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Figure 11 : La photographie aérienne au service de la démarcation

La ligne rouge indique le talweg du fleuve et donc la limite internationale, ce qui a dans ce cas provoqué un litige sur la nationalité de l’île au premier plan.

Source : Photographie aérienne de l’Aguarico et informations manuscrites. 1950. AHMRE, T.5.4.1.8. L’effort des États-Unis était accompagné d’un effort national, notamment péruvien. Le Service Aérophotographique National (SAN) naît en 1942 et s’équipe avec du matériel acheté aux États-Unis par l’intermédiaire du prêt-bail. En 1944, plus de 12 000 km2, soit 1% du territoire, avaient ainsi été photographiés.153 Dès le début, l’objectif est de reconnaître la frontière pour la défense de la souveraineté, mais les photographies servent aussi au tracé des routes et à la prospection pétrolière. À la fin des années 1940, ce service participa à la photographie des lacs des Andes (en plus de l’Amazonie), contribuant de cette manière aux naissantes études sur l’impact de la fonte des glaciers et la prévention des risques dans la région.154 Du côté équatorien, il semble que c’est surtout la Shell qui participe grâce à ses aérodromes et ses recherches pétrolières à l’effort de l’État pour cartographier la frontière.

153 « Mensaje del Presidente del Perú, Doctor Manuel Prado y Ugarteche, ante el Congreso Nacional, el 28 de julio de 1944 ».

154 CAREY Mark P., In the shadow of melting glaciers: climate change and Andean society, Oxford New York, Oxford University Press, 2010, chapitre 3.

Tout ce processus de cartographie a considérablement fait avancer la connaissance de territoires encore largement méconnus par les États jusqu’alors, « ce qui a converti cette zone en une des régions les mieux cartographiées du continent », d’après l’ingénieur McBride.155 La démarcation pouvait alors s’appuyer sur cette cartographie préalable.

C. La campagne de démarcation, du papier à la borne

Avant d’aborder la démarcation finale, il faut insister sur le fait qu’elle ne pouvait s’effectuer qu’à partir d’un document reconnu par les deux partis, qui indiquait lui-même les frontières. Par convention, l’étape du papier est appelée « délimitation » tandis que celle du terrain est appelée « démarcation ». À ce titre, les tentatives de délimitation de la période montrent un manque de précision flagrant dans lequel pouvaient s’engouffrer les diverses interprétations. En 1936, l’Acte de Lima n’avait même pas défini une ligne frontière, se contentant d’inviter les deux parties à rester là où elles étaient et à ne pas avancer leurs positions militaires. Seule la circulaire péruvienne du lendemain définissait selon une méthode contestable cette ligne en inventoriant les garnisons équatoriennes. En 1940, la commission mixte du Zarumilla n’arrive pas plus à déclarer une frontière « de fait ». En 1942, le protocole de Rio est enfin avant tout un protocole, c’est-à-dire une manière de parvenir à fabriquer la frontière. Il énonce pour cela un nombre important de points de référence en partie repris de l’Acte de Talara qui utilisait cette méthode, qui restent encore imprécis. Ces points de référence sont constitués de bocas (embouchures), rios et quebradas dont la localisation peut être diversement appréciée, ou même des lignes de partage des eaux. Cette séparation entre deux bassins hydrographiques peut disparaître si un cours d’eau coule entre les deux fleuves et configure donc deux lignes de partage des eaux. C’est précisément ce qui s’est passé avec le Cenepa. En, dépit de cette faiblesse, le traité était tout de même déjà beaucoup plus précis que ses prédécesseurs, et prévoyait la manière d’appliquer la démarcation sur le terrain. Les articles IV, V et VII, prévoient ainsi que les pays médiateurs continuent leur gestion jusqu’à la démarcation définitive de la frontière et qu’ils fassent offices de référent en cas de litige sur l’application du traité.

Le processus de démarcation de la frontière qui résulta du traité est assez bien connu grâce à la traduction et à la publication du rapport de George McBride dans les années 1990, de même que d’autres publications, en raison du blocage auquel il a donné lieu.156 Son récit fait part sur

155 MCBRIDE et YEPES, op. cit., p. 227.

156 Nous nous appuyons principalement sur ce témoignage pour synthétiser la campagne. MCBRIDE et YEPES,

le mode de l’épopée d’une difficile campagne en pleine Seconde Guerre mondiale entre 1942 et 1949. Jusqu’à 300 personnes de différents pays ont travaillé à cette immense tâche, se relayant pendant plusieurs années, évoluant dans des régions pratiquement inconnues des services centraux, dans des conditions sanitaires et logistiques laborieuses et dans une situation politique parfois très tendue. Les participants à qui l’on affirmait que c’était l’affaire de quelques mois savaient en réalité à quoi s’en tenir. Certains sont morts de fatigue ou de maladie contractée en forêt. Les survivants ont pour certains étés décorés des plus hauts insignes de leur patrie.157

Les travaux commencent en juin 1942. Les commissions péruviennes et équatoriennes se rassemblent pour établir un plan de travail. La nature militaire de la délégation péruvienne fait craindre son intransigeance, mais en réalité la majorité des participants à la campagne tant chez les Péruviens et Équatoriens que chez les continentaux, sont des militaires qui ont arpenté la frontière ou des civils des chancelleries, géographes et autres experts de la frontière. Les travaux sont divisés en deux commissions, l’une ayant pour mission de partir de la côte occidentale jusqu’au versant oriental des Andes, l’autre partant du Putumayo en direction inverse. Chacune est subdivisée en un grand nombre de sous-commissions et de brigades. Chaque brigade est composée d’un chef péruvien et d’un équatorien, de techniciens, de soldats, d’un médecin, et d’aides comme des cuisiniers, maçons, défricheurs, etc. Ces brigades ont d’ailleurs recours à des habitants du cru pour les guider à travers les jungles inconnues.158 Toute cette petite troupe aux origines nationales, sociales et régionales distinctes devait vivre ensemble dans des conditions difficiles pendant de très longs mois.

y el testimonio de McBride, Lima, Ministerio de Relaciones Exteriores, 1996 ; un intéressant témoignage du chef

d’une brigade péruvienne est aussi disponible : REÁTEGUI DELGADO Carlos et ORTIZ SOTELO Jorge, Trazando la

frontera. Perú-Ecuador (1942-1945): diario del capitán de Corbeta Carlos Reátegui Delgado. Lima, Asociación

de Historia Marítima y Naval Iberoamericana, 1992.

157 REÁTEGUI et ORTIZ,op. cit., P.29.

158 Il en est par exemple ainsi de David Samaniego, l’orpailleur équatorien qui s’est retrouvé à aider les troupes péruviennes dans leurs démarches de démarcation, comme en atteste un certificat que nous a montré son fils.

Les travaux de la commission avancent bien, mais rapidement de très nombreux désaccords surgissent entre Péruviens et Équatoriens. La plupart du temps, ces désaccords se nourrissent