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Structure de l’identité

Dans le document Identité (Page 131-134)

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6.1 Structure de l’identité

Le propre du sentiment d’identité est bien d’établir une intégration, une cohérence et une continuité intérieures dans la pluralité des actualisations et des perceptions de soi, liée à la diversité des situations sociales.

Cependant la psychologie reflète elle-même cette polarité inhérente à la notion d’identité – entre l’unité et la diversité – à, travers des distinctions comme celles qu’elle a établies, par exemple, entre identité personnelle et identité sociale.

6.1.1 Identité sociale/identité personnelle

L’identité sociale, selon la définition la plus courante, est relative à l’apparte- nance de l’individu à des catégories bio-psychologiques (le sexe, l’âge), à des groupes socioculturels (ethniques, régionaux, nationaux, profession- nels…) ou à l’assomption de rôles et de statuts sociaux (familiaux, profes- sionnels, institutionnels…) ou encore d’affiliations idéologiques (confessionnelles, politiques, philosophiques…).

À ces groupes d’appartenance ou de référence sont associés des modèles idéaux, des représentations, des sentiments qui marquent certaines zones de la conscience de soi. H. Tajfel indique, par exemple, que « l’identité sociale d’un individu est liée à la connaissance de son appartenance à certains grou- pes sociaux et à la signification émotionnelle et évaluative qui résulte de cette appartenance » (in Moscovici, 1972, p. 292).

Dans chaque culture, en effet, les catégories, les groupes, les rôles sociaux, les idéologies apportent avec eux des prototypes valorisés, des figu- res de références, des exemples approuvés, offerts comme modèles identifi- catoires à l’individu (« Les hommes tiennent à se proposer des exemples et des modèles qu’ils appellent héros » écrivait A. Camus). Ces modèles inté- riorisés fournissent un support et un contenu à l’identité sociale qui est à la fois une identité pour soi (comme vécu subjectif) et pour autrui (comme caractéristiques permettant d’identifier un individu de l’extérieur).

Quant à la notion d’identité personnelle, rappelons qu’elle renvoie le plus souvent à la conscience de soi comme individualité singulière, douée d’une certaine constance et d’une certaine unicité. On peut citer, par exemple, la définition proposée par P. Tap :

En un sens restreint, elle concerne le sentiment d’identité (idem), c’est-à-dire le fait que l’individu se perçoit le même, comme identique à lui-même dans le temps. En un sens plus large, on peut l’assimiler au système de sentiments et de représentations de soi, par lequel celui-ci se spécifie, se singularise [is dem] (1988, p. 69).

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Cependant, si les notions d’identité sociale et personnelle ont chacune leur consistance et ont donné lieu à de nombreuses opérationnalisations et recher- ches spécifiques, leur articulation reste le plus souvent implicite ou rudimentaire ; il semble qu’en général l’identité sociale soit conçue comme une zone de l’identité personnelle ou que les deux se juxtaposent et se combinent au sein de la personnalité ; ainsi P. Tap écrit (ibid.) :

Mon identité, c’est donc ce qui me rend semblable à moi-même et différent des autres, c’est ce par quoi je me sens exister en tant que personne et en tant que personnage social (rôles, fonctions et relations), c’est ce par quoi je me définis et me connais, me sens accepté et reconnu, ou rejeté et méconnu par autrui, par mes groupes ou ma culture d’appartenance1.

Un autre aspect de cette dichotomie vient de ce que la notion d’identité sociale a été surtout élaborée et explorée par la psychologie sociale, alors que celle d’identité personnelle l’a été par la psychologie génétique, clinique ou différentielle ; cela explique, pour une part, qu’on ait affaire à deux notions qui se juxtaposent plus qu’elles ne s’articulent.

Ce qui manque probablement pour penser cette articulation, c’est une phénoménologie de la conscience de soi qui ne va pas sans une théorie du sujet. La psychologie individuelle n’offre souvent que des modèles rudimen- taires quant aux dimensions sociales de la conscience de soi. À l’inverse, beaucoup de recherches de psychologie sociale ne s’appuient que sur une conception minimale de la personnalité qui reste d’ailleurs très souvent implicite ; il leur fait défaut, notamment, la notion d’un sujet divisé et conflictuel (sur laquelle la psychanalyse a mis l’accent)2.

