit

péruano-équatorien entend donc compléter la compréhension de ce triptyque et ainsi éclairer cette étape essentielle de la formation des nations sur le continent.

Des frontières andines : bande Pacifique et enjeux amazoniens

Les frontières que l’on étudie ont été qualifiées d’andines parce qu’elles s’inscrivent dans un espace régional qualifié d’andin. Il faut toutefois préciser que l’objet du conflit est constitué beaucoup plus par les étendues d’Amazonie et les bordures côtières du Pacifique que par la région de la cordillère qui correspond généralement à la représentation des Andes montagneuses.24

La frontière de fait entre le Pérou et l’Équateur se compose en effet de trois grands blocs, qui correspondent d’ailleurs à la tripartition identitaire péruvienne reprise si souvent : Costa,

Paraguay, 1932-1935, Westport, Conn, Praeger, 1996 ; Pour des aspects plus politiques, on consultera

QUEREJAZU CALVO Roberto, Masamaclay: historia política, diplomática y militar de la Guerra del Chaco, La

Paz, Amigos del Libro, 1975.

21 WOOD Bryce, United States & Latin American Wars 1932-1942, Columbia University Press, 1966. 22 ZOOK David H, The conduct of the Chaco War, New York, Bookman Associates, 1961 ; ZOOK David H.,

Zarumilla-Marañón. The Ecuador-Peru Dispute, New York, Bookman Associates, 1964.

23 De notre point de vue, on retrouve de nombreuses similitudes entre ces trois conflits : la lutte entre des États

relativement faibles pour s’approprier définitivement des portions frontalières considérées comme appartenant à la nation depuis l’Indépendance, des processus de colonisation intérieure sur des territoires faiblement intégrés auparavant, parfois peu connus, aux populations indigènes dont la nationalité n’est pas toujours établie, les ressources fantasmées, en hydrocarbures ou autres, et d’autres points encore. Ce projet de recherche souhaitait d’ailleurs approfondir les connexions entre les trois guerres précitées, qui entretiennent évidemment des liens, sans qu’ils soient évidents. Les références croisées n’ont pas été assez nombreuses pour établir des liens systématiques au sein de cette recherche, mais des rapprochements ponctuels sont réalisés au cours de ce travail.

24 Le terme andin peut être interprété de deux manières. L’une, géographico-culturelle, renvoie aux

civilisations de montagne, héritières des empires précolombiens, et dont l’un des principaux marqueurs est l’usage de la langue quechua ou aymara. L’autre, plus politique et englobante, désigne la région entière et les pays traversés par la cordillère, mais dont les paysages et les cultures peuvent différer très fortement du noyau culturel quechua. C’est l’acception que nous utiliserons et qui est par exemple à l’œuvre dans la Communauté Andine des Nations (CAN) ou encore l’Institut Français d’Études Andines (IFEA), et qui comprend le Pérou, la Bolivie, l’Équateur et la Colombie, tandis que le Chili et plus encore l’Argentine, traversés par une portion moindre de la chaîne de montagne, sont généralement considérés comme moins andins et plutôt rattachés au Cône Sud. Cette répartition souffre évidemment des exceptions, notamment lorsque l’on étudie les liens transnationaux culturels à une autre échelle. AMILHAT SZARY Anne-Laure, « Ruralité, ethnicité et montagne : Le référent andin dans le projet

de territoire « aymaras sin frontera » », Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine, juillet 2009, n° 97-2. Le terme nous permet donc de rattacher la question de la frontière entre le Pérou et l’Équateur aux autres conflits frontaliers, en particulier la guerre du Chaco et le conflit de Leticia. Il permet également de désigner les différents paysages de la frontière entre les deux pays.

Figure

Figure 5 : Pamphlets multilingues de propagande péruvienne et  équatorienne
Figure 7 : la bataille des timbres
Figure 9 : Le budget d’une mission technique très diplomatique

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