6.1.2 La division du sujet

C’est, en effet, la psychanalyse qui a contribué le plus à ébranler la notion d’une identité substantielle, homogène, unifiée et constante. Elle a souligné la division irréductible de tout sujet humain. Division d’abord (selon la première topique) entre le conscient et l’inconscient qui fait que, dans la perception qu’il a de lui-même, le moi refoule certains sentiments, certaines représentations, incompatibles avec son sens moral ou son narcissisme. Divi- sion aussi entre les sexes et les générations qui fonde l’ordre symbolique dans lequel chaque sujet trouve son identité en occupant une place qui lui

1. Soulignons cependant que l’orientation de P. Tap, notamment dans La Société Pygmalion, est bien de penser l’articulation du psychologique et du social à travers, notamment, la notion d'« interstructuration du sujet et des institutions ».

2. Cela n’exclut pas, bien entendu, que certains aient cherché à dépasser ces cloisonnements et à conceptualiser, au niveau de la personnalité, l’articulation du psychologique et du social. Sans remonter à l’anthropologie culturelle américaine, on peut citer plus près de nous, en France, et dans des orientations différentes, les travaux de G. Mendel, de M. Pagès, de P. Tap, de J. Barus- Michel, etc.

préexiste et qui découle notamment du rapport au phallus, de la triangulation œdipienne et de l’identification aux images parentales. Division enfin (selon la seconde topique) entre les différentes instances de la personnalité qui introduisent une sorte de pluralité personnologique à l’intérieur même de l’individu. Chaque instance apporte à la conscience de soi sa coloration et ses représentations propres, marquées selon les cas par le principe de plaisir, le désir et les pulsions, par le principe de réalité et la perception de l’exté- rieur ou par l’idéal et l’interdit. Mais la conscience de soi est déterminée tout autant par les rapports entre instances et notamment les conflits entre désirs et défenses, entre aspirations et interdits, entre réalité perçue et vouloir être.

Une instance joue un rôle particulièrement important dans l’articulation du psychologique et du social, de l’individuel et du collectif : il s’agit de l’ensemble idéal du moi-surmoi. En effet, la constitution de l’idéal ne résulte pas seulement de l’idéalisation des images parentales ; elle inclut aussi des valeurs, des symboles, des images héroïques ou prestigieuses, des idéolo- gies. Dans ce processus, la distinction entre images de soi et images objecta- les n’est pas tranchée, en raison des mécanismes d’introjection et d’identification ; c’est ainsi que l’intérieur et l’extérieur, le psycho-familial et le social se mêlent. C’est ce que Freud avait montré lui-même, comme on l’a vu au chapitre précédent, notamment dans Psychologie collective et

analyse du moi où il écrit :

Chaque individu […] a construit son idéal du moi d’après les modèles les plus divers. Chaque individu participe ainsi de plusieurs âmes collectives, de celle de sa race, de sa classe, de sa communauté confessionnelle, de son État, etc.

En tant que l’identité implique l’intériorisation de modèles, de règles et de normes dont certaines sont avant tout interdictrices, elle participe aussi en partie du surmoi. Là encore Freud a souligné à plusieurs reprises la dimen- sion sociale de cette instance qui reflète les valeurs, les normes et les idéaux d’une société : « Le passé, les traditions de la race et des peuples subsistent dans les idéologies du surmoi » (1971b, p. 91). Il y a donc une large coïnci- dence entre le surmoi de l’individu et le surmoi collectif d’une culture (Kulturüberich)1.

L’idéalisation qui tend à la constitution d’un pôle identitaire « héroïque », relatif à ce que le sujet voudrait être, d’une image idéale de lui-même, s’accompagne souvent d’un mécanisme de clivage, au sens kleinien, entre une identité positive intériorisée et une identité négative expulsée sur l’autre ; ce mécanisme joue certainement dans la valorisation de l’identité sociale portée par l’in-group et la dévalorisation de celle de l’out-group. Mais il est souvent fragile et le sujet redoute de voir resurgir en lui une iden-

1. Terme employé par Freud dans Malaise dans la civilisation, ouvrage dans lequel il développe cette conception de la nature sociale du surmoi.

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tité qui risque de lui apparaître d’autant plus négative que l’idéalisation est plus accentuée. C’est pourquoi la présence, dans la conscience, d’un autre imaginaire hostile et mauvais, servant de « repoussoir » (mécanisme qui est l’une des bases des différentes formes d’alterophobie et de racisme) est souvent la condition du maintien de la cohérence identitaire lorsque les mécanismes de clivage et d’idéalisation sont prévalents ou lorsque le risque de dévalorisation est important.

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